Sica Christelle Yaovi, une plasticienne béninoise
De passage à Paris pour la semaine africaine, qui s’est tenue du 22 au 24 mai à l’Unesco, l’artiste béninoise, Sica Christelle Yaovi, nous a présenté son travail. Entretien.
Elle est passionnée, tenace et persévérante. Cette plasticienne franco-béninoise vit à Cotonou depuis une vingtaine d’années et est fière de ses racines africaines. Sica Christelle Yaovi, 45 ans, a un passé qui lui a appris à ne rien lâcher dans la vie : sœur de triplée mais seule survivante, elle a également perdu cinq de ses enfants. Et a connu le sentiment d’abandon très tôt.
Descendante d’esclaves de négrier et royaliste, elle traduit dans son art toutes ses expériences douloureuses, ses peines et ses larmes. Son travail raconte son histoire et rejoint celles des autres dans la souffrance, la délivrance et l’espoir.
Pourquoi faites-vous ce métier ?
Parce que ça a été une thérapie. Mon histoire étant très particulière. J’ai été kidnappée par mon père à l’âge de 6 ans avec ma petite sœur, on s’est retrouvées au Bénin. Il y a eu des choses très compliquées. Mais à mes 18 ans, je suis revenue en France faire mes études, puis à 24 ans je suis retournée au Bénin pour justement faire la paix.
J’avais des étapes à passer pour m’en sortir et être celle que je suis aujourd’hui. Et l’art, pouvoir peindre, sculpter, écrire, a été mon exutoire. J’ai mis longtemps à montrer mon travail parce que j’ai détruit mes œuvres pendant près de 20 ans. Il m’a fallu du temps avant de rentrer en dialogue direct avec les gens.
Quand avez-vous commencé ? Diriez-vous avoir une sensibilité artistique depuis toujours ?
Oui depuis petite, je l’ai toujours eu. Je dis toujours que j’ai découvert l’art plastique en 6ème, mais même encore plus jeune, j’ai le souvenir que je créais des petites poupées et d’autres choses. Ce côté artistique je l’ai toujours eu. Je ne voulais pas le montrer parce qu’on ne nous encourageait pas forcément à l’exprimer. C’était du temps perdu. Ça a vraiment été un cheminement très personnel et j’ai choisi à des moments clés de ma vie d’aller jusqu’au bout et de vivre de mon art.
Quelles sont les raisons qui vous poussent à vous exprimer ainsi ?
Mon histoire. Dans tout mon parcours, il y a eu des étapes. Mes œuvres s’intitulent « douleur », « passion » , « détresse », « larmes de l’âme »… Cela illustre toutes ces souffrances mais pas que la mienne. Parler de la douleur d’une personne, c’est parler de celle de l’autre. Parler des enfants, c’est parler de ceux des autres. Mon fils fait partie de tout ça mais également mes jumeaux et triplés que j’ai perdus. Eux aussi rentrent dans mes œuvres puisque, de par ma culture béninoise, on leur rend hommage et on peut faire le deuil de manière différente en les représentant.
Mes peintures parlent de toutes mes souffrances, du corps et de l’âme. Après elles ont évolué sur une note d’espoir et d’espérance, sur le fait de se battre et de ne jamais rien lâcher. C’est ce que j’exprime même dans mes vidéos. Aujourd’hui, je mets ma culture béninoise donc africaine à l’honneur. Je souhaite rétablir sa véritable place dans le paysage artistique, et renouer avec une véritable histoire qui est aussi la mienne.
Vous êtes Franco-béninoise. De quelle manière mettez-vous en avant votre double culture à travers votre art ?
Je suis noire, je suis blanche, je suis métisse. Je pense que mon art est métissé d’office, il a sa propre identité. C’est tout ce dont je suis issue qui est dans mon art. Du coup, la peinture à l’huile est l’une des premières matières que j’ai adoptée et que j’adore. Plus récemment, j’ai utilisé le bois que je vais ensuite sculpter. ce matériau est beaucoup plus en relation avec mon continent africain et ma culture béninoise. Je me sers de pigments aussi et de la terre que je vais prendre sur la terre de mes ancêtres. Je mélange… et le métissage est présent en permanence.
Vous étiez présente lors de La semaine Africaine édition 2017 à L’UNESCO. Qu’aviez-vous envie de dire à la jeunesse africaine ? Quel message vouliez-vous apporter?
J’ai choisi de présenter la main de la reine Hangbe : la seule reine de l’ancien Dahomey que l’actuel Bénin n’ait jamais eu. Mais elle a été effacée de l’histoire parce que c’est une femme. Son histoire est particulière : elle est la sœur jumelle du roi Akaba. A la mort de son frère, elle n’a rien dit et s’est déguisée pour le remplacer. A ce moment là, il y avait encore des guerres, alors elle a mis en place une petite armée de femmes pour combattre. Ces dernières sont revenues victorieuses et c’est à ce moment-là qu’elle a ôté ses vêtements et a révélé son identité. Avec elle, les Amazones sont nées. Elle a pu être reine pendant 4 ans.
J’ai trouvé son courage extraordinaire, et j’ai voulu lui rendre hommage à travers l’installation, « Nan mi alì » (« Donne moi la route ») lors de la Semaine africaine. Par son courage et ce qu’elle a fait, je veux dire à la jeunesse africaine : c’est vous qui avez tout entre les mains, rêvez très très grand !
Vous dites que le travail d’artiste consiste entre autre « à mettre à nue ou en lumière ce qui est nié, bafoué, rendre la beauté à ce qui est », pensez-vous que la culture africaine a été mal transmise à cette jeunesse ?
Il y a un immense manque et ça n’a pas été valorisé dans nos écoles. La plupart des pays du continent n’ont pas d’école d’art. L’art n’est pas enseigné parce qu’il est perçu comme étant futile alors que c’est notre richesse ! C’est toute la beauté et la poésie qui en ressortent et le courage que cela nous donne… On sous-estime le pouvoir de la culture et de l’art.
L’Europe et d’autres continents se sont un peu accaparés cet héritage et le valorisent ou le dévalorisent quand ça les arrange. Moi je dis que tout ce nous avons, tout ce que nous faisions et ferons est extrêmement beau. On a de l’excellence sur le continent. On a privé la jeunesse de cela et aujourd’hui beaucoup d’artistes comme Barthélémy Toguo, dans sa démarche d’avoir créé un centre sur place, montre la beauté et la richesse de ce que nous avons. Nous rétablissons cette justice pour cette jeunesse qui a été privée de beaucoup de choses.
Quel est votre regard sur la scène africaine contemporaine ?
Je suis optimiste. En Europe et notamment en France, on dit qu’on rend hommage au continent africain, à l’art avec de nombreuses opérations comme Africa Now etc. Les gens pensent peut-être qu’on est tendance en ce moment mais il faut qu’ils sachent une chose : on n’est pas tendance, on est là pour durer. On est là depuis longtemps, c’est eux qui ne l’ont pas vu. C’est bien qu’ils nous fassent un peu de pub, mais on compte bien rester sur scène. Cette scène est magique, profonde et intense. Elle n’est pas prête de disparaitre.
Quels sont les artistes, hommes et femmes, qui vous inspirent ?
J’ai beaucoup de respect pour le parcours de Barthélémy Toguo, Edwige Aplogan, Georges Adéagbo pour ne citer qu’eux. Je connais la plupart d’entre eux et on échange énormément. J’aime avoir leur regard sur mon travail mais je ne m’inspire pas nécessairement de leur œuvre. Ce sont des sources d’inspirations dans l’ouverture de la voie qu’ils ont fait pour nous, ce sont des pionniers.
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