Les privés à la rescousse

Lancé il y a quinze ans, le mouvement de privatisation va s’accélérer. Le souci de rentabilité n’empêchant pas une certaine prudence.

Publié le 27 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

La Tunisie a engagé au cours des quinze dernières années d’importantes réformes dans les domaines de la libéralisation du commerce extérieur, des incitations à l’investissement et de la privatisation des entreprises publiques. Pourtant, la contribution des entreprises privées à l’investissement n’atteint encore que 53,9 %, taux moyen réalisé au cours du IXe Plan de développement (1997-2001), et la part de l’investissement privé dans le PIB n’a pas dépassé 65 %. Ces performances restent très inférieures à celles enregistrées, sur la même période, par les pays du Sud-Est asiatique, de l’Europe de l’Est ou de l’Amérique latine (de 75 % à 77 %), dont le niveau de développement et le rythme de croissance économique sont comparables à ceux de la Tunisie. Pour rattraper ce retard, les experts du ministère du Développement et de la Coopération internationale ont préconisé trois « solutions » complémentaires : l’assouplissement du marché du travail, l’élimination des restrictions à l’investissement et l’accélération du processus de privatisation. Ils espèrent ainsi porter ce taux à 58,5 % à la fin du Xe Plan (2002-2006).
Cet objectif est ambitieux, mais pas irréalisable. L’économie tunisienne est suffisamment outillée pour relever le défi. Le programme de privatisation pourrait aussi l’y aider. En accélérant le désengagement de l’État des secteurs concurrentiels, ce programme aide le secteur privé à améliorer l’efficacité de l’économie et à consolider son ouverture sur l’extérieur. Il contribue aussi à réduire la pression sur le budget de l’État découlant du soutien accordé à certaines entreprises publiques et à procurer à celui-ci des recettes additionnelles lui permettant de faire face aux dépenses d’éducation, de santé, d’infrastructure, etc.
De fin décembre 1987, date du démarrage du programme, à la fin d’août 2003, 168 entreprises publiques ont été cédées et/ou restructurées. Près de la moitié d’entre elles ont été privatisées totalement (87 unités), 18 % l’ont été partiellement (31 unités), 23 % ont été liquidées (38 unités), 6 % ont ouvert leur capital à l’épargne populaire par offre publique de vente (10 unités) et 1 % ont été cédées sous le régime de la concession (2 unités). Ces opérations, qui ont touché des entreprises opérant dans les secteurs des matériaux de construction, des industries mécaniques et électriques, de l’énergie, des services (hôtellerie et transport) et des communications, ont généré des recettes globales estimées à 2,346 milliards de DT (1,7 milliard d’euros).
Parmi les opérations les plus rentables en termes de recettes, on notera les cessions de quatre cimenteries pour un montant global d’environ 790 millions de DT (565 millions d’euros). Elles s’établissent comme suit :
l la Société Ciment d’Enfidha (SCE), acquise par le groupe espagnol Uniland pour un montant de 168 millions de DT ;
l la Société Ciment de Gabès (SCG), achetée par le groupe portugais Secil pour 331 millions de DT ;
l la société Ciment Jebel-Oust (CJO), cédée à l’entreprise portugaise Cimpor pour la somme de 241 millions de DT ;
l la société Ciment artificiel de Tunisie (CAT), acquise par le groupe italien Colacem pour 50 millions de DT.
Les quatre autres opérations importantes ont été réalisées dans le secteur des services. Elles ont généré une recette globale d’environ 870 millions de DT (620 millions d’euros), répartie comme suit :
l attribution sous régime concessionnaire d’une seconde licence de GSM (la première étant exploitée par l’opérateur public Tunisie Télécom) à Orascom Telecom, un holding égyptien, pour un montant de 680 millions de dinars ;
l rachat de 53,31 % du capital du groupe hôtelier tunisien Tourgueness par la Libyan Arabe Foreign Investment Company (Lafico), pour 63,7 millions de DT ;
l concession du réseau des free-shops des aéroports tunisiens à la société suisse Weitnauwer pour 24,7 millions de DT ;
l acquisition de 52 % du capital de l’Union internationale de banque (UIB) par la banque française Société générale (SG) pour une enveloppe de 102,7 millions de dinars, l’UIB devenant ainsi la première institution bancaire privatisée.
Pour l’année en cours, 34 entreprises sont inscrites au programme établi par la Direction générale de la privatisation (DGPV) : 16 sont industrielles, 4 agricoles et 15 relèvent du secteur des services, dont 8 hôtels et une seconde banque (la Banque du Sud), qui devrait céder 68 % de son capital. Plusieurs banques étrangères sont sur les rangs.
Les prévisions du Xe Plan de développement (2002-2006) tablent sur la cession de 185 nouvelles entreprises et sur des recettes globales de 827 millions de DT, soit une recette annuelle moyenne de 165 millions de DT. Si les entreprises les plus performantes (comme les cimenteries) ont déjà été privatisées, celles qui restent à céder ne manquent pas d’atouts. Pour donner un attrait supplémentaire au programme, l’État s’apprête à ouvrir aux opérateurs privés certaines activités qui étaient, jusque-là, un monopole public, notamment la construction et l’exploitation des aéroports, des ports et des autoroutes, le transport interurbain (le transport urbain est déjà ouvert au privé), les télécommunications (avec, notamment, l’ouverture du capital de l’opérateur public Tunisie Télécom), l’enseignement supérieur, l’aménagement et l’exploitation de zones industrielles, la construction et la gestion des stations de traitement des eaux usées et des déchets solides, des usines de dessalement d’eau de mer et autres projets relatifs à l’environnement…
Des projets de ce type seront proposés en concession. Ils portent sur la construction de deux ports en eau profonde, dont l’un à Sousse, d’une station d’épuration de Tunis-Ouest et d’une autoroute. Par le biais de concession BOT (Build, Operate and Transfer), l’État s’apprête aussi à céder à des opérateurs privés internationaux la construction de l’aéroport d’Enfidha (Centre), dont le coût est estimé à plus 600 millions de dinars. Une troisième centrale électrique sera confiée en concession à British Gas, qui exploite des champs gaziers au large de Gabès (Sud). Elle sera construite à Ghannouch, au sud du pays. Les deux premières sont celles de Radès II, dans la banlieue sud de Tunis, cédée en concession de vingt ans à un consortium formé des entreprises américaine PSEG et japonaise Marubeni, réunies dans une société tunisienne appelée Carthage Power Company (CPC), et de Zarzis-Bibane, dans le Sud, toutes deux entrées en fonction l’année dernière.
La part des investissements étrangers dans la recette globale des privatisations s’élève à 1,753 milliard de dinars (1,2 milliard d’euros), soit 76 % du total. Ils sont répartis entre l’industrie (44,5 %) et les services (55,5). « Il ne faut pas seulement investir plus, mais mieux, c’est-à-dire dans des projets à haute valeur ajoutée technologique, explique Férid Charfi, directeur des Secteurs productifs au ministère du Développement économique et de la Coopération internationale. Les investissements étrangers nous aident à réaliser cet objectif de qualité en contribuant, notamment, au développement du management productif, au transfert de technologie et au développement de l’exportation. »
Deux enquêtes réalisées successivement en 1998 et en 2000 ont démontré que la majorité des entreprises privatisées ont accru leur chiffre d’affaires, réinvesti une part de leurs bénéfices et augmenté leur nombre d’employés. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

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