Martin Ziguélé : « La Centrafrique est en train de partir en lambeaux »

Alors que la Centrafrique est engluée dans des crises politique et sécuritaire, l’ancien Premier ministre Martin Ziguélé appelle les puissances étrangères à venir en aide à son pays.

Martin Ziguélé, le 1er décembre 2014, à Paris. © Vincent Fournier/J.A.

Martin Ziguélé, le 1er décembre 2014, à Paris. © Vincent Fournier/J.A.

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Publié le 15 novembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Après des mois d’opposition avec le président Faustin-Archange Touadéra, la destitution, fin octobre, d’Abdou Karim Meckassoua, le président de l’Assemblée nationale, a davantage accentué les tensions politiques et confessionnelles en Centrafrique. Accusé de détournement de fonds et de favoritisme, l’homme était aussi vu comme un représentant des musulmans.

Alors que l’inquiétude est forte, notamment renforcée par la crise sécuritaire, l’ancien Premier ministre, député et président du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), Martin Ziguélé, regrette « l’abandon » de la France et appelle à l’aide la communauté internationale.

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Jeune Afrique : À la crise politique et sécuritaire en Centrafrique, la destitution d’Abdou Karim Meckassoua a ajouté une crise institutionnelle. Ne pouvait-on pas éviter d’en arriver là ?

Martin Ziguélé : Je pense qu’il y a eu un malentendu originel sur l’alliance entre Faustin-Archange Touadéra et Abdou Karim Meckassoua. Dans leurs soutiens réciproques, chacun pensait qu’il n’y aurait qu’un seul groupe parlementaire. Mais il n’y en a eu que deux, qui se sont mis à être rivaux, puis carrément opposés. Le clash était prévisible. Fondamentalement, je crois qu’il n’y a pas d’opposition politique entre ces deux hommes mais qu’ils étaient dans deux logiques politiques inconciliables.

Dans notre système présidentiel, il n’y a pas de cohabitation possible : vous êtes soit allié, soit un opposant. Quand vous ajoutez à cela notre contexte politique où tout est surinterprété, où les intrigues et les courtisaneries sont incessantes, vous arrivez à une situation ingérable.

Avez-vous voté pour la destitution d’Abdou Karim Meckassoua ?

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Le vote est secret et personnel. Je ne vous dirai pas ce que j’ai décidé. En revanche, je peux vous dire que j’ai essayé de faire en sorte qu’on n’en arrive pas là et qu’on rapproche les différents points de vue afin de négocier. Mais les oppositions étaient telles que cela n’était pas possible.

Cette destitution a conduit à des manifestations des habitants du quartier du PK5, à Bangui, des tirs ont été entendus dans la capitale, et la Séléka a été menaçante. Cela ne relance-t-il pas encore la défiance entre chrétiens et musulmans ?

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Je ne crois pas que la démarche des députés ait été inspirée par l’appartenance religieuse d’Abdou Karim Meckassoua. D’ailleurs, Laurent Ngon-Baba, l’actuel président de l’Assemblée, est également musulman.

Ce n’est pas une opposition confessionnelle, mais bien un conflit politique qui nous a mené à cette situation déplorable

Pourtant, c’est ainsi que la Séléka, par exemple, l’a interprété…

Je déplore que des groupes armés réagissent ainsi. Ce ne sont pas eux qui ont élu le président de l’Assemblée nationale. Je crois qu’il faut ramener ce conflit à ce qu’il est. Ce n’est pas une opposition confessionnelle, mais bien un conflit politique qui nous a mené à cette situation déplorable.

Ne craignez-vous pas que cela ajoute de l’huile sur le feu ?

Vue la situation de notre pays, tous ceux qui veulent mettre de l’huile sur le feu ont chaque jour mille occasions de le faire. En revanche, ceux qui veulent se battre pour la paix en ont rarement l’occasion. Je suis progressiste, mon parti appartient à l’internationale socialiste, mes valeurs ne sont pas des valeurs de division. On ne construit pas un Etat sur l’exclusion et le communautarisme, nous avons échoué à unir les communautés centrafricaines pour en faire une nation.

Derrière l’opposition entre Faustin-Archange Touadéra et Abdou Karim Meckassoua, certains voient aussi la marque de la rivalité entre la Russie et la France…

Il y a beaucoup de fantasmes dans notre pays. Et la meilleure manière de résoudre les problèmes, ce n’est pas d’en ajouter d’autres.

La Russie a fortement renforcé sa présence ces derniers temps en Centrafrique, ce sont notamment des Russes qui constituent la garde rapprochée du président. Cela n’agace-t-il pas la France ?

La préoccupation numéro un des Centrafricains, c’est leur sécurité, et peu importe qui peut la leur garantir. C’est ainsi qu’il faut comprendre les expressions populaires de soutien aux Russes. Russes, Américains, Chinois, Français, Britanniques… tous sont membres du Conseil de sécurité des Nations unies. Tous ont mis en place la Minusca qui a aujourd’hui beaucoup de difficultés et tous doivent individuellement ou collectivement trouver des solutions pour que la paix avance dans mon pays.

Le retrait de Sangaris a été perçu par la population comme un abandon, et cela explique les difficultés politiques actuelles

Début novembre, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian était à Bangui où il a notamment annoncé de prochaines livraisons d’armes. Ce retour de la France au premier plan, c’est une bonne nouvelle ?

C’est tant mieux ! La France a fait des fautes politiques. Retirer Sangaris était une faute politique. Avant les élections, il n’y avait eu aucun désarmement, les groupes armés étaient encore armés à la main, il n’y avait aucun début de dialogue politique… et le jour même où le nouveau président a prêté serment, on a annoncé le retrait de Sangaris ! Cela a été perçu par la population comme un abandon, et cela explique les difficultés politiques actuelles. Quand vous êtes un ami, vous n’abandonnez pas un pays ainsi.

On entend très peu l’Union africaine, censée porter l’initiative africaine dans le pays. N’est-elle pas bien trop absente ?

C’est vrai qu’elle a encore beaucoup de marge… Bien sûr, il faudrait qu’elle fasse plus. Je suis pour qu’un maximum d’efforts soit déployés pour rattraper ce qui est rattrapable. Car ce pays est en train de partir en lambeaux.

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