Seif el-Islam sur orbite

Kadhafi prépare son fils à lui succéder, donne son feu vert à de prudentes réformes et…ÂÂÂcharge les comités révolutionnaires de veiller au grain.

Publié le 27 août 2007 Lecture : 4 minutes.

Sur la scène du théâtre en plein air de Benghazi, le 20 août, Seif el-Islam (36 ans) a franchi un nouveau pas sur le chemin menant à la succession de son père, qui fête ce 1er septembre le 39e anniversaire de son accession au pouvoir. Mouammar Kadhafi, qui a 65 ans, apparaît de moins en moins en public. Depuis quelques semaines, c’est Seif qui, bien que n’occupant aucune fonction officielle, préside les manifestations importantes. Le 22 août, flanqué à distance respectueuse de Baghdadi Mahmoudi, le Premier ministre, il a par exemple inauguré le bassin géant Omar al-Mokhtar, à Solouk (dans l’est de la Libye), qui fait partie du réseau de la Grande Rivière artificielle. On sait que ce pharaonique ouvrage est censé alimenter les régions urbaines et agricoles avec de l’eau souterraine pompée dans le désert.
La succession, on en parle depuis des années, mais nul n’a la moindre idée de ses modalités. Car la Libye n’a plus de vraie Constitution depuis 1969. Cette année-là, après avoir aboli la monarchie constitutionnelle à l’issue d’un coup d’État, Kadhafi la remplaça par une Constitution provisoire, qui, en 1977, fut à son tour supplantée par la pensée du « Guide de la Révolution ». Depuis, celui-ci dirige le pays à sa guise par l’intermédiaire des comités populaires et des comités révolutionnaires.
Selon nos informations, un comité restreint composé de juristes et de politologues planche depuis plusieurs semaines sur un projet de nouvelle Constitution. Ses travaux sont secrets, mais Seif, dans le discours qu’il a prononcé à Benghazi, sous un portrait géant de son père, en a dévoilé les contours. Les rédacteurs du texte devront, a-t-il expliqué, s’abstenir de franchir cinq « lignes rouges ».

1. L’attachement à l’islam et la charia, qui font l’objet d’un quasi-consensus dans le pays : toute perspective de création d’un État laïc se trouve donc a priori écartée.
2. La sécurité et la stabilité de la Libye (interdit de « comploter » avec des puissances étrangères).

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3. L’unité territoriale du pays (toute forme de régionalisme et de sécessionnisme est strictement proscrite).

4. La légitimité de Mouammar Kadhafi, ce qui signifie que l’intéressé est « Guide à vie » et que la future Constitution devra cohabiter avec le système politique qu’il a créé et les préceptes définis par son célèbre Livre vert. Il n’est guère difficile de deviner l’issue d’une telle « cohabitation » ! Cela signifie aussi que, même après sa mort, le « Guide » restera la référence suprême. Non sans habileté, Seif a justifié cette disposition par deux précédents : celui de Mustapha Kemal Atatürk, dont la pensée continue de régenter la Turquie, et celui de l’ayatollah Khomeiny, le père fondateur de la République islamique d’Iran.
5. L’indépendance de certaines institutions. « Nous voulons le maintien de notre système de démocratie directe, qu’il faut néanmoins améliorer afin de le rendre plus efficace », a indiqué Seif el-Islam, qui met donc une sourdine à ses récentes et virulentes attaques contre le système « jamahiriyen ». L’héritier présomptif souhaite également préserver l’indépendance de la Banque centrale, de la justice, de la société civile et des médias, ce qui ne devrait pas être trop difficile puisque tout cela n’a jamais été, en Libye, qu’une pure fiction. D’ailleurs, il n’a à aucun moment évoqué une éventuelle instauration de la liberté d’association, du pluralisme des opinions ou du multipartisme.

Pour lui, la société civile se résume apparemment à la Fondation Kadhafi pour les associations caritatives et le développement, qu’il préside, et aux associations professionnelles et syndicales dans la mouvance du pouvoir. Concernant l’indépendance des médias, il est vrai que, le jour même du discours de Benghazi, une publication « privée » a paru en Libye, pour la première fois depuis trente-huit ans. Et que, quatre jours auparavant, Al Libiyah, une chaîne de télévision privée par satellite, a commencé d’émettre. Mais ces deux médias appartiennent à la société al-Ghad (« Demain »), propriété d’un certain… Seif el-Islam Kadhafi.
Reste qu’en dépit de ses limites, ce projet de Constitution porte la marque des conseillers américains de ce dernier. Et qu’il ouvre un débat qui ne sera pas clos de sitôt. Interdite en Libye mais active à l’étranger, l’opposition a fait de l’adoption d’une Constitution son cheval de bataille. Réagissant aux propositions de Seif, le Parti national pour le salut de la Libye (en exil) s’est prononcé pour l’élection, en toute liberté, d’une Assemblée constituante chargée de rédiger un projet de Loi fondamentale ultérieurement soumis à référendum, sous supervision internationale.
Même s’il est exclu que Kadhafi se plie à de telles exigences, il ne fait aucun doute qu’il a donné son feu vert à de – prudentes – réformes. Il sait que c’est le seul moyen de conserver les bonnes grâces des États-Unis et de permettre à Seif d’apparaître comme un successeur à peu près présentable. Mais il n’est nullement disposé à sacrifier les comités révolutionnaires que, pourtant, son fils qualifia un jour d’organisation « maffieuse ». Sans ce garde-fou, les réformes risqueraient de mettre en danger son pouvoir, sa famille, son clan et les fondements mêmes de son régime.

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