Réforme de l’Union africaine : à la veille du sommet, les chefs d’État espèrent un consensus
À la veille du sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA), où les chefs d’État africains doivent se rassembler à Addis-Abeba les 17 et 18 novembre pour s’accorder sur un projet de réforme institutionnelle portée par Paul Kagame, Pierre Moukoko Mbonjo, le chef de l’unité chargée de sa mise en œuvre, fait le point pour Jeune Afrique.
Voici deux ans que le président rwandais Paul Kagame a été chargé de mettre en œuvre une réforme du fonctionnement l’Union africaine (UA). Si ses grandes lignes font consensus (rendre le financement plus autonome, limiter les dépenses, rendre la commission plus efficace etc.), ses modalités font encore l’objet d’âpres entre les chefs d’État. Kagame, dont le mandat de président en exercice s’achève dans à peine plus de deux mois, et le président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, veulent donc mettre un coup d’accélérateur à l’occasion du sommet extraordinaire, qui doit se tenir à Addis-Abeba, les 17 et 18 novembre.
À la veille de ce rendez-vous, Pierre Moukoko Mbonjo, le chef de l’unité chargée de la mise en œuvre de la réforme et ancien ministre camerounais des Relations extérieures, fait le point pour Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Vous souhaitez réviser la répartition des rôles entre l’Union africaine (UA) et les organes régionaux, pourquoi ?
Pierre Moukoko Mbonjo : En 2017, les chefs d’État et de gouvernement ont pris la décision 635 par laquelle l’UA, en tant qu’organisation continentale, devra se focaliser sur un nombre limité de priorités : les affaires politiques, la paix et la sécurité, l’intégration économique, dont la zone de libre-échange continentale et la représentation globale de l’Afrique, pour que le continent parle d’une même voix sur la scène internationale.
Il en a découlé la nécessité de clarifier la division du travail entre l’UA, les communautés économiques régionales et les États membres, selon le principe de subsidiarité : on ne passe au niveau supérieur que si c’est plus efficace.
Mais le principe de subsidiarité existait déjà…
Oui, mais il n’était pas mis en œuvre de façon concertée. Il faut éviter que les différents niveaux fassent la même chose. Le processus est en cours pour essayer de planifier cela.
Pouvez-vous donner un exemple ? Qu’est-ce que cela donne pour la gestion des crises politiques ?
S’il y a une crise dans une région, elle est d’abord nationale. Les États sont souverains. Ils gèrent les problèmes qui se posent à l’intérieur de ses frontières. Ce n’est que s’ils n’arrivent pas à le faire que cela monte au niveau régional. Et si cela ne suffit pas, on en réfère au niveau continental : l’UA. Ce principe est aussi valable pour les autres secteurs : énergie, transports, etc.
Lors du sommet de Nouakchott, un document a été présenté aux délégations et comportait des propositions de réforme assez radicales. Des sanctions pouvaient être prises en cas de retard de paiement des États membres qui pouvaient aller jusqu’à la suspension de leur participation aux réunions de l’UA. Où en est-on ?
C’est en négociation, pour arriver à une décision consensuelle. En cas extrême, on peut passer au vote, même si la règle, c’est le consensus.
Il a été aussi proposé de plafonner les contributions des cinq principaux États membres à 40% du budget de l’UA et de relever celles des plus petits États à 200 000 dollars. Est-ce toujours en discussion ?
L’objectif est d’éviter les risques de concentration. On a vu ce qui s’est passé lorsqu’il y a eu des problèmes en Libye, qui était un des plus gros contributeurs. Tous les taux ne sont pas finalisés, mais c’est en cours de discussion.
Autre mesure très symbolique : la mise en place par les États d’une taxe de 0,2% sur certaines importations, pour aider à financer non seulement le budget de l’UA, mais aussi les programmes et les opérations de maintien de la paix. L’idée est-elle toujours d’actualité ?
L’idée est de disposer d’une source prévisible dans le financement du budget de l’UA. Cela part d’une décision prise en juin 2015 lors du sommet de Johannesburg, quand l’UA s’est engagée à financer 100% du budget de fonctionnement, 75% des programmes et 25% du budget pour la paix et la sécurité. Nous devions donc trouver des sources alternatives. Plusieurs hypothèses ont été évoquées : une taxe sur les billets d’avion, les frais d’hôtel, les téléphones portables… Et puis en 2016, Donald Kaberuka, l’ancien président de la BAD, a été nommé comme haut représentant de l’UA pour le financement.
Les chefs d’État ont choisi la proposition du prélèvement de 0,2% des importations éligibles, à la discrétion des États membres, pour soulager les budgets nationaux. À ce jour, la moitié des États membres sont à des degrés différents de mise en œuvre de cette taxe. Pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest ce n’est pas nouveau : la CEEAC, la Cemac, et la Cedeao sont financées sur la base de ce principe. Il y a des régions qui n’ont pas l’habitude de ce mécanisme. Et puis, certains États ont des législations contraignantes en la matière. Donc cela prend un peu de temps.
Nous avons collecté à ce jour près de 55 millions de dollars dans le cadre du financement du fonds pour la paix, c’est un niveau qui n’a jamais été atteint
Seriez-vous prêt à accepter de la flexibilité pour ces États, dans le mode de financement de leurs contributions ?
Tout cela est en discussion. La décision qui a été prise est une directive, et non un règlement. Cela laisse aux États membres le choix des modalités de mise en œuvre…
Par ailleurs, pour le financement du fonds pour la paix, les progrès sont plus marquants. Ce fonds a été institué en 2013 et doit détenir de 400 millions de dollars à l’horizon 2020, à raison de 65 millions de dollars de contribution des États membres par an. Le processus a commencé en 2017 et nous avons collecté à ce jour près de 55 millions de dollars. C’est un niveau qui n’a jamais été atteint. Il y a de réels efforts des États membres.
Autre idée : renforcer le processus de sélection des commissaires, en amont. Les chefs d’État n’auraient plus qu’à les entériner…
C’est à l’ordre du jour. Les chefs d’État ont demandé de renforcer le processus de présélection des candidats. Mais la sélection reste politique. C’est une élection. Il faut attendre le sommet pour pouvoir vous en dire plus.
Vous avez aussi suggéré une rotation, pour chaque poste de commissaires, entre les zones géographiques. Cela suppose de mettre fin à certaines habitudes, comme le fait qu’un Algérien occupe le poste de Commissaire à la paix et à la sécurité… Ces derniers vont-ils l’accepté ?
Il y a effectivement des propositions en faveur de la rotation. Nous allons voir ce que les chefs d’État vont décider.
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