Maison Intègre : le design africain retrouve ses lettres de noblesse

Entretien avec Ambre Jarno, à l’origine du projet Maison Intègre dédié aux pièces d’exception ouest-africaines et aux créations uniques fabriquées au Burkina Faso.

Ambre Jarno, fondatrice de Maison Intègre. © Ambre Jarno – Maison Intègre

Ambre Jarno, fondatrice de Maison Intègre. © Ambre Jarno – Maison Intègre

eva sauphie

Publié le 13 avril 2017 Lecture : 5 minutes.

Fraîchement lancée, Maison Intègre – clin d’œil aux hommes intègres burkinabés – n’est pas une plateforme de plus dédiée à la promotion du « made in Africa ». Un label qui n’a pas vraiment de sens pour la fondatrice du concept Ambre Jarno, qui a découvert l’Afrique dès son plus jeune âge. Derrière cette ancienne commerciale se cache une esthète invétérée. Cette amoureuse du continent souhaite avant tout redonner à l’artisanat local ses lettres de noblesse.

C’est au Burkina Faso, « son pays de cœur », qu’Ambre Jarno a décidé d’investir toute son énergie pour aller à la rencontre d’antiquaires et d’artisans locaux pour révéler la beauté du design ouest-africain : mobilier, déco et autres œuvres d’art. Des pépites vintage qu’elle chine, retape et sublime pour intégrer l’art et l’artisanat du Burkina dans la maison. Autre volet : la création de pièces uniques confectionnées à partir du tissu traditionnel, le faso dan fani, réexploité sur des coussins.

la suite après cette publicité

Découverte d’un projet entre élégance et respect d’un savoir-faire transmis de générations en générations.

D’où vous vient votre sensibilité pour le continent africain ?

Enfant, j’ai souvent été amenée à voyager en Afrique francophone avec ma famille. J’ai également travaillé pour Canal + pendant deux ans au Burkina Faso. C’est à ce moment-là que j’ai formé mon œil aux objets, aux meubles et aux tissus, et que j’ai eu l’opportunité de rencontrer des artisans et des antiquaires.

J’ai découvert des merveilles de design, qui sont rarement qualifiées comme telles mais bien plus souvent reléguées à de l’art premier dans des galeries très chic et inaccessibles du 6e arrondissement de Paris, ou alors dans des petits marchés où les pièces sont considérées, à tort, comme de l’artisanat grossier et mal fini.

la suite après cette publicité

De retour à Paris, j’ai continué à faire de nombreux allers-retours – essentiellement en Afrique de l’Est et en Afrique centrale – et à chiner, tout en continuant à travailler. Jusqu’au jour où j’ai craqué et décidé de tout quitter pour me lancer exclusivement dans l’aventure de Maison Intègre, il y a un an.

Avec Maison Intègre, vous êtes sur un positionnement plutôt haut de gamme, chic et épuré. Et prenez à contre-pied cette vague réduisant la création venue d’Afrique au wax et à la couleur.

la suite après cette publicité

Dès le début, quand j’ai commencé à formaliser le projet de Maison Intègre en parallèle de mon travail, j’ai refusé de tomber dans la facilité du wax. Je voulais valoriser les tissus traditionnels, l’élégance traditionnelle. Quand je suis arrivée au Burkina, j’ai découvert les tenues ancestrales portées par des hommes en faso dan fani ornés de broderies magnifiques que j’ai tout de suite imaginé dans l’ameublement.

Depuis, je chine moi-même des tissus vintage, pagne par pagne, ou bien je fais tisser des pans de textiles traditionnels par des coopératives de femmes ou des tisserands indépendants, qui ne travaillent qu’avec du coton bio et des teintures naturelles.

Pour le moment, je suis seule aux commandes du projet et travaille sur des petites quantités pour veiller à assurer une rémunération à la juste valeur du travail des artisans. C’est en valorisant les produits en France – pour le moment les pièces de l’e-shop sont disponibles à la livraison dans l’hexagone, ndlr – que je peux me permettre de les faire travailler pour moi. A terme, mon rêve serait d’avoir une petite unité d’artisans qui officieraient exclusivement pour Maison Intègre.

