Quand le Pool s’éveille

Quatre ans après l’accord de cessez-le-feu signé entre le pouvoir et le pasteur Ntoumi, la région commence à reprendre le chemin de la paix.

Publié le 27 août 2007 Lecture : 6 minutes.

Samedi 18 août 2007. La saison sèche s’en est allée depuis trois jours. En attendant que le ciel ouvre ses vannes et rende la circulation difficile, le trafic est normal sur la nationale 1, longue de plus de cinq cents kilomètres. La route, en pleins travaux jusqu’en 2009, relie Brazzaville, la capitale, à Pointe-Noire, le poumon économique du pays. Un flot ininterrompu de véhicules, des poids lourds aux minibus en passant par les taxis collectifs peints en vert et blanc, roule dans les deux sens. En raison des travaux de réhabilitation, la voie est segmentée en tronçons bitumés alternant avec ceux en latérite. La nationale traverse le département du Pool, au sud de Brazzaville, principal foyer d’insécurité depuis la guerre civile de 1997. C’est le bastion de Frédéric Bitsangou, alias pasteur Ntoumi, et de ses miliciens Ninjas, ex-combattants depuis l’accord ?de cessez-le-feu de 2003.
Soixante-quinze kilomètres séparent Brazzaville de Kinkala, le chef-lieu du Pool, région tout en relief, avec une végétation luxuriante où la forêt l’emporte sur la savane. Pour parcourir cette distance, il faut passer par six barrages : les trois premiers tenus par les forces gouvernementales, au sortir de la capitale, les trois autres par les Ninjas qui prélèvent une taxe. « C’est du racket ! » s’indigne un proche du pouvoir. « Cette route a été sécurisée par nous, répondent les hommes de Ntoumi. Nos efforts méritent récompense. » Il n’y a pas longtemps encore, la route Brazzaville-Kinkala était un véritable coupe-gorge. Représentants de l’ONU, autorités administratives ou départementales, commerçants, simples citoyens, personne n’a échappé aux attaques et exactions en tout genre généralement attribuées aux Ninjas. Mais aussi aux forces loyales au président Denis Sassou Nguesso. Beaucoup étaient dépouillés de leurs biens ou condamnés à céder leur place, dans les véhicules, aux marchandises appartenant aux rebelles. Trois jours étaient parfois nécessaires pour parcourir les soixante-quinze kilomètres séparant la capitale du chef-lieu du Pool !

Le parfum de la paix
En dépit des tergiversations et des ratés qui ont suivi l’accord de cessez-le-feu signé entre les belligérants en mars 2003, le temps de la guerre semble révolu. La cérémonie de destruction symbolique d’armes organisée le 8 juin à Kinkala, en présence du Premier ministre congolais, Isidore Mvouba, et du pasteur Ntoumi, illustre bien cette volonté de paix, sans laquelle les dernières élections législatives n’auraient pu avoir lieu dans le département, comme ce fut le cas en 2002. Il a fallu, pour en arriver là, beaucoup de pressions, de médiations, notamment de la part de l’Église catholique. Et surtout que le gouvernement satisfasse certaines exigences du pasteur, qui a finalement été nommé délégué général à la présidence, en charge de la promotion des valeurs de paix et de la réparation des séquelles de guerre.
Première halte, à une vingtaine de kilomètres de Brazzaville. Sur le bord de la route, un étal sur lequel des produits de consommation courante attendent des clients. Une jeune femme est assise sur un escabeau, à côté d’un enfant. À quelques mètres, trois ou quatre jeunes gens coiffés à la rasta, la barbe clairsemée, devisent tranquillement. Ce sont d’anciens combattants Ninjas. Derrière eux s’alignent de modestes maisons en briques de terre. Sur l’une d’elle flotte un drapeau violet, la couleur caractéristique du mouvement que dirige le pasteur Ntoumi. Un autre ex-combattant surgit de l’autre côté de la route. Petit, vif comme un ressort, il a les mêmes dreadlocks, la même barbe hirsute que ses camarades. Tout sourires, il s’approche du 4×4 d’une équipe du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) au Congo, conduit par Aderemi Aibinu, chargé du Programme de réinsertion économique et sociale des jeunes à risque (Presjar), financé par le Japon.
Proche collaborateur de Ntoumi, l’ancien rebelle est un spécialiste des lance-roquettes. Il explique que les dreadlocks sont pour les Ninjas un signe de leur résistance au pouvoir. « Mais la guerre est finie, poursuit-il de sa voix légèrement éraillée. Nous n’avons plus attaqué la moindre position gouvernementale. L’heure est au dialogue, car les armes ne résolvent rien. » Depuis le 13 août, il gère un moulin à manioc reçu dans le cadre du Presjar. En moins d’une semaine, l’ex-milicien a déjà encaissé 14 475 F CFA (22 euros). De bon augure. Deuxième halte, quelques kilomètres plus loin. Une rencontre avec un membre de la garde rapprochée de Ntoumi est prévue. L’homme apparaît, tendu, sur ses gardes, un revolver à la ceinture. Ses interlocuteurs lui expliquent que sa demande d’un moulin à manioc ne peut être satisfaite dans l’immédiat. Mais l’ex-Ninja est pressé : il veut tout, tout de suite. Il arrache finalement un rendez-vous dans les plus brefs délais.

