Fanny Glissant, de la réalité de la vie des femmes à celle des « routes de l’esclavage »

À l’occasion de la Journée des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions en France, Jeune Afrique a interrogé la productrice et documentariste Fanny Glissant. Le 1er mai était diffusé sur Arte, le premier volet de son documentaire « Les routes de l’esclavage ». Portrait.

Image issue de  la série documentaire « Les routes de l’esclavage ». © CPB Films.

Image issue de la série documentaire « Les routes de l’esclavage ». © CPB Films.

Publié le 10 mai 2018 Lecture : 4 minutes.

Tapez son prénom dans un moteur de recherche et vous ne trouverez rien sur son parcours. C’est sous le soleil de la campagne, une assiette de radis devant elle que Fanny Glissant prend notre appel. « J’ai été discrète pendant des années » plaisante-t-elle. En réalité, la documentariste de 44 ans préfère tout simplement mettre en avant son travail et ses films plutôt que sa personne. Elle a tout de même accepté avec humour et bonne humeur de nous raconter son histoire. Et honnêtement, elle pourrait être portée à l’écran.

Née dans une famille antillaise passionnée par le 7e art, elle a été entourée d’un oncle producteur de films documentaires, d’une tante réalisatrice et d’un père formé à l’Institut des Hautes Études Cinématographiques (IDEHC), ancêtre de La Fémis : « C’était assez rare pour un homme des Caraïbes d’intégrer ce type d’école » affirme-t-elle. À l’âge de 20 ans, Fanny Glissant est complètement baignée dans le milieu.

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Elle décide d’intégrer une fac de cinéma à Saint-Denis, en région parisienne, et d’entamer des études d’ethnologie en parallèle. Pour elle, le documentaire était une continuation évidente. « C’est la seule chose que je sais faire… », confesse en riant la productrice de Bienvenue dans la vraie vie des femmes, son premier documentaire sorti en 2009, avant d’ajouter : « Je ne m’intéresse qu’aux grandes problématiques comme la question des femmes, plus spécifiquement la violence faite aux femmes ou encore nos démocraties et certaines impasses dans lesquelles elles se trouvent. C’est un truc naturel chez moi de raconter des histoires et de montrer des choses ». Et ça, Fanny s’en est rendue compte en 1995, l’année où son père est décédé.

Montrer la réalité à l’écran

Elle a pris ses valises et s’est envolée pour la Guadeloupe dans un but bien précis : « Je suis allée travailler pendant six mois dans des pompes funèbres. J’ai fait une énorme enquête ethnologique. Là, je me suis dit que la dure réalité, de ce que vivent les gens qui viennent de perdre un proche, pouvait constituer la base d’un film. Pour moi, le réel est bien plus fort que la fiction. Parfois, il propose plus de choses que l’imaginaire des scénaristes », déclare-t-elle.

Parce que le documentaire et le film des parcours des gens permettent de « redécouvrir un monde dans lequel on n’a presque plus le temps d’être en contact », Fanny Glissant a pour devoir et mission d’apporter au public une connaissance plus profonde sur des sujets qui lui tiennent à cœur : « C’est bien d’amener les spectateurs au-delà des choses auxquelles ils avaient déjà réfléchi et ne pas simplement souligner des choses que tout le monde connaît.  L’idée est de toujours voir la société différemment et surtout d’essayer de la comprendre dans ces évolutions ».

C’est ce qu’elle a fait – en collaboration avec Daniel Cattier et Juan Gélas – pour Les routes de l’esclavage diffusé sur Arte depuis le début du mois de mai. Quatre volets de 50 minutes retracent l’histoire de ce phénomène mondial depuis son origine en 476 après Jésus-Christ. Plus de trois ans de recherche ont été nécessaires à la réalisation de son huitième documentaire. Celui-ci est produit dix-sept ans après la loi Taubira tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Un moment spécifique qui a permis « la récolte » de nombreux travaux des chercheurs et historiens américains, brésiliens, portugais, hollandais ou anglais qui ont embrassé ce sujet. Tout cela a apporté une nouvelle vision des réalités de l’esclavage et a balayé toutes les idées reçues.

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« Dépasser cette histoire traumatisante »

Plus encore, travailler sur ce film a été l’occasion pour Fanny de comprendre que ce phénomène ne pouvait s’analyser sans avoir une compréhension mondiale de la chose : « Pour moi, si tu l’analyses au regard de ton petit point de vu des lignées de ton ascendance, tu n’y vois rien. Tu n’y comprends rien si tu ne le rattaches pas à une mondialisation de la violence qui est générée par la déportation, la barbarie, la torture », affirme Fanny. Et pour elle, en tant que descendante d’esclaves et de maîtres, ça n’a pas toujours été facile de se plonger dans cette histoire :

« Quand bien même tu l’abordes de façon économique, géographique et froide en essayant de construire une image globale, il n’empêche que quand tu lis des descriptifs ou des récits d’esclaves, quand tu regardes la réalité des trois bateaux par semaine qui partent de Liverpool et qui vont déporter entre 400 et 600 personnes et que tout d’un coup tu as le nom du capitaine, le nombre d’enfants montés à bord, et celui des morts pendant la traversée… quand bien même tu voulais te l’appréhender de façon froide, tu ne peux pas t’empêcher dans ton lit le soir de pleurer parce que ça montre ce que l’être humain est capable de faire pour le profit ».

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Ce sont les mots « merci » et « fierté » qui reviennent le plus souvent suite à la diffusion du documentaire. Merci, pour ce travail pédagogique… Et « fierté », parce qu’il était temps qu’on raconte cette histoire à la foi passionnelle et tabou : « Nous racontons l’esclavage sans fausse pudeur, en se basant sur les faits. Une manière pour tous, les Afrodescendants, de dépasser cette histoire traumatisante, de la comprendre et donc d’éviter d’être esclave de son propre passé » conclut Fanny Glissant.

https://www.youtube.com/watch?v=UuWk5lpjGuw

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