Ould Daddah, un homme de convictions

Publié le 29 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

Bios Diallo (*) Nice, vendredi 8 janvier 1999. Après deux ans de démarches répétées, je vais enfin pouvoir rencontrer le premier président de la République islamique de Mauritanie. J’ai vécu une partie de mon adolescence sous son règne. En exil comme moi, Moktar Ould Daddah habite, avec sa femme et leurs trois enfants, un duplex qui leur a été offert en 1985 par le président gabonais Omar Bongo.
À peine la porte s’ouvre qu’un vent du pays me happe : peintures, photos, musique de fond. Tout rappelle la Mauritanie.
« On m’a dit que vous êtes Mauritanien du Sud, c’est ça ? me demande le président après que j’eus confortablement pris place.
Je suis de Sélibaby, lâché-je un peu intimidé.
– Ah ! dit-il en se tournant vers son épouse. Mariem et moi avons de très beaux souvenirs de Sélibaby. C’est là que nous avons été accueillir le président du Mali, Modibo Keita. Je revois le dévouement, pour nous accueillir, du gouverneur et du chef du village, un Camara. Il paraît qu’il a donné mon nom à l’un de ses fils ! » (Vrai : Moktar Daddah Camara est aujourd’hui docteur en mathématiques et travaille dans un labo en Île-de-France).
Le président cite ensuite une série de noms : Kane Yahya, Gaye Silly Soumaré, Diaramouna Soumaré, des compagnons de son parti, le PPM (Parti du peuple mauritanien). Il s’attarde un instant sur Sacko Mamadou, qui était son ministre de l’Intérieur au moment du coup d’État du 10 juillet 1978. « Un homme bien et digne. »
« Vous voyez, reprend-il d’une voix très calme, vous êtes chez vous. Je ne m’adresserai pas à vous comme à un journaliste, mais comme à un fils. Je m’ouvrirai à vous au nom de cette vérité que je dois au peuple de Mauritanie. »
Je reverrai le président à plusieurs reprises. Les échanges seront toujours des plus chaleureux. « De père à fils. » Mais cette première rencontre m’a beaucoup marqué.

La Mauritanie contre vents et marées. Le titre de son livre de Mémoires sorti quelques jours après sa mort (aux éditions Karthala, NDLR) n’est pas usurpé. Car c’est au prix de beaucoup d’efforts que Moktar Ould Daddah a créé un pays à partir de rien. On en vient même à oublier qu’il n’avait qu’une licence en droit ! Arrivé en politique en 1957, à la faveur de la fameuse loi-cadre Defferre organisant des conseils de gouvernement dans les territoires d’outre-mer, Ould Daddah est d’une ténacité qui force l’admiration. Dès son premier discours, en juillet 1957, il revendique le Sahara comme faisant partie de son territoire. Il reste sur sa position jusqu’au 7 décembre 1975, date à laquelle ses troupes entrent en « guerre de réunification nationale ». Le cessez-le-feu sera signé après sa chute.
Le Maroc menaçant d’annexer la Mauritanie, Ould Daddah déjouera tous les pièges. En mars 1960, à Washington, alors que le Maroc s’active à lui fermer les portes des investisseurs, il obtient de la BIRD un prêt de 66 millions de dollars lui permettant de renflouer les caisses de la Miferma, la société des mines de fer.
Face au Maroc, Ould Daddah ne courbera jamais l’échine. « Je ne céderai en aucun cas notre territoire », disait-il à qui voulait l’entendre. Confiant que « la France, compte tenu de ses intérêts stratégiques, économiques et politiques dans la région, ne laisserait pas le Maroc avaler la Mauritanie ». Le souverain chérifien sollicitera le général de Gaulle, Houphouët-Boigny, Senghor et même le leader ghanéen Kwame N’krumah, figure emblématique de l’époque. Ould Daddah refuse toutes les propositions. « Une fédération ou confédération avec notre pays ? Non ! La Mauritanie est indépendante, c’est tout. »
Le Mali a lui aussi des revendications sur la Mauritanie. Il s’agit des régions du Hodh, de l’Adrar et de l’Assaba, qui, jusqu’en 1944, faisaient partie du Soudan français. Le dossier ne sera clos qu’en 1963. L’année suivante, il invite Modibo Keita, son homologue malien, à Sélibaby, dans le Guidimaka, qui compte des populations de part et d’autre de la frontière.
Ould Daddah a toujours voulu faire de la Mauritanie un trait d’union entre le monde arabe et le monde africain. C’est pourquoi, disait-il, il refusera à la fois et la Fédération du Mali, qui regroupait le Mali et le Sénégal, et le rattachement au Maroc. Sa devise : « Coopération poussée avec les uns et les autres, oui. Adhésion, non ! »
Le choix de Nouakchott, cent cinquante habitants en 1957, comme capitale n’est pas fortuit. Il vise à s’éloigner du Maroc, du Mali et du Sénégal, qui perçoivent toujours la Mauritanie comme un prolongement de leurs administrations.
Ould Daddah se dote d’un pouvoir exécutif fort, seule solution pour un État naissant qui ne peut se donner le luxe de l’instabilité et des incohérences gouvernementales. Aussi choisit-il le régime présidentiel pour couper l’herbe sous le pied des tribus qui songeaient à le destituer. Le parti unique, qu’il instaure, fait aussi barrage aux velléités tribales. À la tête d’un pays sans cadres, Ould Daddah fait appel aux jeunes qui sortent des écoles ou même qui poursuivent encore un cursus, à l’image de son ministre des Affaires étrangères Hamdi Ould Mouknass, qui soutiendra sa thèse de doctorat en droit entre deux ordres de missions, à Paris en 1968.
Ses compatriotes noirs, qui se sentent lésés par l’accaparement de l’appareil administratif par les Maures, exposent au président leurs doléances : un poste de vice-président qui leur écherrait de droit. Ould Daddah accepte l’idée d’un exécutif bicéphale. Mais les communautés ne parvenant pas à s’entendre, l’Assemblée nationale sursoit la décision dès le 8 mai 1959.

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Ould Daddah opérera tout de même un dosage. Dans les régions « noires » du Fleuve, les administrateurs sont maures, pendant que dans l’Est et dans les Hodhs il envoie des Peuls et des Soninkés. Mais la marginalisation de la composante noire deviendra visible avec l’imposition de l’arabe comme première langue. Pendant la période coloniale, les Maures envoyaient peu leurs enfants à « l’école du Blanc ». La crise linguistique aboutit aux événements de février 1966. Des affrontements entre élèves noirs et arabes feront des morts.
En 1973, Ould Daddah dénonce les accords de coopération militaire avec la France avant de nationaliser la Miferma en 1974. Dans le même temps, il lance une lutte féroce contre la corruption et limite les prérogatives tribales. Ce sont là des mesures qui contribueront à sa chute.
Sur le plan international, Ould Daddah est applaudi pour ses idées panafricanistes. Grâce à une diplomatie active, il fera respecter la Mauritanie sur la scène internationale.
À la lumière de ce qui vient d’être dit, on l’aura compris, j’ai préféré mettre l’accent sur les acquis. Ould Daddah fut le bâtisseur de la Mauritanie. Et son intégrité reste sans égale dans ce pays de plus de 1 million de km2 de dunes. Qu’il repose en paix, amen.

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