Waka Waka festival : pas une, mais des danses africaines
Les 16, 17 et 18 février derniers, le festival Waka Waka dédié aux danses afro urbaines a célébré la richesse de la culture afro et souligné l’énergie créative d’une jeunesse métissée. Reportage.
Rendez-vous est pris à Lille, la future capitale de la culture en 2020. Sur quelque 200 panneaux de la ville des Hauts-de-France, près de 60 portraits sont placardés, tous rehaussés du slogan « Les Lillois ont du talent ». Parmi eux, Jeannine Fischer : chorégraphe installée à Lille, fondatrice de Wassa l’asso et de l’école dédiée aux danses afro-urbaines, Waka Waka Dance Academy. Et du talent, de l’énergie mais aussi de l’ambition, la Franco-Camerounaise en a. « Seulement deux femmes noires sont représentées dans la campagne ! », tient à souligner cette artisvite qui œuvre pour la promotion de la culture afro dans un élan de modernité.
Preuve avec l’édition inaugurale du festival Waka Waka qui s’est tenue le week-end dernier dans le cadre du festival Hip Open Dance. Pendant trois jours, Jeannine Fischer, escortée d’une équipe de jeunes bénévoles proactive et enthousiaste, a fédéré Lillois, Parisiens, Amiénois et autres Bruxellois autour de passions et d’intérêts communs, les danses afro et les cultures urbaines. « J’avais à cœur de montrer l’ébullition et la créativité qu’il y a dans les capitales africaines, d’abord à travers la danse », reconnaît-elle, à présent emmitouflée dans son manteau, ses longues tresses d’argent flottant sur son drap de laine.
Une Afrique plurielle, un public métissé
Le festival touche à sa fin, Jeannine vient de donner son dernier workshop. Une session de danse d’initiation (mais attention, il faut s’accrocher !) réservée à l’azonto du Ghana. « Une danse très théâtrale, représentative de notre africanité », née sous la houlette de lycéens ghanéens. Aux côtés d’Accra donc, Lagos avec l’afrobeat nigérian, Libreville avec le jazzé du Gabon, Abidjan et ses steps de coupé décalé, la capitale congolaise, Kinshasa, et le ndombolo, Luanda et l’afro house angolaise etc.
Montrer la diversité et la richesse culturelle du continent, un pari réussi, mais qui n’était pas gagné d’avance. « A Lille, comme dans beaucoup de grandes villes françaises, on parle de danse africaine. C’est une hérésie. Je suis fatiguée que l’on réduise toujours l’Afrique à un pays, s’indigne celle qui a grandi au Cameroun et qui danse depuis toute petite. « L’Afrique est plurielle, c’est 54 pays et une mosaïque de cultures », rappelle-t-elle.
Entre 30 et 40 personnes se sont donnés rendez-vous à chacun des workshops emmenés par des chorégraphes reconnus par la profession, et environ 500 visiteurs ont eu le loisir de s’enjailler au bal afro logé à la salle des fêtes de Fives, où les onze musiciens du collectif parisien, Les Frères Smith, nous ont fait – là encore – voyager du Nigeria, à coups de sonorités afrobeat, à l’Éthiopie à grand renfort d’envolées jazz.
Parmi le public et les visiteurs, le métissage était à l’honneur. Un coup de maître à l’heure où de nombreux événements célébrant la culture afro sont taxés de communautarisme ou peinent à élargir leur palette de visiteurs. « Je suis Afropéenne, j’ai grandi entre l’Afrique et l’Europe et je suis amoureuse des cultures africaines. Du coup, j’ai vraiment envie de les partager aux Afrodescendants et non Afrodescendants, aux personnes racisées ou non. L’ouverture d’esprit, voilà ce pour quoi je me bats. », insiste Jeannine, tout en reconnaissant l’importance de quelques promoteurs de la culture afro à Lille, pionniers du genre, parmi lesquels feu l’association Art et médias d’Afrique à l’origine du Fest’Africa – premier festival de littérature africaine en Europe – sans oublier Karibou Africa au sein de laquelle l’entrepreneure a fait ses premières armes.
Inspirer la nouvelle génération
Parce que Lille reste reconnue pour son tissu associatif riche et ancré dans de longues traditions militantes. C’est d’ailleurs avec le soutien de la Mairie de Lille que le festival Waka Waka a pu voir le jour et être hébergé dans des établissements comme le Flow, centre eurorégional des cultures urbaines, et la Maison de quartiers des Moulins.
Pour autant, « Lille est aussi une ville très ségréguée, éclaire l’une des élèves de la Waka Waka Dance Academy, habituée au cours d’afro house. J’habite à Wazemmes, un quartier populaire situé à deux pas de celui des Moulins où se passe la majeure partie des workshops, et je peux vous dire que c’est là que se trouve la diversité. Pas dans le vieux Lille, très huppé », complète celle qui s’essaiera aux steps de ndombolo et d’afrobeat imaginés par la charismatique Dee Win.
Pour l’enseignante de 30 ans tout rond, d’origine ivoirienne et centrafricaine, une formule comme celle du Waka Waka festival permet avant tout d’« inspirer les générations à venir et de laisser une trace ». La manifestation est également une façon pour « Africains et Afrodescendants de renouer avec leur histoire ». Raison pour laquelle la chorégraphe et petite protégée de Yap’s la Pirogue et de Lionel Vero – deux pointures du genre à Paris officiant au studio MRG – ne se contente pas de réaliser ses « moulés » à la perfection. Elle fait un certain nombre de recherches sur l’histoire des steps « qui reprennent souvent des gestes de la vie quotidienne », pour mieux les transmettre à ses élèves.
La transmission, une ambition que Jeannine Fischer soutient. « Pendant le festival, on a entendu des hits d’artistes afro que tout le monde connaît, et on a pu constater qu’avec eux on accédait aussi à la culture africaine. Maître Gims ramène le lingala et le ndombolo, Section Pull up, des lignes d’afro-house, Booba, lui, fait des featuring avec Fally Ipupa : on est en plein dedans… Les prochaines générations vont certainement toutes parler lingala ! », s’enthousiasme la danseuse.
La culture afro a le vent en poupe, et si Jeannine et ses acolytes en ont pleinement conscience, a aucun moment du festival il n’a été question de surfer sur la vague. Il n’y avait qu’à voir les gamins venus danser pendant ces trois jours s’exprimer en mouvement et en sourire pour s’en rendre compte. Un élan de vivre ensemble grisant. « Je suis fière de montrer que l’Afrique est un vivier de talents. Je pense que nous-mêmes, Africains, on ne se rend pas compte de tout ce qu’on sait faire », s’émeut Dee Win.
« Joie, sagesse, énergie, voilà comment on pourrait résumer ces trois jours », conclut Jeannine qui espère à terme ouvrir un complexe où elle hébergerait son école de danse, une salle de concert, une bibliothèque de littérature africaine. Et faire de Lille une véritable plaque tournante de la culture afro urbaine.
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