L’autre, cet inconnu

Entre roman d’apprentissage et autobiographie, un livre savoureux, drôle et, contrairement au titre, plein de tendresse humaniste.

Publié le 27 août 2007 Lecture : 2 minutes.

Si tous les autobiographes se racontaient avec autant de grâce que Jacques A. Bertrand, les rayons des librairies verraient vite s’envoler leurs uvres, raflées par les lecteurs ravis. Ce court livre, qui se lit en une heure, donne l’impression d’une conversation à mi-voix, quelques paroles échappées dans un café, deux ou trois confidences que vous livre, sur un ton ironique, un inconnu sur le quai d’une gare, un soir de grève de la SNCF. Encore que l’image soit fausse : cet inconnu qu’est Bertrand est sans doute du genre qui ne s’étale pas, qui a horreur des questions et ne croit pas du tout aux réponses. Ce n’est pas pour rien qu’il cite celles qu’affectionnait Francis Blanche, confronté aux formulaires administratifs (Né : oui. Situation familiale : compliquée).
Pour les lecteurs francophones, le « maître étalon » du souvenir d’enfance, c’est la trilogie de Pagnol. À cette aune prestigieuse, Bertrand, pourtant moins prolixe, ne fait pas mauvaise figure. « La gloire de son père », c’est d’avoir été un maître d’école (tiens, lui aussi) à l’ancienne, « inconditionnel de la règle en bois », sévère mais juste. « Le château de sa mère », c’est le petit appartement au-dessus de la salle de classe. Très pratique pour descendre aux cours en pantoufles
Les années d’internat, les premières amours (contrariées, bien sûr), les études, le service militaire : tout est prétexte à réflexion sur cet animal bizarre : l’Autre. Et ses paradoxes : « je est un autre », bien sûr ; mais avant Rimbaud, Nerval : « je suis l’autre » ; et avant eux, Rousseau : « Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. » Pour finir par l’archiconnue – mais souvent mal comprise – sentence de Sartre : « L’enfer, c’est les autres. » Tout cela figure en exergue au livre et lui donne une parfaite cohérence.
Curieusement, Sartre et Beauvoir apparaissent régulièrement dans cette autobiographie, toujours entre parenthèses, toujours complètement imaginaires, pour ne pas dire farfelus. C’est comme ça que Bertrand, qui semble vouer au grand philosophe une admiration un peu ironique, nous montre le danger des vies par procuration. « Profitez de votre enfance », dit-il aux plus jeunes, trop pudique pour dire aux autres – qu’il prétend ne pas aimer (même que c’est pas vrai) – trop pudique pour leur dire : vivez votre vie. Pas celle des autres. Toujours eux
Jacques A. Bertrand n’est ni Michel Onfray ni BHL : il n’a rien à prouver, il n’a pas d’ennemis, il ne vous demande rien. Mais vous refermerez ce livre grave et léger en vous reconnaissant un nouvel ami dans ce monde cruel. Et si un jour vous le rencontrez, vous vous présenterez ainsi : « Je suis l’autre, ton semblable, ton frère. »

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