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Dans la nuit de Kinkala
Kinkala, enfin ! Avec les herbes folles qui la dévorent, le chef-lieu du Pool et ses quelque 6 000 âmes ne paient pas de mine. Ville fantôme abandonnée par ses habitants pendant la guerre, elle essaie de prendre un nouvel élan. Témoin de son martyre récent, son unique station-service ressemble à un lieu hanté où nul ne se hasarde. Trois pompes à essence mangées par la rouille gisent sur le sol. À côté de l’église, un groupe de jeunes jouent au football. Au bord du terrain, un bâtiment abrite le Centre d’apprentissage des métiers artisanaux où une soixantaine d’élèves – dont quinze ex-combattants – étudient la mécanique et la soudure.
Dans un autre quartier, un autre projet a démarré il y a trois mois. Il concerne la pisciculture et le maraîchage. Giscard, ex-Ninja de 29 ans qui s’est débarrassé de son look rasta, y participe. En cette fin de journée, il arrose consciencieusement ses légumes. « J’ai passé dix ans de ma vie à faire la guerre, confie-t-il. Je n’ai rien gagné. Aujourd’hui, la page est tournée, je veux vivre de ce travail. » En trois mois, l’ancien rebelle a gagné 20 000 F CFA. Pas de quoi encore nourrir toute sa famille, une femme et cinq enfants. Mais ses débuts sont prometteurs.
La nuit venue, les habitants de Kinkala se retrouvent derrière le marché, sur la place traversée par la nationale 1. Là, quelques débits de boissons diffusent à tue-tête de la musique congolo-zaïroise. Bière et sodas sont de la fête. Les Ninjas, parias d’hier, viennent s’amuser comme tout un chacun. Mais à 22 h 30, la ville est soudainement plongée dans le noir, économie d’énergie oblige. De quoi rappeler les heures sombres de la guerre civile lorsque Kinkala était soumise à un couvre-feu. Dans le Pool, tout semble encore fragile. La réconciliation n’est pas totalement acquise. La collecte des armes n’a pas encore eu lieu. Les anciens miliciens qui ont fui leurs villages après y avoir commis des atrocités n’osent pas y retourner. Il faudra peut-être, comme le suggère un habitant de Kinkala, organiser une sorte de forum au cours duquel les jeunes demanderaient pardon.
Au-delà de Kinkala, en suivant la ligne de chemin de fer, la réalité est plus dure. Le train, parti de Brazzaville à 9 heures, arrive à Pointe-Noire à 23 heures. À chaque station, les Ninjas taxent les passagers, qui leur donnent des boîtes de sardines ou du vin de palme. Par une sorte de consensus, l’armée régulière laisse faire. D’aucuns parlent d’une zone de non-droit où prolifèrent des champs de cannabis.
Quant à Ntoumi, son attitude suscite bien des interrogations. Le pasteur n’a toujours pas gagné Brazzaville pour occuper ses nouvelles fonctions. Le 15 août, il n’a même pas daigné se rendre à Owando, chef-lieu du département de la Cuvette, dans la partie méridionale du pays, où le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, célébrait le 47e anniversaire de l’indépendance. Or, comme chacun le sait au Congo, le processus en cours dépend en grande partie de ses bonnes dispositions

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