Roukiata Ouedraogo : « Je n’ai plus envie de me taire »
Une énergie débordante, une douce malice et une soif de raconter. A l’occasion de son nouveau spectacle « Je demande la route », ITC s’est entretenu avec l’humoriste française originaire de Ouaga, Roukiata Ouedraogo.
« Tout arrive vraiment au bon moment. Dix ans après que j’ai commencé la scène. » C’est avec un accent burkinabè qu’elle n’a pas souhaité effacer depuis son arrivée en France que se dévoile Roukiata Ouedraogo.
L’artiste née à Fada N’Gourma a beaucoup évolué depuis 2008. Cette année-là, la jeune femme – formée au Cours Florent – monte une pièce intitulée Yennenga, l’épopée des Mossé. Ne se sentant pas encore prête à parler des choses qui la touchent sur scène, l’humoriste s’inspire de la légende d’une princesse amazone du XIe siècle pour cette première pièce à succès. Mais petit à petit, le besoin de se raconter, se mettre à nue et de sensibiliser le public sur des messages qui lui tiennent à cœur se fait ressentir.
En 2013, elle crée alors un deuxième spectacle Ouagadougou pressé dans lequel elle aborde le thème de l’immigration et dévoile quelques moments de son passé. Deux ans plus tard, elle fait tomber le masque et relate – dans un troisième projet – ses 18 années en France, son amour pour la Bretagne ou encore ses aventures sur la terre de ses ancêtres.
Avec dérision, et auto-dérision, elle présente les décalages culturels entre les deux continents sans oublier d’aborder le thème de l’intégration.
Dialogue avec son clitoris
Elle développe également la pratique de l’excision, lors d’un moment phare de son show : seule sur scène, Roukiata s’adresse à son clitoris et lève le voile sur cette atrocité que subissent plusieurs filles comme elle, « la petite Rouki ».
Plus encore, elle veut montrer des réalités en parlant des thématiques qu’elle connait, qu’elle a vécu. Pascal Guillaume – cofondateur de la société de production Ki m’aime me suive – est venu assister à ce troisième spectacle, Roukiata Tombe Le Masque, au Point-Virgule. La façon dont l’humoriste emmène le public dans ses péripéties a séduit le producteur et lui a même donné envie de produire sa quatrième représentation.
« Avec mon co-auteur Stéphane Eliard nous avons collaboré avec lui et Ali Bougheraba. L’ambition était de créer un autre spectacle sur la trame de Roukiata Tombe Le Masque. On a repris certaines scènes et mis sur pied un nouveau spectacle appelé Je demande la route , une expression populaire au Burkina. J’ai toujours rêvé d’avoir un spectacle engagé », termine-t-elle.
Il aura fallu attendre dix années durant lesquelles elle est tombée, puis relevée mais, surtout, qu’elle a mis à profit pour se former. Aujourd’hui, elle se sent prête à parler de choses qui « touchent les femmes en particulier ».
Ce fameux dialogue avec le clitoris, on le retrouve dans cette nouvelle pièce Je demande la route, car maintenant l’humoriste désire aller plus loin. « J’arrive à un moment de ma vie où je n’ai plus envie de me taire, je souhaite m’expliquer librement et dire ouvertement ce que j’ai à dire mais toujours de façon bienveillante, avec de l’amour pour que ça puisse passer et toucher les gens ».
Ainsi, devant la salle comble du théâtre Le Lucernaire, Roukiata Ouedraogo, habillée d’une robe enjolivée de touches de rouge et de noir, raconte l’histoire d’une jeune Africaine qui quitte son pays natal.
Elle s’envole pour la France, des rêves plein la tête et chargée d’ambitions. Confrontée à la dure réalité, elle rencontre des difficultés qui la dépassent, mais décide de faire face et de tout faire pour trouver sa place.
Nounou, maquilleuse… elle enchaîne les petits boulots jusqu’au jour où elle s’épanouit en faisant du théâtre. Cette histoire est celle de « la petite Rouki » devenue la grande Roukiata Ouedraogo.
Chroniqueuse dans l’émission Par Jupiter ! sur France Inter, auteure d’une prochaine BD basée sur son one woman show Ouagadougou pressé, mais aussi actrice et invitée sur plusieurs plateaux télévisés… Tout cela ne lui fait pas perdre la tête. Roukiata dit tirer profit de cette médiatisation dans un but précis.
Utiliser le rire pour guérir certains maux
« Enfant, quand je voyais des morts ou des guerres à la télé, je pleurais. J’avais envie d’avoir une baguette magique pour sauver le monde », se rappelle-t-elle.
Consciente du pouvoir des mots associé à l’humour, elle se sert de son métier « pour rassembler au lieu de diviser ». Son spectacle s’adresse aux émigrés africains – ou de toute autre origine – qui passent par ce temps de solitude, à la femme française qui désire trouver sa voie ou encore à l’homme meurtri par la perte d’un être cher.
« Je parle aussi de la force et du courage d’affronter certaines choses, malgré la peur qui est toujours là. J’aime que cette histoire soit universelle. »
Ses créations théâtrales lui permettent de se produire sur les continents européen et africain sur lequel elle retourne assez souvent. Très investie, elle met un point d’honneur à travailler pour l’avancement de l’éducation des filles : « Je suis engagée dans une association qui œuvre afin que les jeunes filles aient accès à l’école, je suis marraine d’une élève de 4ème », affirme-t-elle.
Elle unie également ses forces à celles de Fitima, une ONG de Ouagadougou spécialisée dans la réinsertion des enfants handicapés.
Une humoriste créatrice de mode dans l’âme
En réalité, son premier amour est le stylisme. Toutes ses tenues portées sur scène sont dessinées par elle-même. Comme l’humoriste le raconte, une conseillère d’orientation l’a découragée à poursuivre une carrière professionnelle dans la mode et l’a guidée vers les métiers du social : « J’ai donc laissé tomber… Mais peut-être qu’un jour… »
Du wax, de la couleur, une robe ou une combinaison, elle laisse aller son imagination, achète son tissu et le fait coudre. Pour Je demande la route , l’ancien mannequin a conçu une robe bien pensée : « Je voulais quelque chose qui fasse petite fille au début et qui, au fur et à mesure, la transforme en femme ». Vous verrez, c’est épatant.
Infos pratiques
Roukiata Ouedraogo dans Je demande la route
( Auteur : Stéphane Eiard, Roukiata Ouedraogo)
Théâtre Le Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
Tous les jeudis, vendredis et samedis jusqu’au 7 avril 2018 à 21h30.
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