Le vote de l’espoir

Un taux de participation élevé, des résultats surprenants, une existence réelle de l’opposition Le premier tour des élections du 11 août marquerait-il la naissance d’une vie politique vraiment démocratique ?

Publié le 27 août 2007 Lecture : 4 minutes.

Pour la première fois en près de quarante ans, la Sierra Leone est en passe de faire l’expérience de l’alternance dans un contexte politique apaisé. Les résultats des élections présidentielle et législatives du 11 août dernier placent l’opposition dans une position favorable pour le second tour de scrutin, qui devrait intervenir autour du 8 septembre. Il s’agit d’une petite surprise, le candidat de la majorité sortante ayant été présenté comme le favori.
Au lendemain du premier tour, Ernest Baï Koroma, le leader du Congrès de tout le peuple (APC), devance d’environ six points Solomon Berewa, le vice-président sortant et candidat du Parti du peuple sierra-léonais (SLPP), au pouvoir. Surtout, Koroma a reçu, le 20 août, le soutien de Charles Margaï, le leader du Mouvement du peuple pour un changement démocratique (PMDC), arrivé en troisième position avec près de 15 % des voix. « Si l’on additionne les scores de Koroma et de Margaï, tous deux réunissent plus de 55 % des suffrages, soit le seuil requis pour qu’un candidat soit élu dès le premier tour », relève Marie-Anne Isler-Béguin, députée européenne et chef de la Mission d’observation de l’Union européenne des élections en Sierra Leone.
Le scrutin législatif, qui s’est déroulé le même jour, confirme cette tendance. ?Le parti de Koroma y fait également la course en tête devant le SLPP et le PMDC.
Ces résultats sont d’autant plus significatifs que, comme au Liberia en 2005, le taux de participation a été très élevé : plus de 75 % des 2,6 millions de Sierra-Léonais appelés aux urnes sont allés voter. Le phénomène serait toutefois moins le reflet d’un enthousiasme démesuré des électeurs pour l’APC – l’ancien parti unique de Siaka Stevens qui occupa sans interruption la scène politique sierra-léonaise entre 1968 et 1992 – que d’une volonté de la population de voir les choses réellement changer. « Ce n’est pas Koroma qui a gagné en popularité, c’est le gouvernement qui a perdu des soutiens », a indiqué à l’AFP Abu Brima, du Mouvement du réseau pour la justice et le développement, une ONG de défense des droits de l’homme.
Le parti au pouvoir semble, en effet, payer ses divisions autant que les désillusions qu’il a créées ces cinq dernières années. L’apparition d’une candidature PMDC, émanation du SLPP créée en janvier 2006 par Charles Margaï alors en rupture de ban avec le président Kabbah après que celui-ci eut refusé de faire de lui son successeur, a incontestablement affaibli Berewa. En outre, la population a le sentiment que, durant la dernière mandature, ses conditions de vie n’ont pas connu de réels progrès. « En mai 2002, quatre mois seulement après la signature des accords de paix qui avaient mis fin aux onze années de guerre civile dans le pays, les Sierra-Léonais avaient réélu Kabbah dès le premier tour parce qu’ils n’aspiraient qu’à la paix. Mais cette fois, le peuple veut un vrai projet politique et se dit que c’est maintenant ou jamais », analyse Marie-Anne Isler-Béguin.

À cela s’ajoute une nouvelle donne institutionnelle et politique, explique de son côté Carolyn Morris, responsable de l’International Crisis Group (ICG) pour l’Afrique de l’Ouest. Le peuple a, selon elle, accueilli l’émergence du PMDC comme une rupture bienvenue avec la traditionnelle polarisation de la vie politique nationale autour de deux partis. Le bon score réalisé par la nouvelle formation le 11 août en serait le meilleur témoin.
Concernant les élections législatives enfin, le pays est revenu en 2002 à un système dans lequel les députés sont élus en fonction de leur score dans leur circonscription, en remplacement de l’ancien mécanisme fondé sur une représentation proportionnelle nationale, dans laquelle l’attribution des sièges dépendait du résultat des partis dans tout le pays. Conséquence : « L’ancrage local de leurs représentants fait que les gens se sentent plus concernés par l’élection », décrypte Carolyn Morris.
Reste que la victoire de l’APC n’est pas acquise, loin de là. D’aucuns affirment même que le duel de septembre devrait être très serré. « Nombre d’électeurs qui ont voté pour le PMDC au premier tour ne sont pas prêts à mettre un bulletin dans l’urne pour Koroma au second, même si Margaï le soutient », commente un observateur sur place. Dès le 20 août d’ailleurs, plusieurs cadres du PMDC ont fait savoir que la décision de leur leader n’engageait que lui Issus du SLPP pour la plupart, les cadres du nouveau parti restent, en effet, idéologiquement plus proches de Berewa que de Koroma et n’entendent pas suivre leur dirigeant dans un choix que certains interprètent comme un règlement de comptes.
Pour tous les experts cependant, le véritable enjeu de cette élection est ailleurs. Deux ans après le départ des derniers Casques bleus de la Mission des Nations unies en Sierra Leone (Minusil), tous s’accordent pour dire que l’important ne réside pas tant dans la couleur politique de la formation qui sortira des urnes que dans le bon déroulement du scrutin, preuve que le processus démocratique aura été conduit à son terme.
« La question est de savoir comment le perdant réagira après sa défaite, mais nous sommes optimistes, reprend la responsable de la Mission d’observation de l’UE. Aucun candidat n’a intérêt à ce que la situation dégénère. Pour tous, ces élections sont une occasion unique de montrer que la Sierra Leone a changé, alors qu’elle jouit encore d’une image négative dans la plupart des pays du monde. Il s’agit d’une tribune grâce à laquelle elle peut prouver qu’elle est devenue un État stable, qui n’est plus une menace dans une sous-région toujours agitée. »

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