Peur sur Bujumbura

À l’origine du climat politique délétère qui règne depuis plusieurs mois, les dissensions au sein du parti au pouvoir ont fini par rejaillir sur le dialogue avec l’opposition, compromettant gravement le processus de reconstruction du pays.

Publié le 27 août 2007 Lecture : 4 minutes.

La tension est montée d’un cran à Bujumbura après la tentative d’arrestation, le 22 août, à son domicile, de Pancrace Cimpaye, porte-parole du Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu), le principal parti de l’opposition, pour « offense au chef de l’État ». Malgré l’impressionnant dispositif mis en place par les forces de l’ordre, Pancrace Cimpaye a réussi à prendre la fuite. Un incident qui survient après bien d’autres, tout aussi inquiétants, dans un pays où le climat politique est délétère depuis plusieurs mois.
Le 10 août, le journal Intumwa, proche du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Front national pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), a publié les noms, photos, ascendance, origines et coordonnées d’une quarantaine de députés ayant boycotté les travaux consacrés à la ratification d’une loi. Le 19, des attaques à la grenade ont été lancées contre les domiciles de certaines personnalités.
Au pouvoir depuis août 2005, le chef de l’État, Pierre Nkurunziza, est confronté à une grave crise institutionnelle essentiellement due aux dissensions qui se sont fait jour au sein du CNDD-FDD à l’issue du congrès de Ngozi, en février dernier, lequel a conduit au limogeage, puis à l’arrestation, le 27 avril, de Hussein Radjabu, alors numéro un du parti. Un nombre croissant de députés proches ou non de Radjabu sont entrés en dissidence, certains n’hésitant pas à démissionner, faisant ainsi perdre au CNDD-FDD sa majorité au Parlement. D’où l’instabilité actuelle. L’un des députés démissionnaires, qui a préféré garder l’anonymat, rend directement le chef de l’État responsable de la crise qui mine son parti. D’autres, au contraire, pensent que Pierre Nkurunziza est l’otage d’un groupe de faucons. « Avant le congrès de Ngozi, le président a lui-même menacé de révocation des fonctionnaires nommés par décret qui refusaient de participer à ces assises, assure le parlementaire. Depuis, le parti a changé d’idéal. »
Mais la fronde au sein du CNDD-FDD a pris un nouveau tour dans la seconde quinzaine d’août. Quelques personnalités pourtant proches du chef de l’État – c’est le cas de Jean-Marie Ngendahayo, le mari d’Antoinette Batumubwira, actuelle ministre des Relations extérieures – ont en effet adressé une lettre à Pierre Nkurunziza lui enjoignant de prendre langue avec l’opposition. Une initiative très mal perçue au sein du CNDD-FDD. Certains observateurs pensent que le salut du parti au pouvoir passe par la relaxe de Hussein Radjabu, l’ancienne cheville ouvrière de cette formation. Ses proches affirment que son arrestation est politique. Ils accusent le pouvoir de le maintenir au secret alors que son dossier est vide et se demandent pourquoi il n’a pas encore été déféré devant une juridiction compétente.

Les cafouillages au sein du CNDD-FDD ont évidemment des répercussions sur le dialogue entre le pouvoir et les deux principaux partis d’opposition, le Frodebu et l’Union pour le progrès national (Uprona). Les divergences portent essentiellement sur la formation d’un éventuel nouveau gouvernement d’union nationale. Les désaccords sont tels que le chef de l’État a tenté un passage en force en nommant, en juillet, des ministres qui n’avaient pas été présentés par les partis d’opposition. « Le pouvoir, faute d’arguments, cherche à diviser les partis pour travailler avec certaines personnalités en contournant les structures officielles. C’est une façon de refuser le dialogue », souligne Aloys Rubuka, président de l’Uprona. Le 20 août, suite à diverses pressions, il a rencontré Pierre Nkurunziza. « L’audience a été riche, concède-t-il. Le président nous a accordé deux heures. Les échanges ont été sereins parce qu’il s’est montré disposé à écouter nos préoccupations, avant d’avancer ses propres arguments. » À la prochaine rencontre, l’Uprona compte exposer ses principales revendications : l’entente sur le sens à donner au partenariat dans un gouvernement d’union nationale ; la gestion concrète des dossiers brûlants concernant la violation des droits de l’homme, les malversations économiques et la corruption ; le strict respect de l’accord d’Arusha.

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Les revendications du Frodebu sont quasiment identiques. « Nous devons nous entendre sur la façon de stabiliser le pays, explique Léonce Ngendakumana, président du mouvement. Mais aussi envisager comment le pouvoir doit négocier avec les Forces nationales de libération (FNL, la dernière rébellion en activité), sans oublier le rétablissement dans leurs droits de nos élus qui ont été démis de leurs fonctions. » Pour leur part, les dirigeants du Frodebu ont été reçus par le chef de l’État le 22 août, le jour même où les forces de l’ordre ont tenté d’arrêter Pancrace Cimpaye. Pour Léonce Ngendakumana, cette opération est un piège tendu par le pouvoir. « C’était une provocation destinée à nous empêcher d’aller au rendez-vous avec Nkurunziza. Prévenus de la manuvre, nous avons tout de même pu rencontrer le chef de l’État. »

En attendant, la peur s’est emparée des esprits au Burundi. D’autant que, depuis le mois de juillet, les représentants des FNL installés à Bujumbura se sont évanouis dans la nature, préférant regagner le maquis, mettant ainsi fin au processus de négociations avec le gouvernement. Du coup, l’armée a commencé à renforcer ses positions autour de la capitale et recommande à la population d’éviter de voyager la nuit. Pourtant, la reconstruction du pays, détruit par une décennie de guerre, passe par la stabilité politique et la paix, gages dont a besoin la communauté internationale pour débloquer les 650 millions de dollars promis aux autorités burundaises. L’issue des tractations en cours sera donc décisive pour la suite.

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