Toutes les pièces sont sourcées au Burkina Faso ?

Le Burkina est mon deuxième pays. Cela fait cinq ans que je noue des liens avec des antiquaires burkinabés, nigériens et maliens basés là-bas. Le Burkina est un petit pays enclavé, ce qui facilite les échanges de marchandises, d’art et d’artisanat. Ce n’est pas un hasard si le SIAO (Salon International de l’Artisanat à Ouagadougou), a lieu au Burkina. Historiquement, il y a toujours eu une grande richesse en termes d’artisanat et d’échanges. C’est formidable.

Pour le moment les produits ne sont disponibles qu’en France à la livraison …

Oui, mais tout est possible… Demain, je pourrais très bien livrer partout en Europe et même aux États-Unis…

Et en Afrique ?

J’ai voulu commencer en France, mais pour moi le sujet est plus africain. J’aimerais proposer Maison Intègre en Afrique de l’Ouest dans un premier temps. Le Burkina n’est pas encore assez mature pour cela, mais je pense à la Côte d’Ivoire, au Sénégal… Et aux pays anglophones comme le Nigeria ou le Ghana, où il y a des marchés pour ce genre de pièces : les boutiques-hôtels, les décorateurs, designers. Je n’ai pas envie de rentrer dans le cliché de la classe moyenne émergente africaine, mais on sent tout de même que les gens en ont assez d’avoir du made in China dans leurs intérieurs et se rendent compte qu’il y a des choses sublimes qui viennent de chez eux.

La création locale profite rarement aux Africains…

Parce qu’il y en a aussi beaucoup qui la méprise ! On leur a tellement martelé via les médias que le beau venait de l’Occident, que  c’est ancré dans les mentalités.

Alors, que retrouve-t-on chez Maison Intègre ?

Il y a quatre univers sur le site : on va retrouver les créations uniques avec des coussins, des tissus vendus seuls, des objets de déco et utilitaires comme des poissons bozo, des serrures anciennes ou encore des sculptures et des poteries qui s’intègrent selon moi à merveille dans des univers contemporains. L’objectif étant de raconter une histoire à travers chacun des objets.

Le fait de chiner les pièces implique un travail de restauration j’imagine ?

Oui, merci de poser la question… C’est un énorme travail ! Il faut dans un premier temps rassembler toutes les pièces avec les différents antiquaires, puis les emballer, les placer dans un container, et enfin nettoyer chaque pièce, en cirer d’autres tout en respectant la patine originelle. L’idée n’étant pas de modifier les objets, mais de les entretenir et de les nourrir. Les poteries, je n’y touche pas, par exemple. Sans oublier l’apprentissage ! J’ai appris auprès des antiquaires à travailler les objets, raison pour laquelle j’ai une relation très forte avec eux.

Parvenez-vous à dater vos pièces ?

Je n’ai pas voulu dater les pièces sur mon site parce que je ne souhaite pas rentrer dans un « art dealer ». Certains le font, ce n’est tout simplement pas mon positionnement. Je n’ai pas envie de me prétendre antiquaire, je m’inscris plus dans une dynamique où j’ai envie de trouver de jolies choses, anciennes, de les valoriser et de les montrer. Par exemple, mon antiquaire travaille depuis des années sur ma collection de tabourets. Il y a une relation de confiance et une transmission unique dans ce métier.

Comment fixez-vous les prix ?

Selon la rareté ! Certaines pièces de Maison Intègre sont beaucoup plus rares que d’autres, à l’exemple de mes tabourets nupé. Je fais des benchmark sur Internet. Et quand je vois les prix pratiqués aux États-Unis pour des pièces de bien moins bonne qualité, je me rends vite compte que les prix que je pratique sont loin d’être faramineux.

Mon projet est de travailler à développer la partie « pièces d’exception » avec des prix sur demande.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires