Comment l’Occident voit ses musulmans

Selon une étude de l’institut Harris, Européens et Américains ne portent pas le même regard sur leurs concitoyens « membres de la Oumma ».

Publié le 27 août 2007 Lecture : 4 minutes.

Les Britanniques sont plus méfiants à l’égard des musulmans que les Américains et les autres Européens, révèle un sondage de l’institut Harris Interactive pour le Financial Times*. Cinquante-neuf pour cent seulement d’entre eux pensent qu’il est possible d’être à la fois un musulman et un bon citoyen du Royaume-Uni. Un pourcentage nettement plus faible que ce que l’on constate en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie ou aux États-Unis, les autres pays auxquels s’est intéressé le sondage. Les Britanniques sont également les plus nombreux à craindre un « grave attentat terroriste » chez eux au cours des douze prochains mois, à considérer les musulmans comme une « menace pour la sécurité intérieure » et à estimer que les musulmans ont au Royaume-Uni une trop grande influence politique.
En revanche, sur des aspects plus personnels de l’intégration – le fait d’avoir des amis musulmans et d’accepter le mariage de leurs enfants avec un musulman -, les Britanniques sont plus ouverts que d’autres Européens. Les résultats de ce sondage donnent à penser que les complots terroristes contre le Royaume-Uni, et notamment les attentats de Londres du 7 juillet 2005, ont laissé des traces dans la tête des Britanniques. Ossama Saeed, de la Muslim Association of Britain, dénonce pour sa part ce qu’il appelle une « honteuse campagne de presse » contre la communauté musulmane. La plupart des Britanniques interrogés – 52 % – s’attendent à un « grave attentat terroriste » avant la fin de l’année. Même en Espagne, où les extrémistes de l’ETA ont récemment dénoncé le cessez-le-feu, 32 % des personnes interrogées seulement redoutent un grave attentat. Elles ne sont que 30 % aux États-Unis et de 15 % à 18 % en France, en Italie et en Allemagne.
La France est le pays qui fait le meilleur accueil à ses musulmans. Les Français sont les plus nombreux à répondre qu’ils ont des amis musulmans, qu’ils acceptent que leurs enfants se marient avec un musulman et que les musulmans sont en France victimes de critiques et de préjugés injustifiés. « En France, explique le politologue Patrick Weil, professeur à l’université Paris-I-Sorbonne, nous sommes très doués pour l’intégration culturelle. Mais nous sommes nuls pour lutter contre la discrimination, en particulier pour les emplois de haut niveau. Au Royaume-Uni, c’est l’inverse. »
Aux États-Unis, qui ont proportionnellement moins d’habitants musulmans que la France, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, 21 % des personnes interrogées considèrent la présence de musulmans comme une menace, et 20 % que les musulmans ont une trop grande influence politique.
L’autre grande constatation de l’enquête est la différence de statut de la religion dans les sociétés européennes. En France, et à un moindre degré au Royaume-Uni, la religion est une affaire privée. Moins d’un quart des habitants de ces deux pays est favorable aux écoles religieuses, et beaucoup sont opposés au port de vêtements ou de symboles religieux dans les établissements scolaires ou sur les lieux de travail. En Espagne, le tableau est tout à fait différent : on y est beaucoup plus favorable aux écoles religieuses. Les Italiens admettent eux aussi les symboles religieux dans les lieux publics.
Sur la question clé de savoir si l’on peut être à la fois un musulman et un bon citoyen de son pays, ce sont les Allemands et les Britanniques qui sont les plus réservés. En revanche, en France et en Espagne, plus de 70 % des personnes interrogées répondent que c’est possible.
Pour Erik Bleich, un spécialiste des relations interethniques en Europe, professeur au Middlebury College du Vermont (États-Unis), « ce sondage donne à penser que les Britanniques s’écartent d’une relation à la diversité plus progressiste ou plus multiculturelle qui a été la leur pendant des décennies ».
Une écrasante majorité de Français considèrent les immigrants musulmans comme des Français, voient en eux des conjoints possibles pour leurs enfants et ne les jugent pas comme des menaces pour la sécurité. Ce qui peut paraître surprenant moins de deux ans après les émeutes dans les banlieues et trois ans après l’interdiction du port du foulard islamique dans les écoles. Mais Patrick Simon, démographe à l’Institut national d’études démographiques (Ined), souligne que les émeutes de novembre 2005 n’étaient pas des révoltes islamiques contre la France. Les principales motivations étaient économiques et antipolicières. « La crise était sociale, et non pas religieuse », dit-il.
Moins d’un quart des Espagnols considèrent la présence de musulmans comme une menace pour la sécurité nationale ou jugent que les musulmans ont trop d’influence politique. Un cinquième seulement seraient opposés au mariage de leurs enfants avec un musulman.
Les États-Unis se vantent de mieux réussir l’intégration des musulmans que les pays européens. Pourtant, 40 % des parents américains se déclarent hostiles au mariage de leurs enfants avec des musulmans. Pour Bleich, l’explication pourrait être que les Américains sont plus pratiquants que les Européens. « Si l’on demandait à un fidèle d’une Église évangélique : Seriez-vous hostile au mariage de votre enfant avec un catholique ?, on pourrait avoir un grand nombre de oui », indique-t-il.
Un tiers des Italiens et des Allemands, et 46 % des Britanniques pensent que les musulmans ont trop d’influence politique. Commentaire de Bleich sur le pourcentage des Britanniques : « C’est une très nette surestimation du pouvoir qu’ont les musulmans. » Quatre seulement des 646 membres du Parlement sont musulmans, et les musulmans n’ont rien pu faire contre la politique du Royaume-Uni en Irak.
La méthodologie du sondage a pris en compte dans l’échantillon des facteurs tels que l’âge et le sexe, mais pas les croyances religieuses, et le nombre de personnes interrogées qui se déclarent de religion musulmane semble faible. En France, les musulmans représentent 8 % à 9 % de la population. En Allemagne et au Royaume-Uni, le chiffre est plus proche de 3 % à 4 %, mais les musulmans qui se reconnaissent comme tels ne représentent que 1 % des personnes interrogées. n
© Financial Times et Jeune Afrique 2007. Tous droits réservés
réalisé sur Internet entre le 1er et le 13 août auprès de ?6 398 adultes, à peu près également répartis entre les six pays.

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