Contre le retard arabe

Publié le 27 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Coup de théâtre en Arabie saoudite. Elle organisera, dans l’année qui vient, ses premières véritables élections : aux conseils municipaux. La plupart des gens pensaient que la neige tomberait là-bas avant qu’on y organise des élections. Alors, que se passe-t-il ?
Il se passe que trois secousses sismiques ont ébranlé le système arabe. La première : les revenus du pétrole étant désormais ce qu’ils sont, il n’y a plus assez d’argent pour trouver des emplois à des populations arabes en pleine expansion. La deuxième est la guerre en Irak. Même avec tous les problèmes que l’on connaît aujourd’hui à Bagdad, à peu près tous les régimes autocratiques arabes se préparent à l’embarrassante éventualité qu’il y ait vers 2005 en Irak des élections libres, ce qui jettera l’opprobre sur ceux qui n’en ont jamais organisé. Comme le dit le président de l’université Harvard, Lawrence Summers, « un bon exemple vaut mille théories ». Et l’Irak pourrait être cet exemple.

Mais il y a une troisième secousse qui ébranle le monde arabe. Celle-ci est provoquée par un groupe de courageux sociologues arabes qui ont décidé, avec l’aide des Nations unies, de déclencher une guerre des idées sur l’avenir de la région en mesurant exactement le retard qu’elle a pris et en proposant un programme pour le combler. Leur première publication, le « Rapport 2002 sur le développement humain arabe », expliquait que les déficits de liberté et d’éducation, ainsi que la situation des femmes, l’ont laissé à ce point à la traîne que le Produit intérieur brut des vingt-deux États concernés était inférieur à celui d’un seul pays tel que l’Espagne. Même avec un accès limité à Internet, un million d’exemplaires de ce rapport ont été téléchargés, alimentant des débats internes.
Quand, à Amman, en Jordanie, ces mêmes chercheurs publieront leur second « Rapport sur le développement humain arabe », insistant sur la nécessité de rebâtir des « sociétés de connaissance » arabes, il risquera fort de ressembler à une autre bombe (voir p. 84).
Ceux qui y ont travaillé ne croient pas au modèle irakien de changement politique. Ils préfèrent l’évolution de l’intérieur. Mais ils pensent qu’il faut un profond changement. Ils sont convaincus que l’islam a une longue histoire d’absorption du savoir. Mais à l’époque moderne, une malheureuse alliance entre des régimes arabes répressifs et certains savants musulmans conservateurs a conduit à des interprétations de l’islam qui servent les gouvernements, mais restent hostiles au développement humain – en particulier la liberté de pensée, le rôle des femmes et la responsabilité des gouvernements devant leur peuple.

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Exemple : on publie dans cette région un grand nombre de livres religieux – plus du triple de la moyenne mondiale -, mais très peu d’ouvrages littéraires ou artistiques.
Les auteurs en sont convaincus : il y a un abondant capital humain arabe pour absorber du savoir spécifiquement arabe – voyez le nombre d’Arabes qui ont une activité de médecin ou de scientifique lorsqu’ils émigrent en Occident. Mais cette renaissance exige un investissement massif dans l’éducation, pour en finir avec les répétitions aveugles, et un ensemble de mesures indispensables dans les États isolés, pour encourager une plus grande interaction avec d’autres pays et d’autres cultures. Il faudrait, de même, lever les restrictions sociales et politiques imposées à la critique et à la presse, et importer des idées de l’étranger.
Quelle devrait être dans cette perspective l’attitude américaine ? Les États-Unis devraient cesser de parler de « terrorisme » et d’armes de destruction massive, et dire clairement qu’ils ne sont en Irak que pour une seule et unique raison : aider les Irakiens à mettre en pratique ces Rapports sur le développement humain arabe, de sorte que la guerre des idées puisse être menée de l’intérieur. Un seul bon modèle arabe, et ce n’est pas seulement en Arabie saoudite que l’on aura des élections municipales.

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