Big Brother
Publié le 29 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.
Un nouveau nomadisme est né. Celui de l’homme moderne, bardé d’équipements high-tech, communiquant avec le monde entier. Même si le couteau suisse et la gourde en peau de chèvre permettaient déjà de parcourir le monde, les nouveaux appareils nomades ont radicalement transformé notre mobilité. Les hommes d’affaires et les amoureux ne sont pas les seuls à pouvoir se retrouver dans la foule grâce aux portables. Depuis quelques mois, les flash mobs (« manifestations spontanées ») se multiplient dans de nombreuses villes. Grâce aux SMS, ces petits textes envoyés sur téléphone cellulaire, plusieurs centaines de personnes se donnent rendez-vous à l’improviste dans un lieu choisi, accomplissent un geste spectaculaire avant de disparaître tout aussi subitement, abandonnant les passants à leur stupéfaction. Plus militante, l’association britannique Reclaim the Streets, entrée en guerre contre les automobiles, réunit sur le vif des milliers de personnes en toute illégalité dans le centre-ville de Londres. Les manifestants bloquent alors la circulation et font la fête pendant plusieurs heures. En janvier 2001, aux Philippines, les centaines de milliers de personnes qui s’étaient réunies pour manifester contre le président Joseph Estrada avaient été prévenues par un message SMS reçu sur leur téléphone portable. Et, en début d’année, de nombreuses manifestations contre la guerre en Irak ont aussi été organisées dans le monde de manière inopinée, grâce aux messages électroniques.
Cette communication « en temps réel » ne présente pas que des avantages. Le nomade moderne est sommé de pouvoir accéder en tous lieux et en permanence aux demandes de son employeur ou de ses clients. Adieu le temps « perdu ». L’Histoire aurait pourtant dû apprendre aux nomades que les sédentaires se sont toujours méfiés de ces messagers mobiles, porteurs de richesses, mais aussi de dangers. Les outils de surveillance se renforcent donc. Les téléphones portables aident les policiers à traquer délinquants et terroristes. Des outils sophistiqués, naguère réservés aux espions, sont accessibles aux particuliers, qui peuvent se surveiller les uns les autres. L’Américaine Connie Adams était surprise de trouver par un curieux hasard son ex-ami Paul Seidler dans tous les lieux où elle se rendait (discothèque, magasins, stations-service, etc.). Elle l’a poursuivi en justice et a remporté le procès. Les enquêteurs ont découvert une borne de géolocalisation GPS cachée derrière la grille d’aération de la voiture de Connie, qui prévenait Seidler, informé par téléphone cellulaire, de tous les déplacements de son ancienne compagne ! Et les cas de ce genre se multiplient.
Le nomade se retrouve ainsi placé en liberté de plus en plus surveillée. L’administration américaine projette d’implanter dans chaque téléphone cellulaire une puce GPS permettant de suivre en permanence chaque usager pour pouvoir lui porter secours. La société américaine ADS (Applied Digital Solutions) vient d’annoncer la mise au point d’un appareil de localisation capable d’être greffé dans l’organisme : une petite pastille de la taille d’un grain de riz appelée « VeriChip » et implantée sous la peau par un acte chirurgical. ADS recommande dans un premier temps de marquer au GPS les chiens et les chats, les délinquants, les personnes âgées et les enfants turbulents. Mais, à terme, chaque citoyen ne risque-t-il pas d’être ainsi pisté de sa naissance à sa mort ? S’il tombe dans un précipice, il pourra être secouru. Mais s’il devient dangereux et que son élimination est jugée nécessaire, de l’autre bout du monde, un drone pourra surgir du ciel à tout instant pour le détruire. Prenons garde que le nomade moderne ne troque alors ses agenda électronique, appareil photo numérique et autre borne GPS pour un simple carnet de croquis et un bon vieux Reflex. Et qu’il ne soit tenté de retrouver le goût d’une liberté plus authentique.
