Joana Choumali : la thérapie par l’image

A l’occasion de la foire de l’art contemporain africain AKAA, ITC a rencontré Joana Choumali à Paris. La photographe ivoirienne a su s’imposer sur la scène internationale grâce à ses images sans pareil. Celles-ci l’ont transformée. Rencontre.

JOANA CHOUMALI

JOANA CHOUMALI

Publié le 14 novembre 2017 Lecture : 6 minutes.

Devant ses tableaux, les bras derrière le dos, elle parle avec les nombreux visiteurs qui déambulent dans le Carreau du Temple (Paris, 3e). Certains s’arrêtent cinq minutes, d’autres plus longtemps, mais tous s’accordent pour dire qu’une émotion s’empare d’eux quand ils observent le travail de Joana Choumali. Ses photographies présentées lors de la seconde édition d’AKAA, Also Known As Africa, sont délicates, intimes. Le nom de la série ? Ça va aller. Une expression connue du peuple ivoirien et familière à toute personne optimiste, comme Joana.

Une femme de 43 ans sensible, résiliente et  – on le répète – optimiste. « C’est vrai qu’on retrouve toujours une part de positivité dans mes travaux, c’est quelque chose que je ne peux m’empêcher de faire » avoue-t-elle le sourire aux lèvres.

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Tout a commencé à  l’âge de douze ans. Son regard était attiré par les formes, la composition et les couleurs des belles images montrées dans les magazines. Elle les collectionnait, les découpait et créait « un genre de scrapbooking ». Le déclic, elle l’a eu lorsqu’elle a entendu  le « clic » de l’appareil du photographe venu chez elle pour le portrait de famille officiel. « Je l’ai vu travailler et j’ai trouvé ça tellement passionnant. Je me suis mise à rêver de faire des photos de carte postale » se remémore-t-elle.

Joana passe à l’action dès ses treize ans et demande un appareil photo pour Noël en 1987. Elle immortalise les anniversaires, les visages de ses amis et des membres de sa famille. Comme sa passion, Joana grandit mais part étudier la communication graphique à Casablanca (Maroc), puis revient sur sa terre natale et rejoint une agence de publicité. Sa fibre artistique et son amour de la photo lui font changer de carrière. Joana Choumali devient photographe à plein temps et ouvre son propre studio en Côte d’Ivoire.

Elle qui pensait uniquement capturer des choses sans laisser de message – « je faisais ce que je ressentais et puis voilà » –  a réalisé que ses différentes séries étaient liées entre elles. Pour une simple raison. « J’ai compris que je cherchais quelque chose. Et qu’à travers mon œuvre j’essayais de répondre à des questions que je me posais ».

La photographie, son remède face au manque de confiance en soi 

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Non, Joana n’a pas trouvé toutes les réponses. La photographie l’a aidée à satisfaire des besoins personnels et émotionnels dont elle n’était pas consciente au début comme le rapport à son corps et à sa féminité : « En tant que femme, j’ai appris à m’accepter, à être moins exigeante envers moi-même grâce au  projet Nappy ! » dit-elle avec soulagement.

En 2008, elle s’est intéressée à ces femmes africaines qui portent fièrement leurs cheveux crépus. À son grand étonnement, Joana est impactée par sa série photo : « c’était à une époque où tout ça n’était pas encore populaire. Au fur et à mesure que je travaillais dessus, je me suis rendue compte que je parlais aussi de moi. Je m’incluais dans cette démarche et j’ai coupé mes cheveux. Je ne les ai plus jamais défrisé depuis ce jour. Ça va bientôt faire 10 ans ».

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Puis il y a eu Emotions à nu, des photos montrant la diversité des corps de la femme noire. D’une voix douce, elle se livre : «  ça m’a permis, d’un point de vue vraiment personnel, de me dire que finalement le corps est beau sous toutes ses formes. Je n’ai peut-être pas besoin de me mettre au régime et de me tenir à des canons de beautés qui sont, ma foi, bien dérisoires quand on voit le corps féminin avec un grand ″C″». Rassurée et apaisée, parce qu’elle a su voir la beauté de ces femmes, Joana a depuis cessé de faire des efforts pour rentrer dans la norme.

