Nadeen Mateky : « On porte une couronne sur la tête ! »

Chef coiffeuse sur des campagnes de renom et récemment membre du jury de Koiffure Kitoko, Nadeen Mateky est une figure incontournable du cheveux afro. Fière de cet héritage, elle le sublime à travers sa profession.

Nadeen Mateky passe parfois plusieurs heures sur ses créations, comme ici avec la modèle Rizilene Tavares. © Bruno Lévy/pour JA

Nadeen Mateky passe parfois plusieurs heures sur ses créations, comme ici avec la modèle Rizilene Tavares. © Bruno Lévy/pour JA

Publié le 9 mars 2018 Lecture : 4 minutes.

Habillée d’une grosse écharpe et d’un long manteau, la Franco-Congolaise de 39 ans se frotte les mains en attendant son thé. Coiffée d’une coupe courte sans bonnet, Nadeen Mateky tente de se réchauffer. Elle ne supporte pas le froid de la capitale française. « J’ai envie de retourner à Abidjan. Le soleil me manque » fait-elle savoir. L’artiste capillaire y était pendant trois mois pour juger les huit participants de « Koiffure Kitoko » (saison 3), le plus grand concours de coiffure africaine diffusé sur A+ depuis le 3 mars. C’est par le biais de sa meilleure amie Fatou Yatabaré que la professionnelle a pu relever ce nouveau défi et repousser ses limites. Toujours habituée à être derrière la caméra durant les nombreux shootings réalisés tout au long de sa carrière, Nadeen Mateky a dû cette fois se prêter au jeu des interviews vidéo et être sous le feux des projecteurs.

La pudeur et la gêne du début ont rapidement laissé place au caractère énergique de Nadeen. Cette nouvelle expérience lui a d’ailleurs révélé de nouvelles facettes d’elle- même : « J’ai compris à quel point je pouvais être dure et exigeante envers les autres parce que j’aime le travail bien fait. On ne pouvait pas me duper. C’est un concours, il faut se donner à 200 %. Il y a quand même une belle récompense à la clé ! ». En plus de porter le titre du meilleur coiffeur du continent, le ou la gagnant(e) empochera la somme de 5 000 000 francs CFA. Pour cela, Nadeen est restée juste mais impitoyable dans ses notes… ce qui ne plaît pas toujours aux téléspectateurs. « Certains commentaires sont méchants. Je n’ai pas mis des 2 ou des 5 pour rien. Il faut monter le niveau parce que parfois tu n’as pas le droit à l’erreur » estime-t-elle. La jeune femme sait de quoi elle parle.

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Un CV aussi gros qu’un afro volumineux

Riche de nombreuses expériences, elle a travaillé avec des grandes entreprises comme Schwarzkopf, Revlon, Vlisco, Estée Lauder, Colgate Afrique ou encore Wella. Les défilés pour la Natural hair Academy (2017),  l’UNESCO – pour le créateur Alphadi, Collection Printemps Été 2016 –  encore celui du styliste camerounais Imane Iyassi ne se sont pas fait sans elle. Avec ses doigts de fée, la professionnelle a coiffé – voire sculpté -les cheveux de Sonia Rolland, Aïssa Maïga et Scheena Donia, pour ne citer qu’elles. En 2016, elle a été la chef coiffeuse pour Le Bleu Blanc Rouge de mes cheveux, un court métrage nommé aux Césars signé Josza Anjembe.

Cette amoureuse du cheveu crépu s’est imposée dans l’univers capillaire très concurrentiel par une assiduité sans relâche, une créativité fascinante et une signature bien particulière : les coiffes. Quand elle en parle, ses yeux s’illuminent. D’une voix passionnée, elle décrit les chefs-d’œuvres capillaires des mères et reines d’Afrique avant l’époque de la colonisation. « Elles utilisaient des matières nobles pour réaliser ces magnifiques coiffures. C’est cette fierté là que je veux redonner. On peut continuer à le faire, on a le cheveu pour. Ça ne sert à rien de vouloir effacer l’histoire. Nous devons la réécrire nous-même et c’est ce que j’essaie de faire à travers mes coiffures » s’exclame Nadeen. Telle une couturière, elle fait d’abord réaliser des croquis par une designer de mode graphiste, Louise Fils-Aimé, avant de leur donner vie.

Ayant grandi avec son père, elle a porté les cheveux courts et naturels dès  son plus âge. Cela ne l’a pas empêché à l’adolescence, comme toutes les jeunes filles noires et métisses désireuses de se retrouver dans les canons de beauté dominants, de se défriser les cheveux et d’essayer de modifier leur nature. Pourtant, sa grand-mère lui avait appris à accepter son cheveu naturel.

Deux langues mais un seul langage : la coiffure  

C’était une femme de sang royal dotée d’une aisance et d’une élégance naturelles. Un joli port de tête, toujours habillée de superbes pagnes et coiffée de beaux tissus. « Parmi toutes mes collaborations, la meilleure est celle avec mémé Cécile. De mes 8 ans à l’âge de 13 ans, je suis restée au Congo avec elle. C’est là que j’ai eu un rapport précieux avec le cheveu crépu et que j’ai vu sa richesse : on porte une couronne sur la tête ! On a les seuls cheveux au monde qui défient la loi de la gravité ! Ma grand-mère m’a appris à les peigner, les tresser. Je ne parlais pas sa langue, elle ne parlait pas la mienne. La coiffure était notre moyen de communication » raconte-elle en espérant que sa mamie soit au rendez-vous de « Koiffure Kitoko ».

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Transmettre et former

Aujourd’hui Nadeen a elle aussi envie de donner ce qu’elle a reçu. Celle qu’on voyait souvent sur les projets beauté/mode des stars afro souhaite dorénavant transmettre aux mères et aux jeunes filles son savoir-faire. « Enchaîner les shootings, poster les photos sur les réseaux a plutôt bien marché pour moi … mais là je veux procéder à une autre étape. Ça me permettrait de me concentrer car pour la suite, j’ai vraiment envie de partir dans quelque chose d’hyper artistique, encore plus poussé ! Pour cela, j’ai besoin d’aller en Afrique, c’est une source d’inspiration à tous les coins de rue pour moi ». Tombée amoureuse de la Côte d’Ivoire, Nadeen compte s’y installer, monter une structure afin de former les talents de là-bas.

Ambitieuse et déterminée à marquer de manière indélébile le monde de la coiffure, elle souhaite collaborer avec des artisans et créer des œuvres capillaires collectives ornées de raphia, de fil de nylon ou encore de cauris qui pourraient être exposées dans les musées. En terminant son thé, elle ajoute « je pars cette année, si Dieu le veut ». Elle en est certaine, l’Afrique l’appelle.

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