Manto Tshabalala-Msimang dans l’il du cyclone

Critiquée pour ses prises de position dans la lutte contre le sida, la ministre sud-africaine de la Santé est au cur d’un nouveau scandale. Mais continue de bénéficier du soutien sans faille de Thabo Mbeki.

Publié le 27 août 2007 Lecture : 5 minutes.

Si le chef de l’État sud-africain avait décidé de se tirer une balle dans le pied, il ne pouvait trouver meilleur revolver que Manto Tshabalala-Msimang. L’acharnement mis par Thabo Mbeki à défendre sa ministre de la Santé, cible de violentes critiques dans son pays comme à l’extérieur, intrigue les Sud-Africains autant qu’il agace la communauté scientifique internationale.
Les relations que Manto Tshabalala-Msimang entretient avec les ONG et les médecins de son pays sont particulièrement tendues depuis son arrivée à la tête du ministère de la Santé, en juin 1999. Et les récentes accusations véhiculées par une presse peu tendre à son égard n’ont rien arrangé à l’affaire. Dans ses éditions du 12 et du 19 août, The Sunday Times l’a traitée ni plus ni moins de « voleuse, d’alcoolique et de menteuse ». L’hebdomadaire révèle en effet que, dans les années 1970, Manto aurait dérobé des bijoux à une patiente sous anesthésie alors qu’elle était intendante d’un hôpital au Botswana avant d’en être expulsée. Lors d’une opération à l’épaule subie dans un établissement du Cap en 2005, elle aurait ignoré le règlement de l’hôpital et ordonné au personnel de lui apporter du vin, du whisky et des vivres. En mars dernier, la ministre n’aurait pas été opérée du foie pour une hépatite, mais pour une cirrhose due à son penchant pour la bouteille. Pis, le président Mbeki lui-même serait intervenu pour demander qu’un foie lui soit transplanté d’urgence. Au détriment d’une vingtaine de patients en attente d’un organe.
La présidence a évidemment démenti. Et attaqué en justice l’hebdomadaire à l’origine de ces accusations. Que les journalistes puissent ou non prouver leurs allégations – comme l’a réclamé le gouvernement – n’est pas, en réalité, la cause principale de la guerre ouverte entre la presse et Manto Tshabalala-Msimang. Ces petits scandales ne rempliraient que les pages des faits-divers s’ils n’avaient pour objet la femme qui incarne la piètre gestion des priorités sanitaires du pays depuis huit ans. Et s’ils n’étaient liés au drame humain, social et économique que représente la progression inquiétante du virus du sida au pays de Mandela.
Surnommée « Docteur Betterave » par ses compatriotes, Manto Tshabalala-Msimang s’est rendue célèbre pour avoir, dès son arrivée au gouvernement, prôné une alimentation saine à base de végétaux (ail, citron, pommes de terre et betteraves, entre autres) pour soigner le sida, tout en remettant en question l’efficacité des antirétroviraux, quitte à en exagérer les effets secondaires. Fidèle parmi les fidèles du président, « Manto la gousse d’ail » n’a jamais dévié de la ligne défendue par Thabo Mbeki, avec qui elle quitta l’Afrique du Sud en 1962, au plus fort de l’apartheid. Et qui a nommé son époux, Mendi Msimang, trésorier général de l’African National Congress (ANC), le parti au pouvoir, en 1997

Jusqu’à ce que le cabinet présidentiel reconnaisse, en 2002 seulement, que le VIH causait bien le sida, la ministre a toujours mis en doute ce que la communauté scientifique internationale déclarait haut et fort depuis de nombreuses années. À 67 ans, cette femme, médecin de formation, bardée de diplômes, est ainsi devenue la bête noire des associations de lutte contre le sida. En août 2006, Stephen Lewis, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour le sida en Afrique, la promeut au rang de « star internationale » en dénonçant les incohérences de son programme de lutte contre la maladie. Dans la foulée, soixante-cinq scientifiques de renom réclament à Thabo Mbeki la tête de sa ministre. Mais le président tient bon.

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Au début de l’année, la santé de Manto se dégrade : hospitalisée, elle est contrainte de quitter provisoirement les bureaux de son ministère. Sa vice-ministre, Nozizwe Madlala-Routledge, se voit confier le dossier sida, au grand bonheur des associations de malades qui lui reconnaissent une approche plus réaliste de la crise. Thabo Mbeki semble lâcher du lest et, sans changer radicalement de cap, préfère ne plus être associé à ce qui demeure le principal échec de ses deux mandats, alors que le nombre de séropositifs atteint 5,5 millions d’habitants (soit plus de 10 % de la population, un des taux de prévalence les plus élevés au monde). Nozizwe Madlala-Routledge rompt avec la politique de l’autruche menée par sa ministre de tutelle. Elle brise les tabous et se soumet elle-même, avec son mari et son fils, au test de dépistage du VIH. Mais, début août, Thabo Mbeki la limoge brutalement. Motif ? La vice-ministre est accusée de s’être rendue, sans l’accord présidentiel et en compagnie de sa famille (aux frais du gouvernement), à une réunion internationale où elle a publiquement critiqué le système de santé de son pays. Très vigilant sur les dépenses de ses ministres, Thabo Mbeki veut donner l’exemple, comme il l’a déjà fait en 2005 en écartant son vice-président Jacob Zuma, mêlé à des affaires de corruption. Bonne ou mauvaise raison, les Sud-Africains voient surtout dans ce limogeage l’occasion rêvée pour Manto Tshabalala-Msimang de revenir aux affaires. Depuis juin, elle a d’ailleurs fini sa convalescence et repris ses fonctions.

Aujourd’hui, l’ANC la soutient et accuse les médias de s’être lancés dans une chasse aux sorcières. Manto Tshabalala-Msimang est du sérail et présente un parcours honorable depuis son engagement contre l’apartheid, dès l’âge de 20 ans. Dans les années 1980, au Botswana, au Mozambique et en Zambie, elle était responsable des questions sanitaires et du bien-être de ses camarades exilés. Elle a organisé, avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la première conférence internationale sur la santé et l’apartheid en 1980 et a été responsable des programmes de formation sur la santé pour les mouvements de libération à l’Organisation de l’unité africaine (OUA) de 1976 à 1979. Son approche du sida lui aura été fatale et ne cessera de la faire trébucher, ternissant durablement son image.
Dans un contexte politique très tendu, où Jacob Zuma fait campagne pour ravir à Thabo Mbeki le leadership de l’ANC en décembre prochain, les soutiens de tous bords ne sont pas de trop. Et, en volant une nouvelle fois au secours de celle qui ne l’a jamais lâché, Thabo Mbeki fait certes preuve de loyauté, mais aussi, selon les observateurs, de cécité politique

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