À la recherche du Maroc éternel

D’Oujda à Casablanca et de Fès à Rabat, impressions et rencontres d’un Tunisien rêvant du « Maghreb des peuples ».

Publié le 27 août 2007 Lecture : 9 minutes.

Je suis né tunisien de parents algéro-marocains. Un de mes ancêtres est enterré à Sidi Hadjress (Algérie), un autre à Moulay Idriss (Maroc). J’ai une grand-mère kabyle, une autre marocaine. Autant dire que l’Afrique du Nord est inscrite dans mes gènes. Depuis quelque temps, j’ai entrepris divers périples à travers le Maghreb, à la recherche de ces lieux qui créent des liens. Cet été, j’ai profité d’un séjour à caractère scientifique pour revisiter Oujda et découvrir, au pas de course, d’autres cités marocaines. L’année 2007 restera gravée dans ma mémoire. Parti retrouver le Maroc de toujours, je n’arrête pas d’y croiser l’Algérie et ma Tunisie natale.

Oujda. Il est des villes marquées, à la fois, par d’éternels désaccords et par des promesses d’entente comme peuvent en nourrir deux voisins, deux frères ennemis, deux puissances régionales. Strasbourg (France), Tripoli (Liban) ou Djerba (Tunisie) sont du nombre. Oujda, capitale de l’Oriental marocain et voisine de l’Oranais, aussi. Quand les relations étaient au beau fixe entre le Maroc et l’Algérie, on circulait librement entre les deux régions. Les Oujdis passaient le week-end à Oran pour y faire des emplettes. Les Tunisiens traversaient l’Algérie en train, puis, à Maghnia, prenaient un bus en direction de Zouj Beghal (« les deux mulets »), le poste-frontière entre les deux pays. Oujda vivait de cette manne et les Tunisiens y ont laissé de bons souvenirs.
Je me rends donc à ce poste-frontière fermé depuis tant d’années C’est là que s’arrête le Maghreb des peuples !
À Oujda, je rêve de voir la ville entrer dans l’Histoire en scellant la réconciliation entre les deux voisins. « Les accords d’Oujda » : comme cela sonnerait bien ! Mon interlocuteur me rassure : « Ils vont sûrement rouvrir la frontière d’ici à huit mois ou un an », estime-t-il, dans un bel élan d’optimisme. En attendant, le marché informel de la ville regorge de marchandises espagnoles, algériennes ou autres.
Je traverse la Médina. À cause de mon accent, un vieux monsieur se rend compte que je suis tunisien. Il me prend par la main et me dit : « L’un de tes compatriotes est enterré ici, dans la vieille ville. » Lequel ? « Eh bien, on n’en sait rien On l’appelle Sidi Ahmed Tounsi (« le Tunisien »). » Une petite coupole indique, en effet, la présence d’un sanctuaire. Le Maghreb des saints
Lors de sa visite en Tunisie, dans les années 1950, Hassan II avait demandé à se recueillir sur la tombe de Sidi Bou Fandar. Stupeur et désarroi du protocole : qui est-ce, celui-là ? Les Kairouanais connaissent bien ce mausolée accolé à une boulangerie de renom. Le roi avait précisé à ses interlocuteurs ébahis qu’il descendait dudit Sidi Bou Fandar…
Reste que, pour le moment, c’est plutôt l’ombre d’Abdelaziz Bouteflika qui plane sur Oujda. On me montre l’une des maisons appartenant à la famille du président algérien et le lycée où il fit ses études. Le cas de figure rappelle celui de deux grands chanceliers allemands, Konrad Adenauer et Willy Brandt, qui seraient nés à Strasbourg. Ou d’Habib Bourguiba, le symbole de la Tunisie, qui vit le jour dans le quartier des Tripolitains – c’est-à-dire des Libyens – à Monastir. Symboles, hyperboles
Je quitte Oujda avec un pincement au cur. Excentrée, la cité conserve son âme, son mode de vie traditionnel. Sa solitude, aussi. Mais les projets touristiques de la côte ne risquent-ils pas de l’emporter dans l’ouragan du mercantilisme, du vrai-faux patrimoine ? Il me semble que l’Oriental recèle d’autres ressources. En attendant, le train qui m’emmène à Fès traverse le pittoresque village de Taourirt (qui est aussi le nom d’un quartier de Houmt Souk, à Djerba). On traverse également Matmata. Son homonyme tunisien est devenu célèbre grâce au film Starwars. Où suis-je donc ? Toujours au Maghreb, mais pas dans le même pays !

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Fès. À l’intérieur du sanctuaire de Sidi Ahmed Tijani, je vois débarquer des personnages tout de bleu et de blanc vêtus. Des Subsahariens. Qu’ils sont majestueux, avec leur air grave empreint de sérénité ! Tous égrènent le chapelet tijani. S’agit-il du pèlerinage annuel de la célèbre confrérie ? Non, il semble que ce soit plutôt une réunion exceptionnelle. Fondée par un chérif né en Algérie et enterré à Fès, la Tijania joue un rôle important en Afrique, notamment en Algérie, au Mali, au Sénégal et en Guinée.
Plusieurs journaux relatent l’événement, mais choisissent la polémique. Certains suggèrent que l’Algérie tenterait d’empêcher la tenue du rassemblement. D’autres évoquent une possible allégeance des tijanis au roi du Maroc. D’autres encore estiment que les tijanis pourraient organiser une médiation entre Mohammed VI et Abdelaziz Bouteflika. La liberté de ton de ces publications me surprend, même si, entre la vitrine et l’intérieur du magasin, je sais qu’il y a parfois de sensibles différences…
Je suis le cortège des disciples à travers la pittoresque Médina de Fès et m’arrête devant la célèbre mosquée des Qaraouiyine (Kairouanais) édifiée au IXe siècle grâce à Fatma Fehri, dont la famille était originaire de Kairouan. Hélas, le bâtiment est fermé pour restauration. Dans certaines échoppes, les rumeurs vont bon train. Le bruit court que des galeries souterraines et des trésors auraient été découverts dans le sous-sol du prestigieux monument.
Malgré l’opposition d’un gardien, je décide d’y faire un tour, en attendant d’admirer l’entrée de la fameuse bibliothèque des Qaraouiyine où sont conservés de précieux manuscrits, dont celui des Prolégomènes d’Ibn Khaldoun. Cela me rappelle que le Maghreb des livres reste, lui aussi, un vu pieux. Né tunisien, Ibn Khaldoun n’a-t-il pourtant pas vécu, étudié et même travaillé aussi bien en Andalousie qu’à Fès, Msila ou au Caire ? À très juste titre, ce grand savant aurait pu s’exclamer, par anticipation : « L’UMA, c’est moi ! »
J’en viens à me demander si nous ne devrions pas plutôt nous baptiser ifriqiyiens, plutôt que maghrébins Le mot Afrique figurait en bonne place, si je ne m’abuse, dans les rêves de jeunesse de nos aînés !

Rabat. Je me dirige lentement vers la tour Hassan et le mausolée du sultan Mohammed V, quand, tout à coup, surgissent devant moi des colosses portant la tenue officielle des sportifs algériens. Non, je ne rêve pas : des Algériens sont bel et bien en train de visiter l’un des plus importants symboles de la monarchie chérifienne !
Vérification faite, il s’agit de l’équipe nationale de basket-ball, en pleine préparation de la Coupe d’Afrique des nations. « Pourquoi avoir choisi le Maroc ? Mais parce que c’est notre voisin et qu’il possède de bonnes infrastructures », me répond l’entraîneur.
Le Maroc et la Tunisie peuvent-ils battre l’Algérie ? « Impossible, me répond-il. Nous sommes les meilleurs. » Je demande à voir un joueur originaire de Msila. « C’est le plus grand et le plus calme de l’équipe », m’informe le coach. Je salue le joueur en question. Il doit bien mesurer 2 m 20.
Dans le mausolée où sont enterrés Mohammed V, Hassan II et son frère, je retrouve l’ensemble de l’équipe. Les gardes en faction portent une tenue qui me rappelle celle de cavaliers algériens en parade. Je salue à nouveau les basketteurs, qui me regardent partir d’un air perplexe, puis décide de me rendre au palais royal.
J’avais en effet promis à un proche parent d’aller me recueillir sur la tombe du précepteur kabyle de Mohammed V, feu Ouannès Mammeri, l’oncle de l’écrivain algérien Mouloud Mammeri.
Le chauffeur de taxi m’explique que j’ai le droit d’entrer dans la première enceinte du Palais, mais que je devrai laisser mon passeport au poste de police. Ce que je fais, avant de traverser la rue qui conduit au palais. Je déchiffre les inscriptions au fronton des édifices : protocole royal, courrier, doléances, etc. Apparemment, l’entourage du jeune roi est nombreux !
La question sociale pèserait-elle plus lourd que l’affaire du Sahara occidental ? Je ne sais, je cherche la tombe d’Ouannès Mammeri. Où se trouve-t-elle ? Dans le palais même, me suggère un interlocuteur. Je regarde l’énorme bâtisse. Un palais royal marocain, un précepteur algérien, un visiteur tunisien
À Rabat toujours, un jeune professeur de langues qui m’accompagne me suggère d’aller boire un thé du côté du jardin des Oudayas. Mais le lieu est bien trop touristique à mon goût ! Il me propose alors un endroit unique qui tient de la cour des miracles, en plein cur de la Médina. Je sirote mon thé et regarde autour de moi un univers où se côtoient le Maroc des innovations et des défis, et celui des marginaux et des exclus.
Mon accompagnateur me vante les mérites de la Tunisie : « Vous n’avez pas nos problèmes, lance-t-il. C’est bien chez vous ! » Ce à quoi je lui réponds : « Mais, mon cher ami, la Tunisie a toujours été un laboratoire d’idées et de projets de société. Toujours ! » Le Maroc ? « Votre pays est grand. Ses problèmes sont à la mesure de ses ambitions et de ses prouesses : immenses ! » Je n’ose pas aborder avec lui la question du football, de peur de passer pour un provocateur : la sélection tunisienne est en effet la bête noire des Lions de l’Atlas
Depuis le début de mon périple, ce qui me surprend le plus est sans doute la loquacité retrouvée des Marocains. Je me souviens qu’au temps de Hassan II, j’avais peine à arracher quelques mots à mes voisins originaires du Rif. Aujourd’hui, les gens que je croise me surprennent par leur liberté de ton. Nouvelle illustration à Casablanca : je demande au restaurateur chez qui je me suis arrêté : « À qui appartient cet immeuble gigantesque ? » « Au Makhzen ! » me répond-il sans hésiter. « Et ce projet immobilier ? Au Makhzen ! » répète-t-il, sans l’ombre d’une inquiétude. Autres temps, autres murs…

Casablanca. Du 26 juin au 1er juillet, la Foire internationale de Casablanca organise une Semaine de l’Algérie au Maroc. Lors du grand dîner donné à cette occasion, la présence de l’épouse et de la sur du roi ne passe pas inaperçue. Des hommes d’affaires algériens sont en conclave au Maroc. Ici comme à Tunis, on souhaiterait assurément en voir plus souvent.
Mon regard se dirige vers la mosquée Hassan-II, au loin. À en croire un hebdomadaire satirique local, le somptueux édifice n’est pas épargné par les problèmes auxquels tous les monuments appelés à traverser les siècles sont un jour ou l’autre confrontés : vieillissement, fissures, problèmes d’assurances… Il est vrai que l’exposition du bâtiment aux embruns de l’Atlantique n’arrange pas les choses Mais si la foi soulève les montagnes, ne peut-elle pas protéger ces lieux des intempéries ?
J’en viens à m’interroger sur l’origine du nom de Casablanca. Pour cela, mieux vaut retourner aux sources de l’Histoire, qui n’est peut-être pas l’officielle.
Au XIVe siècle, en route pour le Sénégal, un voyageur tunisien échappe par miracle à un naufrage, juste en face de la colline d’Anfa. Les pêcheurs qui le recueillent croient à un miracle et Sidi Allal Al Qayrawani, c’est son nom, devient une sorte de saint protecteur de la ville.
Mais quand celui-ci décide de faire venir sa fille – surnommée Baïda à cause de la blancheur de sa peau -, de Tunisie, celle-ci n’échappe pas au naufrage. Un mausolée est alors édifié autour de sa tombe. On le baptise Dar al-Baïda, la Maison de la Blanche, qui, par déformations successives, donnera Maison Blanche, puis Casablanca.
Venu chercher le Maroc éternel, je n’ai finalement pas cessé d’y retrouver l’Algérie et la Tunisie : à chaque coin de rue, dans les mausolées, dans les articles de presse, dans les conversations et dans les espoirs des Marocains.

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