Emma Camara : Une « repat’ » ambitieuse qui ne regrette pas son retour en Afrique

Après toute une vie en Occident, Emma Camara – dirigeante d’une agence de communication – a décidé de s’installer en Guinée-Conakry, en avril dernier. Rencontre.

EMMA CAMARA

EMMA CAMARA

Publié le 15 février 2018 Lecture : 8 minutes.

De passage à Paris pour deux semaines, Emma Camara a troqué ses belles robes colorées pour un manteau gris et une écharpe empruntée à sa tante. Loin d’apprécier ce froid hivernal, elle est venue dans la capitale française pour des rendez-vous professionnels. La femme d’affaires de 30 ans « et des poussières » dispose d’ailleurs d’un CV bien rempli.

Diplômée d’un master en communication à Paris, Emma Camara a démarré sa carrière par un stage chez Universal Music. De fil en aiguille, elle a monté les échelons et a vécu deux ans en Inde. Passionnée de musique, elle organisait des concerts internationaux puis s’est reconvertie en chargée de partenariats dans une fédération de sport en 2006 avant de collaborer avec L’Oréal pour certaines missions. Sa carrière s’est poursuivie chez Nestlé pendant quatre ans, où elle a officié en tant que chargée de la communication. C’est à ce moment-là qu’elle se remet en question.

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Emma Camara a parallèlement toujours été engagée dans la vie associative. Elle a même fondé, il y a une dizaine d’années, sa propre organisation : Les passerelles de Rosa. Une structure œuvrant pour la diversité culturelle, accompagnant les jeunes de banlieue. Une fois sa licence des managements des ONG en poche et après avoir effectué un stage à l’Unesco, toujours à Paris, la consultante décide de lancer son agence de communication Emma & Camara Communications en 2015. Elle s’immatricule en 2017  pour soutenir les jeunes porteurs de projets et cette jeunesse issue de la diversité et des quartiers.

Pourquoi avoir choisi de retourner dans votre pays d’origine et de développer une agence de communication là-bas ?

J’ai toujours eu un attachement à la Guinée de par mes parents, ma famille… Et puis j’y suis née. Je suis arrivée en France à l’âge de 5 ans. Après mes 15 ans, j’y allais pendant les vacances mais il n’y avait pas de confort pour que je puisse ne serait-ce qu’apprécier mes vacances.

Ces dernières années, j’avais également remarqué une nouvelle émergence. Le pays était plus stable et se développait économiquement avec des investisseurs étrangers.  J’avais envie de contribuer à ce développement. Et puis le terrain était vierge, le champ : libre ! J’y ai vu la possibilité de m’épanouir et beaucoup d’opportunités. Je me suis rendue compte qu’en France j’avais beaucoup de contacts, de sollicitations, mais que je travaillais seule. Je me suis dit que je pouvais créer de l’emploi dans un pays où la jeunesse avait vraiment besoin de mes compétences.

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C’est pour cela qu’en Guinée je fais aujourd’hui de l’insertion professionnelle. Je forme et donne la possibilité à des jeunes qui sont exclus du marché du travail, en les aidant à trouver des stages ou une vraie formation. Quand je le peux, j’embauche. Mais dans tous les cas, je les aide à trouver leur propre emploi. C’est ce qu’on appelle de l’entrepreneuriat social. Ce qui est, je pense, une des solutions pour la croissance d’une économie inclusive dans ce pays.

Aller en Guinée pour les vacances et y vivre, ce n’est pas la même chose. Comment vous-êtes vous préparée à vivre cette transition, d’un point de vue culturel notamment ?

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Oui le choc est là et il ne faut pas le nier. Je n’ai pas évolué dans le même environnement culturel, philosophique etc. Les Guinéens n’ont pas la même vison que moi sur des questions communes comme le mariage ou l’excision par exemple. Je ne savais pas que c’était un phénomène aussi répandu en Guinée.

J’essaie de « m’adapter ». En fait, je ne me révolte pas quand quelque chose ne correspond pas à ce que je veux ou à ce que je pense. Je fais en sorte de faire évoluer les mentalités en expliquant, en sensibilisant. Je ne viens pas en confrontation.

Quand je suis arrivée à Conacry, je savais que l’électricité n’était pas… fiable. On appelle ça « tour-tour », ça s’allume d’un quartier à un autre. Ce n’est pas quelque chose qui va m’empêcher de travailler.  Il y a de la pollution, la poussière dans les yeux… cet d’autres codes. Je ne savais même pas comment recharger mon téléphone !

Je pars du principe qu’on n’est pas expatrié dans son pays d’origine. En fait c’est notre environnement naturel. Il faut y aller avec la bonne onde positive sans croire ou penser – parce qu’on est allé à l’extérieur- qu’on est incompatible avec les locaux. Certains pensent même que, parce qu’on vient de l’extérieur, le gouvernement devrait faciliter notre retour. Ce n’est pas mon avis.

Qu’avez-vous fait en Guinée à votre arrivée ?

Au début j’ai travaillé bénévolement pendant sept mois pour bien m’imprégner du terrain et de ses réalités. Je me suis installée chez une cousine qui a bien voulu m’héberger en attendant que je trouve en colocation avec une autre repat’.

J’ai trouvé important de me faire accepter par les preuves. On souffre d’un manque de légitimité. J’ai souvent entendu : « ce n’est pas parce que tu viens de l’extérieur que… », ou « ne viens pas faire ta toubabo ici ! ». Alors que je n’ai jamais voulu être en compétition. On ne s’en rend peut-être pas compte mais nous, les « repats », adoptons peut-être des attitudes qui laissent penser qu’on se croit supérieur.

