ITC- Aude Nyadanu : « Être une femme issue de l’immigration dans les sciences renvoie un message fort »
Le 11 octobre 2017 a lieu la remise des bourses France L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science, qui a notamment récompensé la jeune chercheuse Aude Nyadanu.
Petite, elle ne posait qu’une seule question : « Pourquoi ? ». Aude Nyadanu voulait tout comprendre et tout savoir. À quatre ans, elle apprend à lire. A six ans, elle choisit comme cadeau de Noël un laboratoire de chimie pour enfant et réalise ses premières expériences dans sa chambre. Son père, un cadre originaire du Togo, et sa mère, une infirmière berckoise (Pas-de-Calais, France), ont très vite été sensibles à son désir de comprendre la nature. Visites à la Cité des sciences, abonnement au magazine Science et Vie Junior… Petit à petit, l’envie de soigner les gens et travailler dans la santé s’empare d’elle.
Alors sans surprise, en 2009, Aude décroche son bac S à 16 ans puis intègre une classe préparatoire composée de 20% de filles dans le prestigieux établissement parisien Louis-le-Grand. Elle réussit les concours d’ingénieurs haut la main et rentre ensuite à Polytechnique en 2011 pour obtenir son master en chimie moléculaire quatre ans plus tard. Là encore, le pourcentage d’étudiante est faible.
Lorsqu’on lui demande pourquoi la chimie, Aude Nyadanu répond avec une conviction : « Faire des médicaments veut dire guérir des gens. Je me suis toujours dit que je n’exercerais pas un métier qui ne sert à rien. Je veux être utile à la société et avoir un impact positif sur elle. Il y a aussi l’influence de ma mère qui a longtemps travaillé pour l’organisation Médecins Sans Frontières. J’ai toujours été admirative. Je ne veux pas gâcher mon temps, je vais le donner pour qu’il serve ».
Aujourd’hui la chercheuse en chimie, basée à Toronto jusqu’au mois de décembre pour ses études, travaille sur la production de médicaments plus écologiques et économiques. Une thèse réalisée en codirection avec le laboratoire de synthèse organique de l’école Polytechnique et le Laboratoire P.A.S.T.E.U.R de l’École Normale Supérieure.
Jeune Afrique : 28 % des chercheurs dans le monde sont des femmes. Que représente pour vous cette bourse France L’Oréal-Unesco ?
Aude Nyadanu : C’est un énorme honneur ! Elle valorise 30 filles sur 1 000 candidatures et en faire partie est vraiment incroyable ! Être visible en tant que femme, mais aussi en tant que femme issue de l’immigration, dans les sciences renvoie un message fort.
Cela montre qu’on existe. Les jeunes filles qui s’intéressent aux sciences et qui ont de l’ambition doivent savoir qu’elles ont les ressources pour y arriver même si c’est un milieu dans lequel on n’a pas l’impression d’avoir notre place. J’espère qu’il y aura de plus en plus de femmes et de femmes issues de l’immigration dans les sciences.
Ce n’est pas la première fois que vous êtes distinguée. A seulement 24 ans, vous en êtes déjà à votre troisième récompense !
Oui, la première était un peu similaire car c’était pour encourager les filles dans les sciences. En terminale, j’avais reçu le prix de la vocation scientifique et technique des filles : un prix de 1000 euros pour nous pousser à intégrer les milieux très peu féminisés. J’ai eu un autre prix en communication scientifique lors de ma participation au concours Francosphères organisé par la Cité Internationale Universitaire de Paris et par l’université de Montréal. L’année dernière, j’ai réalisé une vidéo qui vulgarisait ma thèse en 5 minutes pour que tout le monde puisse comprendre. Je suis repartie avec le prix du public et celui du jury. Grâce à cela, j’ai pu m’envoler pour Montréal et visiter des laboratoires, rencontrer des gens du métier. Cela me tient à cœur de diffuser les sciences.
Vous passez des années sur vos recherches en espérant trouver quelque chose. Qu’est ce qui vous motive ?
La curiosité me motive depuis toujours ! J’ai envie d’apprendre et de découvrir de choses. Si je trouve un nouveau dispositif au laboratoire, j’y mets toute ma curiosité. J’ai tout de suite envie de creuser et d’en savoir plus.
Pour faire de la recherche, il faut être très résilient… Le principe de base de la recherche, c’est que cela ne fonctionne jamais (rires) ! Les manipulations que je fais ne fonctionnent pas, à 80% du temps. Il faut toujours revenir avec un espoir et toujours refaire, tenter autre chose, s’acharner. On peut rapidement retourner à la case départ, donc il faut persévérer pour obtenir un bon résultat.