Née d’un père ivoirien et d’une mère hispano-équato-guinéenne, elle embrasse aujourd’hui toutes ses cultures. Un acte qui semblait impossible pour les femmes de son projet Résilients : « J’ai photographié des Abidjanaises qui ne se sentaient pas en lien direct avec leur culture africaine et qui, pour certaines, ne parlaient pas la langue ou avaient grandi dans un pays différent du leur. Finalement, je pose une question à travers le projet : être africain, qu’est-ce que c’est ? ». Est-ce qu’on est pleinement africain lorsque l’on maîtrise sa langue traditionnelle ? Ou uniquement quand on porte le pagne ?

Pour Joana Chamouli, être africain est un état d’esprit. « J’ai souffert de ne pas être celle que l’on s’attend à voir quand on imagine les stéréotypes de la jeune femme africaine. Ce projet m’a permis d’être un peu plus en accord avec moi-même. J’ai rencontré d’autres femmes dans la même situation qui n’étaient pas celles que l’on attend d’une femme africaine. Et alors ? » Aujourd’hui Joana considère qu’il faut arrêter de s’excuser de ne pas rentrer dans telle ou telle case.

« J’ai souffert de ne pas être celle que l’on s’attend à voir quand on imagine les stéréotypes de la jeune femme africaine ».

La photographie, son moyen d’ouvrir le dialogue pour trouver des solutions 

Joana utilise la photo pour explorer ce qu’elle ne connaît pas, ce qui l’intrigue. A travers son art, elle s’attache à retranscrire ce qu’elle ressent sans rien cacher mais aussi ce qu’elle trouve. Tout cela dans le but d’entamer une conversation avec l’Autre. L’Afrique l’inspire, alors elle la photographie. Lorsque l’on prononce les deux mots  « Côte d’Ivoire » elle pense directement avec joie : « Mon pays, ma terre , mon peuple. Je suis extrêmement fière d’être Ivoirienne. Ce que j’aime dans ce pays c’est qu’il est plein de contraste ». Et de poursuivre : « Je crois aussi que la Côte d’Ivoire est une terre d’accueil, d’échange, c’est une terre bénie et c’est un pays qu’on oublie jamais. Il y a quelque chose de vraiment spécial en Côte d’Ivoire parce que tous ceux qui viennent sont marqués. Que ça soit positif ou négatif. »

Connue pour raconter son pays à travers des portraits remarquables, Joana a été meurtrie dans son âme suite à l’attentat de Grand-Bassam le 13 mars 2016. Accablée, elle n’est pourtant pas restée les bras croisés. Avec beaucoup d’émotion dans la voix, Joana raconte qu’elle a « commencé Ca va aller deux semaines après l’attaque. Je me suis rendue à Bassam et j’ai fait des photos de la ville ». Une mélancolie et grande tristesse régnaient dans l’atmosphère. Sur les différentes photos qui composent la série, on voit ces habitants marchant seul, la tête baissée et dos à l’image. Joana est rentrée chez elle et a brodé sur les photos. «  C’était une forme de thérapie pour moi, par rapport au choc que j’avais reçu en sachant que la ville de Bassam est l’endroit le plus sécurisé dans notre esprit ».

Avec Ça va aller, elle interroge sur la façon dont la souffrance ou les états émotionnels et psychologiques sont traités sur le continent noir. « En général, on s’assoit sur les problèmes et on dit « ça va aller » et on ne les formule pas alors que la plupart des personnes qui ont été interviewées après l’attaque parlaient de la guerre de 2011…ce qui veut dire qu’il y a encore des blessures qui n’ont pas encore été soignées ».

Elle plisse sa robe, regarde droit devant elle et reprend : « Comment est-ce qu’on pourrait faire aujourd’hui pour changer les choses, faire de telle sorte que les gens réalisent ce que c’est que la souffrance psychologique et que la maladie ou les blessures ne sont pas forcément visibles. Pas forcément physiques. Et qu’on peut aussi souffrir et être blessés psychologiquement. Qu’est-ce qu’on fait pour les soigner ? » demande-t-elle.

Des questions qui attentent et méritent des réponses. En attendant, telle une optimiste qui «  se relève toujours des épreuves même après un choc », Joana croit qu’il est possible de faire jaillir quelque chose de positif de tout cela. La preuve, avec le projet Ça va aller présenté en décembre au Bamako Festival et à la foire d’art contemporain AKAA, à Paris.

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