Guinée : Khalifa Gassama Diaby, ministre contrarié, a fini par jeter l’éponge
Le 14 novembre, le ministre de l’Unité nationale et de la Citoyenneté, Khalifa Gassama Diaby, annonçait sa démission. La fin d’une longue collaboration en dents de scie entre ce ministre, qui avait plusieurs fois songé à jeter l’éponge, et le président Alpha Condé.
« Lorsqu’on a définitivement acquis la certitude que le combat que l’on mène avec le cœur, l’honnêteté et l’engagement éthique n’est plus manifestement, clairement, une préoccupation et une priorité majeure ni pour le gouvernement auquel on appartient, ni pour les acteurs politiques nationaux, ni dans le jeu politique et institutionnel, on se retire. » Dans le communiqué annonçant sa démission, c’est en ces termes que Khalifa Gassama Diaby exprimait sa lassitude, estimant n’être pas parvenu à faire bouger les lignes au sein du gouvernement autant qu’il l’aurait voulu.
Une décision dont le ministre de l’Unité nationale et de la Citoyenneté aurait informé le président Alpha Condé en dernière minute, par SMS, choisissant de le placer devant le fait accompli, souffle l’un de ses proches. Selon la même source, « cette manière de faire ne traduit pas un manque d’égard envers le chef de l’État mais plutôt une volonté de rendre irréversible sa démission ». Auparavant, Diaby avait en effet envisagé à plusieurs reprises de démissionner, sans jamais franchir le pas.
Une dizaine de tentatives
« Il a brandi cette menace plus d’une dizaine de fois », assure l’un de ses collaborateurs au ministère. Sa première tentative est survenue seulement deux semaines après sa nomination, le 5 octobre 2012, à la tête du ministère des Droits de l’homme et des libertés publiques – qui deviendra le ministère de l’Unité nationale après la présidentielle de 2015. « C’était à la suite d’une divergence avec le président de la République lors d’un Conseil des ministres, ce sont des collègues qui l’avaient calmé », se souvient l’un d’entre eux.
Il a toujours été à deux doigts de démissionner », confie Siaka Barry
« Il a toujours été à deux doigts de démissionner, confie à Jeune Afrique l’ancien ministre des Sports, de la Culture et du Patrimoine historique, Siaka Barry. J’ai eu moi-même à l’en dissuader, au premier trimestre 2017. Je me souviens notamment d’un débat houleux qui l’a opposé au président Condé à propos du viol conjugal. Ils ont eu aussi des divergences sur la question des conditions carcérales. Le chef de l’État le taxait d’être l’homme des ONG internationales. »
Le point de non-retour
À plusieurs reprises, son propre père, âgé de 95 ans, avait dissuadé Khalifa Gassama Diaby de quitter le gouvernement. Leur tête-à-tête, qui a précédé l’officialisation de sa démission, n’a cette fois pas entamé la détermination du fils. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase ? En juillet, excédé par les manifestations contre la hausse du prix du carburant et contre les résultats des élections communales de février 2018, le Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana avait déclaré préférer l’ordre public à la loi. Par la suite, le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, Bouréma Condé, avait annoncé l’interdiction de toute manifestation politique jusqu’à nouvel ordre. « Ma présence dans ce gouvernement n’a plus aucun sens », confie alors Gassama Diaby à un proche.
Toutefois, si les dernières opérations de répression contre des manifestations politiques – qui ont fait deux morts civils et une victime policière à Wanindara, un quartier de la commune de Ratoma, fief de l’opposition – n’ont pas arrangé les choses, Gassama Diaby avait rédigé sa lettre de démission dès le début du mois d’octobre.
Lors du Conseil des ministres, le 15 novembre, Alpha Condé a pris acte de la démission de Khalifa Gassama Diaby. « Le président de la République a instruit le ministre de l’Industrie et des PME [Tibou Kamara, ndlr] d’assurer l’intérim du démissionnaire », précise-t-on dans le compte rendu du conseil. Contacté par Jeune Afrique, le ministre de l’Information et de la Communication, Amara Somparé, préfère ne pas en dire davantage.
Plusieurs personnalités ont exprimé leurs regrets, à l’instar de Siaka Barry, qui a rendu hommage au « courage » et à « l’esprit patriotique » de Gassama, qu’il qualifie d’homme libre. « Il est resté citoyen avant d’être administrateur. Il a eu le courage de se battre pour des valeurs, des idées, même contre le gré du gouvernement ». Frédéric Foromou Loua, le président de l’ONG Mêmes droits pour tous (MDT), se dit lui aussi « déçu ». « Au sein du gouvernement, il incarnait la voix des droits de l’homme. La plupart des autres ministres sont davantage mus par des considérations politiques. » Selon lui, « cette démission n’a pas vraiment été une surprise. Je me souviens qu’il avait déclaré, au Palais du peuple, lors de la dédicace du livre Mémoires collectives, fin septembre, que la Guinée est un pays « triste et attristant ». »
C’est dans ce même lieu que Khalifa Gassama Diaby avait annoncé, le 7 novembre 2017, la fin de son « aventure » avec la Semaine nationale de la citoyenneté et de la paix (Senacip), qu’il avait initiée en 2016 avant de la faire adopter par l’Assemblée nationale. L’objectif était de désamorcer les tensions sociopolitiques par l’éducation civique. Faute du soutien des autorités, la Senacip a fait long feu. L’édition 2018, prévue le 1er novembre, n’a finalement pas eu lieu.
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