Quels sont les défis ou difficultés qui se présentent à vous en tant que femme, et en tant que femme métisse dans ce domaine ?
Aujourd’hui je n’ai pas l’impression d’avoir des difficultés particulières. Dans les laboratoires où je travaille, les gens accordent la même importance à chacun.
Par contre, plus jeune, j’ai souffert de l’absence de rôles-modèles. Quand j’allumais la télé, les seuls scientifiques que je voyais étaient toujours des hommes, des vieux, des Blancs. Je n’avais pas l’impression d’avoir ma place. Personne ne me ressemblait, même dans les films ou les bouquins.
En terminale, des professeurs me disaient « Tu veux faire une classe préparatoire ? Mais il y a énormément de pression ! Tu vas être sensible, tu vas pleurer tout le temps ». On n’a jamais dit de telles choses à mes camarades du sexe opposé.
Tout cela peut être frein, mais j’ai eu la chance d’être éduquée en entendant de la bouche de mes parents : « Quand tu veux, tu peux. » Ils m’ont toujours soutenue.
Si on ne grandi pas dans ce type d’environnement, si on n’a pas la chance d’être encouragé.e, c’est quand même très difficile de se lancer parce qu’on a l’impression que c’est impossible. Les statistiques attestent le nombre supérieur de garçons et de « fils de chercheurs ».
A votre avis, comment parvenir à plus d’égalité homme-femme dans les sciences ?
Il y a plein de choses à faire, mais la première est la sensibilisation des jeunes filles dès leur plus jeune âge. Il faut leur permettre de comprendre qu’elles sont capables. Il faut qu’on arrive à encrer dans toutes les mentalités qu’on a les mêmes capacités, qu’on soit un homme ou une femme. On peut tous réussir dans les sciences.
Le cliché des filles nulles en mathématiques et qui n’y arrivent pas nous bloquent. Cette fixation s’auto-alimente car on croit être nulle, alors on le devient. Il faut briser ce cercle vicieux. Si on a plus de femme dans les sciences, donc plus de femmes à des postes à responsabilités, l’égalité évoluera d’elle-même, et il y aura moins de barrières et de préjugés comme « les femmes n’ont pas la poigne » ou « elles ne savent pas gérer la pression ».
C’est donc ce message de sensibilisation que vous apporterez aux élèves lors de vos interventions dans les collèges et lycées avec la Fondation L’Oréal?
Exactement. J’avais déjà participé à des initiatives similaires avec l’association Paris-Montagne, qui permet à des jeunes lycéens qui s’intéressent aux sciences de passer une journée dans un laboratoire. J’ai fait cela pendant deux ans et j’ai accueilli quatre filles dans mon laboratoire. Je leur répétais tout le temps que si cela leur plaisait, elles pouvaient le faire. Je leur rappelais qu’au lycée, j’étais exactement comme elles.
À quoi servira cette bourse de plusieurs milliers d’euros et quels sont vos projets futurs ?
J’ai lancé le projet Lowpital (contraction de « Low tech » et « hôpital) en parallèle de ma thèse. C’est un projet entreprise qui organise des hackathons santé. Le principe est de ramener des personnes de tous les horizons et formations, qui ne se connaissent pas et passeront 48 heures ensemble sur un sujet pour essayer de proposer des solutions innovantes. Je ne souhaite pas forcément des choses high tech mais concrètes à appliquer facilement dans l’immédiat. J’ai choisi le sujet du quotidien à l’hôpital. Beaucoup d’efforts sont visibles sur les traitements, ma thèse sur la fabrication des médicaments en témoigne, mais on oublie parfois le bien-être, le confort et l’angoisse du patient. Sans oublier les conditions de travail du personnel soignant.
La bourse me servira premièrement à me rendre à des congrès. Quand on est scientifique, on a vraiment besoin de communiquer nos résultats et rencontrer d’autres professionnels du même domaine. J’aurai la chance de participer à un congrès en Floride avec plein de spécialistes en chimie.
Et d’un point de vue formation, j’aimerais bien compléter mon cursus par des études business ou finances pour pouvoir me projeter dans de la création d’entreprise. J’ai besoin d’avoir ces compétences qui me sont inconnues à cause de mon profil scientifique. J’aimerais faire une formation à HEC.
Si je peux combiner entrepreneuriat et chimie, ça serait l’idéal !
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