Ce que Washington veut…

Depuis que les Américains ont imposé des négociations à marche forcée, personne ne doute qu’un accord de paix final sera bientôt signé. Mettant un terme à la plus longue guerre civile de l’histoire récente de l’Afrique.

Publié le 27 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

Mercredi 22 octobre, dans un hôtel coquet sur les bords du lac Naivasha, à 80 km de Nairobi, la capitale kényane. Les négociateurs dirigés par le vice-président soudanais Ali Osman Taha et le chef rebelle de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), John Garang, se sont réveillés plus tôt que d’habitude après s’être séparés un peu après minuit. Ils doivent recevoir à 8 h 30 locales (5 h 30 GMT) le secrétaire d’État américain Colin Powell, qui a passé la nuit à Nairobi et doit arriver par la route.
C’est un grand moment dans les négociations engagées il y a plus d’un an pour mettre fin à une guerre civile – la plus longue qu’ait connue l’Afrique postcoloniale – qui dure depuis vingt ans et a provoqué, directement ou non, la mort de quelque 1,5 million de personnes.
Dès son arrivée à Naivasha, protégé par des commandos américains armés jusqu’aux dents et accompagnés de chiens policiers, Powell reçoit tour à tour le ministre kényan des Affaires étrangères Kalonzo Musyoka et le général (kényan) Lazaro Sumbeiywo, qui lui font, en vingt-cinq minutes chacun, un briefing sur leur médiation et les points encore en litige. Puis c’est le moment crucial. Le secrétaire d’État reçoit séparément Taha puis Garang. Là aussi, vingt-cinq minutes pour chacun. Sur la pelouse bordée d’acacias géants et avant de repartir pour Nairobi, il confie ses impressions devant les caméras des télévisions : « À la lumière de ce que j’ai entendu, je pense qu’un accord final de paix est à la portée des deux parties… » « Si vous parvenez à finaliser l’accord avant la fin de l’année, dit-il en s’adressant aux anciens ennemis, vous serez invités par le président Bush pour une cérémonie de signature à la Maison Blanche. » Il embrasse alors sur les deux joues Garang, qui a troqué son treillis contre un costume civil beige, puis Taha, avant de s’engouffrer dans sa voiture.
Les négociateurs sont d’abord impressionnés par la perspective de voir le président Omar el-Béchir et Garang reçus à la Maison Blanche. On croit rêver. Puis c’est le retour à la réalité. Powell a fixé une date butoir, le mois de décembre. S’il a fait le déplacement à Naivasha et se mêle, pour la première fois, des négociations que Washington a imposées en septembre 2001, c’est pour faire pression afin qu’un accord final soit conclu. Washington appelle cela mettre un « tigre dans le moteur » des négociations. Il a surtout utilisé le bâton et la carotte avec le gouvernement de Khartoum. Il lui demande de faire des concessions supplémentaires sur les deux points encore en suspens : le partage des ressources pétrolières et le statut des monts Nouba, du Haut-Nil Sud et de la région d’Abyei, trois zones qui ne font pas partie du Sud, mais que le SPLA voudrait inclure dans l’accord. D’un autre côté, Powell a confirmé que Washington retirerait le Soudan de sa liste des États qui parrainent le terrorisme et lui apporterait une aide financière (on parle de 200 millions de dollars) aussitôt l’accord signé.
Personne ne doute que, tôt ou tard, une solution finira par être trouvée. Voilà pourquoi Washington fait comme si l’accord de paix final était dans la poche. Les protagonistes font de même depuis la signature, le 25 septembre, du compromis décisif sur les arrangements de sécurité pour la période de six ans durant laquelle le Sud bénéficiera d’une autonomie avant un référendum sur son maintien ou non dans un Soudan uni. Ce compromis prévoit que Khartoum retirera d’ici à deux ans 80 % de ses unités et ne gardera qu’une présence réduite (10 000 hommes) dans des positions dites « stratégiques ». Des unités conjointes entre les rebelles et l’armée et totalisant 39 000 hommes seront déployées aussi bien dans le Sud que dans les provinces d’Ébié, les monts Nouba et le Nil bleu méridional. En parallèle, des observateurs et des forces des Nations unies ont été demandés par les deux parties pour surveiller le respect du cessez-le-feu qui doit succéder à la trêve provisoire en vigueur depuis octobre 2002.
Dans le Nord comme dans le Sud, tout le monde se place déjà dans une logique d’après-guerre en multipliant les gestes conciliateurs et les célébrations. Garang et Taha, les artisans du compromis sur la sécurité, ont été traités en héros lorsqu’ils sont retournés chez eux. Les rebelles comme le pouvoir, qui se vouaient mutuellement aux gémonies il y a encore quelques mois, parlent de confiance retrouvée, et chacun prépare ses partisans à accepter l’autre. Pour John Garang, « la paix est désormais irréversible ».
Quant au président Béchir, il a réuni successivement le Parlement et le congrès de son parti pour leur dire combien il appréciait le rôle de Garang en faveur de la paix et comme futur partenaire politique « sincère ».
Le visage politique du nouveau Soudan est en train de se recomposer. Béchir s’engage, dans le cadre de l’accord de paix, à libérer les prisonniers politiques, à respecter le pluralisme et la liberté de la presse avant l’organisation d’élections législatives libres contrôlées par des observateurs internationaux. En attendant le référendum par lequel le Sud se prononcera en faveur ou non de son maintien dans le Soudan.
C’est dans cette perspective de démocratisation qu’il faut placer la libération, le 13 octobre, du chef islamiste Hassan el-Tourabi. Arrêté après avoir signé une alliance avec Garang en février 2001, il a été emprisonné puis détenu dans une résidence gouvernementale pendant deux ans et huit mois sans procès. Il a été élargi juste à temps pour assister, le lendemain, au mariage de sa fille. Son parti, le Congrès national populaire, peut reprendre ses activités tandis que quatre autres membres de la formation ont aussi été libérés. Son journal, Raï al-Chaab (« l’Opinion du peuple »), est par ailleurs autorisé à reparaître.
Garang occupera le poste de vice-président et retrouvera son ancienne maison du quartier de Haj-Youssef à Khartoum. Pour mettre ces vingt années de rébellion entre parenthèses, il aura droit à une promotion dans l’armée soudanaise en passant du grade de colonel à celui de général, celui d’un ancien compagnon d’armes nommé Béchir.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires