Patricia Mowbray, initiatrice du préscolaire dans les villages du Sénégal

Patricia Mowbray est la présidente de l’association « Racines d’Enfance ». Elle se bat pour faire exister le préscolaire en Afrique en construisant des écoles dans des villages au Sénégal. La tâche est grande !

PATRICIA MOWBRAY

PATRICIA MOWBRAY

Publié le 19 juin 2017 Lecture : 8 minutes.

La sociologue franco-nigérienne, Patricia Mowbray, dirige la fondation « Racines d’enfance ». Adoptée à 2 ans en 1958, elle a grandi sans connaître ses racines. Elle était un peu unique, la seule enfant métisse élevée par un aristocrate britannique et une maman française originaire sud-ouest, dans le 17ème arrondissement de Paris. Il y avait peu d’enfants étrangers et la question « d’où viens-tu ? »  revenait très souvent. Elle a tenté d’y répondre par elle-même en lisant beaucoup de littérature noire-américaine. Pendant toute son enfance, ses parents lui ont toujours expliqué qu’elle était leur fille, qu’elle était désirée, choisie et élue. La question sur le racisme n’a jamais été soulevée dans son cocon familial. On valorisait sa couleur ! Tout cela lui a permis de grandir et d’avoir une certaine estime d’elle-même.

Patricia a adopté des stratégies pour se faire accepter de tous et a travaillé pour être la meilleure. Une façon de prouver à ses détracteurs  qu’elle y arriverait.

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En 2009, elle publie A comme Adoption aux Editions Pascal. Un livre montrant la nécessité de l’adoption internationale et son existence depuis l’Antiquité. En Afrique 30% des enfants ne sont pas élevés par leurs parents mais des tantes, des oncles etc. L’adoption est une pratique qu’il faut encadrer et dédramatiser. Pour Patricia, tant que l’adoption  sert à l’enfant, il faut l’accepter.

Aujourd’hui, elle permet à travers son association « d’enraciner » les enfants sénégalais dans l’éducation et de valoriser leur enfance. Entretien.

Votre association «  Racines d’enfances » a construit des maternelles et des maternités dans 9 villages sénégalais depuis 2004. Créer ce projet était-il une nécessité ? Expliquez-nous le nom de l’association et sa genèse ?

L’enfance est la genèse de tout. C’est dans l’enfance que beaucoup de choses se jouent. « Racines » parce que l’enfance est un lieu d’enracinement. Pour autant, notre lieu de naissance est un tremplin. C’est le lieu où l’on arrive, après chacun prendra l’élan qu’il peut. La façon dont on accueille l’enfance va être déterminante pour l’avenir. Cette association est un jeu entre l’enfance et les racines, elle est en même temps passé, présent et futur. C’est bien d’assumer son origine et son lieu de naissance mais le plus important est d’aller plus loin.

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L’association est née d’une rencontre fortuite. Mon mari était l’intendant d’une association qui s’occupait de rénover des dispensaires en brousse. L’association était centralisée au Sénégal oriental dans la région de Tambacounda. Suite ç une visite dans le village de Saal, il m’a fait part du fléau de la mortalité infantile. Les enfants sont un peu livrés à eux-mêmes, il y a beaucoup d’accidents à cause de la présence de fleuves, d’animaux etc. En me rendant sur place j’ai pu constater qu’il y avait beaucoup d’enfants en bas âge qui couraient et suivaient leur maman. Mais paradoxalement il y avait des écoles primaires construites par l’état avec dedans les grands frères et sœurs de ces petits. Les mamans nous ont vraiment interpellé sur la question.

La France et l’Allemagne ont été précurseurs dans la prise en charge des enfants avant qu’ils n’entrent à l’école, avec la mise en place de jardins d’enfants, crèches, sans oublier la maternelle. Je suis mère et je me suis dit qu’une des réponses à donner à ces femmes du village, était de faire construire une école maternelle.

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Le préscolaire en Afrique est très peu développé : il représente 12 à 20% du système scolaire. Au Sénégal, on est autour de 12%. En 2004, on a conçu le concept qui nous anime aujourd’hui : construire une école à 50 000 euros avec trois sections, un préau, un bloc sanitaire, une cuisine et un grand espace de jeu. Tout est clos. Le tout sur un terrain offert par la communauté près du centre du village ou de l’école primaire. On voulait que la structure soit autonome et qu’elle ne dépende de personne une fois construite. Les écoles deviennent par la suite la propriété du village et sont gérées par un comité de gestion. Les enfants (2-7 ans) sont encadrés par un personnel formé par les académies locales et régionales. Depuis 2009, on a des instituteurs payés par l’état. On voulait quelque chose qui dure ! On a fait des démarches auprès des autorités villageoises pour qu’elles puissent nous accompagner et on a eu l’accord de tout le monde, en particulier des femmes même si elles parlent peu au début.

Vous avez développé un modèle pédagogique qui pourrait être appliqué dans d’autres pays d’Afrique. Quel est l’impact de vos actions au Sénégal et sur la population ? Quelles sont les ambitions de « Racines d’enfances »  ?

Il y a beaucoup d’impacts primaires importants. D’abord, cette réflexion autour du préscolaire qu’il n’y avait pas réellement avant. On regarde cette population des petits autrement que « nos enfants, neveux etc ». Ce sont les premiers pas vers l’école, donc le taux de scolarisation augmente. Quand on met les enfants à l’école à 2 ans, ils ne se posent pas de question à 7 ans , ils continuent. A Saal, le taux est tellement en hausse qu’il a fallu faire un abri provisoire pour abriter les élèves.