Pour autant, le retour était une bonne décision. J’ai eu plus de considération en Guinée qu’en France. En quatre mois à Conakry, j’ai aidé à l’organisation d’un festival de 15 artistes à Boké, j’ai mené deux actions de sensibilisation contre la violence, j’ai monté l’agence de communication E&C, j’ai créé une équipe solide, j’ai participé à deux commissions de développement de programmes gouvernementaux, j’ai animé deux ateliers, une conférence et une formation à la communication, gestion de projets, et à la création d’entreprise. J’ai été interviewée sur deux chaînes télé et trois radios. Et j’ai surtout décroché des contrats !

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En tant que « repat », vous sentez-vous chargée d’une responsabilité envers le continent ?

Oui je veux mettre mes compétences au service de l’Afrique. Il y a une jeunesse qui a vraiment envie d’évoluer, d’apprendre, il y a des jeunes entrepreneurs que j’ai rencontré via un collectif qui s’appelle ecafé. Ce sont des génies pour moi. Il y a des talents, de la créativité, de la débrouillardise aussi.

J’aimerais faire un hub digital en Afrique de l’Ouest et permettre à Conakry de devenir une vraie capitale digitale. On peut développer une application mobile là-bas.

Je collabore avec des étudiants diplômés, je suis venue chercher des investisseurs en France. L’idée est que le client se rende compte qu’il a aussi un impact social, que grâce à lui, je vais embaucher ou former quelqu’un.

Quelles ont été les difficultés rencontrées en tant que « repat’ »  ?

Ce qui est normal pour nous ne l’est pas forcément pour quelqu’un d’autre. Ça, je l’ai bien compris lorsque je travaillais bénévolement. Personnellement, cela me rendait folle quand on me disait « j’arrive » et qu’on mettait littéralement deux heures à venir. C’était difficile de travailler dans ces conditions-là, j’avais des crises de nerfs absolues. Si t’as le malheur de t’énerver, ils vont dire « mais elle est hystérique, elle est folle ». Au début, je pleurais. J’avais l’impression qu’ils ne me comprenaient pas.

Autre exemple, là-bas une personne, avant de te rendre un service, va essayer de se faire un billet sur toi. Tout le monde attend quelque chose en retour. J’ai eu du mal mais j’ai fini par l’accepter. Quand je suis partie faire mon passeport et qu’il fallait récupérer un papier gratuit, j’ai dû payer ! Parfois tu vas à la banque et l’hôtesse d’accueil est capable de tout laisser pour se rendre à un mariage… C’est surréaliste pour moi, parfois je n’en reviens toujours pas, mais je le prends avec plus de sourire. Sur ma page Facebook, on m’envoie des « coucou » ou des « salut ma grande » pour postuler… Ce n’est pas comme ça qu’on communique (rires) !

Aujourd’hui vous avez su vous adapter. Vous ne connaissez plus le stress de la vie parisienne. Votre qualité de vie a-t-elle évolué ?  La diaspora se mélange-t-elle à la population locale ?

Je peux dire que ma qualité de vie a évolué même si la vie est chère et que la pauvreté est bel et bien présente. Là-bas, on a un personnel pour nous aider à la maison. C’est un gain de temps considérable !

A un moment, je gagnais 200 euros par mois avec un job local en dessous de mes compétences. Je l’ai quand même accepté parce que c’est le salaire moyen d’un fonctionnaire en Guinée. J’avais aussi mes économies et la chance d’avoir mes clients français qui m’aidaient. En toute honnêteté, avec mon style de vie je pouvais m’en sortir pour 800 euros par mois. Mon style de vie en Guinée, c’est parfois me faire des plaisirs très simples, aller dans des endroits un peu retirés du pays ou au Sheraton pour manger avec des amis. On a accès à des endroits magnifiques, je voyage souvent.

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On se rencontre parfois avec la diaspora, ça fait juste du bien d’être avec des gens qui te comprennent, qui ont regardé le Club Dorothée avec toi, qui ont vraiment les mêmes références. Mais il est important de se mélanger sinon ce n’est pas enrichissant. J’essaie d’être le plus souvent avec des locaux : devant la maison , dehors avec les gens qui cuisinent, les enfants qui passent pour discuter…

Quel regard portez-vous sur le mouvement « repat’ » en Afrique et croyez-vous que la diaspora guinéenne soit prête à rentrer au pays ?

En ce qui concerne la Guinée, je crois que la diaspora n’est pas prête pour un retour. J’ai observé deux types de diaspora. La première, ce sont les enfants nés à l’étranger, qui ont grandi éloignés du pays et sont quasi déracinés. Les autres ont grandi longtemps en Guinée et sont partis uniquement pour les études. Eux, ils ont une expérience avec le pays qui laisse parfois de mauvais souvenirs. Parmi ce type de profils, j’en rencontre beaucoup qui sont dégoutés du pays. Il faut les comprendre… quand tu as vécu 18 années sans électricité, tu n’as pas envie de quitter l’Occident.

Alors que chez les déracinés – je me mets dans cette catégorie-, pour eux tout est parfait, merveilleux. Ils sont tellement contents d’être Africains, de rentrer au pays. Pour moi la Guinée, c’est tellement nouveau que j’accepte les côtés négatifs. Je les vois, je les dénonce mais tout n’est pas noir.

Je pense que le mot « repat’ » ne concerne pas la vraie diaspora mais celle de la nouvelle génération, les enfants qui ne connaissent rien à l’Afrique et ont quand même envie d’y aller. Peut-être qu’on est naïfs mais on n’est pas imprégné de cette négativité malgré tout le mal qu’on nous dit du pays. Nous, on y va. On agit !

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