Bienheureux Nigérians

L’édition 2004 du palmarès du bonheur, établi pour trente-deux pays tous les quatre ans, présente des conclusions assez inattendues.

Publié le 27 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

Les habitants de Lagos, d’Ibadan ou de Calabar peuvent être rassurés. Le Nigeria n’excelle pas seulement dans le domaine de la corruption, de l’escroquerie ou des verdicts effrayants pour non-respect de la charia comme l’insinuent les mauvaises langues. C’est aussi le pays qui compte le plus fort pourcentage de gens très heureux, à en croire le World Values Survey, un sondage réalisé entre 1999 et 2001, dont les premiers résultats ont été publiés par le très sérieux hebdomadaire scientifique britannique New Scientist.
L’enquête, réalisée tous les quatre ans par des spécialistes internationaux des sciences sociales, vise à évaluer les changements socio- culturels et politiques dans le monde. Le Nigeria arrive en tête du palmarès du bonheur établi pour 32 pays (voir infographie), et n’est pas non plus trop mal classé dans celui de la satisfaction globale des gens à l’égard de la vie qu’ils mènent. En ce domaine, la science du bonheur, il faut se méfier des termes utilisés, et interpréter les résultats avec précaution. Alors que la question « êtes-vous heureux ? » appelle en général une réponse liée à l’état émotionnel de la personne interrogée à ce moment précis, celle qui consiste à demander aux gens s’ils sont globalement satisfaits de leur vie donne lieu à une réponse différente, plus distanciée. Ces subtilités n’enlèvent rien à l’intérêt de cette immersion dans l’étude des voies mal connues menant à la félicité.
Après le pays le plus peuplé d’Afrique, la palme de la joie de vivre revient aux Latinos : le Mexique en deuxième position, suivi par le Venezuela, le Salvador et Porto Rico. De quoi déprimer les Occidentaux, dont les premiers représentants, les Pays-Bas et le Danemark, comptent moins de gais lurons que la Colombie. Il est vrai que la salsa endiablée permet de s’accommoder des petits problèmes de la vie quotidienne au pays des guérilleros. C’est peut-être ce qui manque aux Russes, aux Arméniens et aux Roumains, où le coeur n’est manifestement pas à la fête. Moins de 10 % des habitants de ces pays de l’Europe de l’Est se déclarent très heureux. À noter aussi que le Zimbabwe, à égalité avec le Pakistan pour le faible pourcentage de guillerets (20 %), est le pays où les gens sont le moins satisfaits de leur vie.
Le sondage confirme la diversité des facteurs qui, d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre, contribuent au bonheur. Aux États-Unis, la réussite personnelle, l’affirmation de soi et l’indépendance, symboles du classique American dream, sont citées comme les déterminants les plus importants du bonheur. Les Japonais, quant à eux, frétillent de joie (intérieure) quand ils font la fierté de leur famille et de la société, en assumant leurs responsabilités. « Pendant qu’aux États-Unis, il est parfaitement normal de viser un bonheur égoïste, au Japon, on a plus de chances de le trouver en ne le recherchant pas directement », écrit notamment Michael Bond du New Scientist.
Si l’argent ne peut faire le bonheur de celui qui n’en a pas, comme le disait l’écrivain français Boris Vian, les spécialistes de la question confirment aussi qu’il ne suffit pas à faire le bonheur de celui qui en a. Une fois que les besoins fondamentaux ont été convenablement satisfaits, chaque dollar ou euro supplémentaire ne fait certes pas de mal, mais apporte une satisfaction de moins en moins importante. Autre révélateur de cette relation non automatique entre richesse et bien-être : la proportion de gens qui se déclarent heureux n’a quasiment pas changé dans les pays développés (sauf au Danemark) depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, malgré la hausse considérable des revenus moyens.
C’est que le désir ardent des richesses matérielles s’est accru au même rythme que les revenus, maintenant quasiment intact le fossé entre ce qu’on a et ce que l’on convoite. Selon une étude réalisée par Tim Kasser, un universitaire américain, « les jeunes adultes focalisés sur l’argent, l’image et la gloire ont tendance à être plus déprimés que les autres, ont moins d’enthousiasme pour la vie et souffrent davantage de symptômes physiques comme des maux de tête et des douleurs à la gorge… ». Il met en cause les piliers de la société de consommation, notamment les publicités dont les messages, visant à créer des besoins, sont de plus en plus subtils. Les gouvernements devraient, selon Kasser, considérer les messages publicitaires comme une forme de pollution et les taxer. Ou les obliger à signaler, comme sur les paquets de cigarettes, que le matérialisme nuit gravement à la santé.
Outre la propension génétique à être heureux – selon les scientifiques qui étudient le sujet, on ne peut rien faire pour vous si vos grands-parents étaient bougons et si vous portez la tristesse dans vos chromosomes -, les déterminants d’une belle vie sont le mariage, les amis, la foi (en Dieu ou en ce que vous voulez) et la capacité à bien prendre le fait que vous ne soyez ni un génie, ni un top model, entre autres. Plusieurs études ont montré que les personnes mariées sont en moyenne plus heureuses que les célibataires. Il y aurait en plus un effet positif spécifique de l’union matrimoniale commençant environ un an avant la cérémonie, et se prolongeant pendant un an. À noter que le concubinage ne permet pas, selon les chercheurs, de profiter du même surcroît de bonheur que le mariage, le sentiment d’insécurité faisant la différence. Une étude du cabinet du Premier ministre britannique estime même que le fait de se marier a un effet sur le bonheur équivalent à celui d’une augmentation du salaire annuel de 72 000 livres (plus de 100 000 euros).
Une autre trouvaille, enfin, confirme que ce monde est décidément injuste : ceux qui ont un physique avantageux sont réellement plus heureux que les autres. L’une des explications suggérées par les scientifiques est encore plus déprimante : « Les visages les plus attractifs sont très symétriques, et la symétrie faciale est le reflet de bons gènes et d’un système immunitaire en bon état. » Et comme la bonne santé est favorable au bonheur, celles et ceux qui ont un corps parfait voient davantage la vie en rose. Mais ce n’est pas tout. Si on réussit à se convaincre soi-même que le fait de ne pas être convoité par les couturiers pour les défilés de mode ne signifie aucunement que l’on n’est pas beau à voir, le tour est joué. Hélas ! les gens ont plutôt tendance à dévaloriser leur physique, les femmes trouvant qu’elles sont trop enrobées, et les hommes, insuffisamment musclés. De là à suggérer que des étiquettes « nuit gravement à l’estime de soi et donc au bonheur » soient collées sur les magazines qui ne jurent que par les photos de créatures parfaites, il n’y a qu’un pas.

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