[Tribune] La fiscalité africaine à la croisée des chemins

À l’heure où les pays en développement sont confrontés à une baisse des aides internationales pour financer leur essor, la fiscalité est au centre des préoccupations des États africains et des citoyens, estiment Bruno Messerschmitt et Clyde Fiawoo, respectivement associé et manager de la société d’avocats EY.

Bruno Messerschmitt © EY

Publié le 21 novembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Dans l’agenda 2063 de l’Union africaine, elle doit servir les besoins de financement d’infrastructures, de services publics et d’accès à l’éducation essentiels au continent. La contribution des entreprises au développement des pays (notamment par le paiement de l’impôt sur les sociétés et une bonne collecte de la TVA et des retenues à la source) est donc primordiale.

Toujours est-il que de nombreux groupes internationaux expriment une certaine lassitude face à l’effort demandé et à l’enchevêtrement de règles fiscales peu claires, voire parfois contradictoires. Comme le soulignait récemment Jean-Michel Severino, ex-directeur général de l’AFD, la branche fiscale du « pacte social » demeure précaire dans de nombreux pays du continent en raison notamment d’une concentration des impôts sur un nombre restreint de grandes entreprises.

L’environnement des affaires et l’insuffisance de « règles du jeu » créent un environnement instable pour les investisseurs

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Si le secteur informel échappe par définition à l’impôt, et si les sociétés pétrolières et minières bénéficient au moins partiellement d’exonérations fiscales en contrepartie d’investissements souvent colossaux, ce n’est pas le cas des autres sociétés et groupes internationaux.

Dans la conjoncture actuelle, cette dernière catégorie de contribuables subit la pression fiscale à « taux plein ». Elle fait elle aussi face à des obligations chronophages et à des redressements fiscaux plus nombreux sans qu’ils soient toujours fondés. En effet, une réalité africaine demeure : l’écart entre le texte de loi et les pratiques locales des administrations. L’environnement des affaires et l’insuffisance de « règles du jeu » (doctrine fiscale et jurisprudence notamment) créent un environnement instable pour les investisseurs.

Dès lors, quelles solutions envisager en pratique pour concilier les intérêts des États et ceux des opérateurs économiques ? En premier lieu, il faut une meilleure collecte de l’impôt intégrant de nouveaux contributeurs, notamment issus du secteur informel, pour mieux répartir l’effort fiscal. Cela passe par une croissance et une diversification des économies, qui prendra du temps.

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En second lieu, avec l’essor du programme de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (Beps) de l’OCDE, les pays africains doivent poursuivre le renforcement des compétences des administrations locales sur les transactions internationales. Cette progression devrait s’amplifier avec l’intervention progressive de vérificateurs expérimentés sur des dossiers réels dans plusieurs pays (soit par le biais de l’initiative Inspecteurs des impôts des sans-frontières lancée par l’OCDE et le PNUD, soit par le recours à des experts fiscaux prévu par de plus en plus de législations africaines).

Un délai de réponse de l’administration fiscale est-il prévu ?

En outre, les organisations régionales telles que le Forum sur l’administration fiscale africaine (Ataf) jouent un rôle essentiel de soutien aux pays en développement dans la mise en œuvre des mesures du plan Beps et la formation des agents de l’administration. Cette amélioration des capacités des agents fiscaux pourrait également contribuer à instaurer le climat de confiance escompté.

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Reste que des mesures à court terme sont à trouver pour renforcer l’attractivité fiscale, faute de quoi les groupes internationaux pourraient se détourner du continent. Ce dialogue pourrait se concrétiser par un renforcement de la pratique du rescrit fiscal (réponse de l’administration concernant l’interprétation d’un texte fiscal), instaurée dans de nombreux pays africains, comme l’Algérie, le Cameroun et la Côte d’Ivoire, ou plus largement par des demandes de validation par l’administration fiscale d’une opération que l’opérateur économique envisage de réaliser. Dans les deux cas, s’il obtient le feu vert de l’administration fiscale, le contribuable se met à l’abri de toute contestation ultérieure.

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Une réflexion doit être effectuée pays par pays, avec une attention particulière portée à la possibilité pour un contribuable de formuler cette demande de validation : quel est le degré de précisions à formuler dans la demande pour garantir son efficacité ? Un délai de réponse de l’administration fiscale est-il prévu ? Cette initiative peut-elle avoir un effet boomerang et déboucher sur un contrôle fiscal ?

Les solutions pour créer un cercle fiscal vertueux entre les administrations fiscales africaines et les opérateurs économiques sont nombreuses

Avec une pratique généralisée, maîtrisée et efficace de ces outils, les contribuables pourraient accéder à une meilleure transparence fiscale, dans un climat encourageant l’investissement, ce qui par ricochet renforcerait l’idée de « pacte fiscal » entre l’État et les citoyens.

Dans une tribune récente parue dans JA, José Antonio Ocampo indiquait que les règles [fiscales] mondiales sont très préjudiciables aux pays en développement. Pour lui, le projet Beps notamment n’a pas réussi à résoudre le problème central des prix de transfert.

Actuellement, cette question des prix de transfert représente un enjeu majeur pour les multinationales et suscite de nombreuses interrogations (modalités de mise en œuvre dans les pays africains, données comparables à retenir, etc.).

Dans ce domaine aussi, le rescrit trouve sa déclinaison par la pratique des accords préalables sur les méthodes de détermination des prix de transfert (communément appelés « APP » ou « APA »). Ainsi, de nombreux pays africains tendent à inclure le recours à l’APA dans leur arsenal fiscal.

En définitive, les solutions pour créer un cercle fiscal vertueux entre les administrations fiscales africaines et les opérateurs économiques sont nombreuses. La plus idoine à court terme semble être de les réunir sous l’arbre à palabres pour renouer un dialogue essentiel au développement du continent.

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