La scolarité des petites filles augmente aussi en primaire ! Quand elles vont déjà à l’école… c’est plus difficile de les en faire sortir. Ça, c’est très important. Il y a également une baisse du taux de mortalité de ces enfants car ils sont en sécurité dans ces structures. Et libération : il y a également plus de temps libre pour les mamans.

La première ambition est de persuader les gouvernements de la nécessité du préscolaire et de la prise en charge des enfants très tôt en Afrique. On veut éveiller les enfants au développement durable. Tout se joue dans l’enfance. Témoigner de ce qu’on fait et former les populations. L’Afrique se développe et il lui faut des ingénieurs, techniciens etc. Il faut qu’il y  ait une volonté politique pour que les choses bougent. Si on veut que les cerveaux émanent du continent, il faut les former dès leur plus jeune âge. On a besoin d’un mouvement sur toute l’Afrique.

Notre dernière ambition, et pas la moindre, est de soulever plus de fonds pour les maternités. Pour l’instant, nous en avons rénové deux à Passy et Ndoss.

Vous avez aidé beaucoup d’enfants à « s’enraciner dans l’éducation » et à vivre une enfance heureuse. Ce n’est qu’enceinte de votre premier enfant que vous avez décidé de retrouver vos racines en cherchant votre mère biologique. Pourquoi ce moment ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

La maternité est une période importante au niveau des temps. On s’inscrit à la fois dans l’avenir avec ce futur bébé, on se projette et en même temps on convoque le passé. C’est à dire que cette enfant va être issu de toute notre histoire. Quand on est dans une situation comme la mienne, quelle est mon histoire ? C’est l’adoption et les circonstances de cette adoption. Ca titille. Je ne savais pas d’où je venais, j’avais 22 ans et j’étais étudiante. Il y avait un rideau de fer avant sur les origines des enfants adoptés. Quand un enfant arrive, il y a toujours les jeux de ressemblance mais … moi j’avais une limite en dehors de moi (rires). J’ai eu la chance de découvrir l’histoire de mes parents biologiques, ça sera peut-être un jour  l’objet d’un livre parce que c’est assez romanesque et compliqué, il y a plein d’histoires autour.  : ils sont jeunes, se rencontrent et tombent amoureux mais les familles ne sont pas d’accord alors ils prennent la décision de m’abandonner.

Ca a été une quête et ça m’a ouvert la voie d’un contient que je ne connaissais absolument pas. Je n’ai pas mis les pieds en Afrique subsaharienne avant l’âge de 34 ans. Et avec ça et l’association, je me suis inscrite dans ce continent autrement que comme une touriste.

Vous êtes Lauréate du 11e Trofémina en juin 2014 pour l’humanitaire et cette année marquait les 10 ans de l’association. Qu’avez-vous ressenti ?

J’étais très fière. Ca fait du bien parce que c’est quand même beaucoup de travail.  C’est le fruit d’un travail collectif, j’étais fière pour tous nos membres bénévoles ! Ils vont en brousse et découvrent des gens acteurs de leur vies. Ils ont changé leur regard sur l’Afrique. Certains étaient allés en Afrique pour un safari mais là, ils nous ont accompagné dans les villages et ont vu ces populations telle qu’ils ne les avaient jamais vues. Ils ont eu une proximité avec elles.

Il y a une dizaine d’années au moment des grandes grèves, deux institutrices sont allées avec moi. Quand elles sont arrivées sur le terrain et ont vu le peu de moyen, la calligraphie impeccable sur le tableau, les phrases parfois de grands auteurs classiques, la qualité de l’enseignement , la discipline des élèves … Elles étaient scotchées ! Et il y en avait une qui travaillait à Trappes, elle m’a dit « Tout à coup, je vois ces femmes que moi je vois l’hiver qui viennent chercher leurs enfants dans un manteau trop petit pour elle, des chaussures serrées. Là, je les vois dans toute leur splendeur avec leur boubou, toutes élégantes. » Ca a changé son regard et l’association « Racines d’enfance » c’est ça. J’étais fière parce que on permet de leur montrer cette Afrique différente avec ces gens qui se battent et gardent leur dignité. Quand on voit ces femmes, toujours en couleur, qui sortent de la brousse toutes majestueuses et nous, on est là avec nos t-shirt tout dégoulinant (rires). Ces moments de proximités, ces expériences que l’ont vit nous font tenir.

Adoptée et mère adoptive de plusieurs enfants sénégalais à travers « Racines d’enfances » … La boucle est bouclée ?

Je n’avais jamais vu la chose comme ça, c’est quand même dingue que je n’y ai pas pensé ( rires).  Mais non, loin de là ! Je crois que l’aventure de « Racines d’enfance » va continuer et j’aimerais qu’elle s’étende à d’autres pays d’Afrique. On peut continuer notre train train et  construire une école  tous les ans mais je ne suis pas satisfaite de ça. Ce n’est pas assez, on a maintenant un programme sur les maternités. On va essayer d’améliorer l’arrivée des enfants dans les maternelles.

Grâce à ce projet en Afrique, j’ai pu me rendre compte de la présence de Chinois sur le continent. C’est l’objet de mon prochain livre donc non, elle n’est pas bouclée mais vient tout juste de commencer.

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