Coke en stock
À Dakar, Bissau ou Cotonou, les quantités de cocaïne interceptées par les autorités sont de plus en plus importantes. Tant et si bien que la région est aujourd’hui considérée comme une plaque tournante du trafic de drogue entre l’Amérique latine et l’Euro
Rares sont les Africains qui ont déjà vu la couleur de la cocaïne. À 80 dollars le gramme en moyenne, la poudre blanche est hors de portée de la quasi-totalité des habitants d’un continent où près de 50 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Et pourtant, la coke passe de plus en plus sous le nez des Africains. Ces cinq dernières années, les saisies ont considérablement augmenté sur le continent : 5,7 tonnes rien que sur les huit premiers mois de 2007, 2,8 en 2006, 2,5 en 2005, 3,6 en 2004 contre 559 kg en 2002 (voir graphique p. 50). Le tout quasi exclusivement en Afrique de l’Ouest. En août, 360 kg ont été saisis au Bénin et 860 kg en Mauritanie. ?Les 27 juin et 1er juillet, 2,4 tonnes ont été découvertes sur une plage et dans une villa au Sénégal. Plus de 600 kg ont été trouvés en Guinée-Bissau en avril, et 500 kg au Cap-Vert en mars. Et dans les aéroports européens, il est devenu fréquent que la « came » ?saisie provienne du continent : 12 % en 2006, contre 9 % en 2005.
Mais l’Afrique ne produit et ne consomme que très peu de cocaïne. Comme le montre la version 2007 du rapport mondial sur la drogue de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), elle remplit depuis quatre ans un rôle utilitaire, celui d’un entrepôt entre lieux de production (Bolivie, Colombie, Pérou) et lieu de consommation (le Vieux Continent où, contrairement à l’Amérique du Nord, le penchant pour la coke va croissant). Une « plaque tournante », un « centre de trafic », un « eldorado des narcos », s’alarment les journalistes locaux qui, comme l’ONUDC, redoutent de voir la drogue finir par faire des adeptes chez eux.
Des côtes facilement accessibles
Pourquoi l’Afrique de l’Ouest ? Pourquoi maintenant ? Depuis le début des années 2000, les pays de l’Union européenne renforcent considérablement le contrôle de leurs frontières et prêtent une attention toute particulière aux cargaisons, par nature suspectes, venues d’Amérique latine. Entre 2004 et 2005, le nombre de saisies de cocaïne effectuées par l’Espagne, principal point d’entrée des trafiquants en Europe, a augmenté de moitié. Pour infiltrer la marchandise sur le Vieux Continent, les trafiquants sud-américains sont donc contraints d’emprunter de nouveaux itinéraires. Et les États d’Afrique de l’Ouest apparaissent comme une étape idéale avant la destination finale : peu surveillés, par négligence ou manque de moyens, leurs côtes sont facilement accessibles aux bateaux de pêche ou de fret approvisionnés au Venezuela ou au Brésil (à moins qu’ils ne récupèrent leurs cargaisons jetées en mer par des avions). L’océan est le chemin le plus utilisé entre l’Amérique latine et le littoral ouest-africain. En juin dernier, les autorités vénézuéliennes ont toutefois saisi 2,5 tonnes de cocaïne à bord d’un avion privé en partance pour la Sierra Leone.
Quand ils n’accostent pas directement, les « bateaux mères », comme on les appelle dans le jargon, sont déchargés, à quelques kilomètres des côtes ouest-africaines, dans des « bateaux filles », plus petits et plus rapides, ayant pour mission d’acheminer la marchandise à terre, où elle est ensuite stockée avant d’appareiller, quelques jours plus tard, pour l’Europe.
Le tout ne peut se faire sans la complicité – bien sûr rémunérée – des autorités locales : les quelque 600 kg de stupéfiants saisis en Guinée-Bissau en avril 2007 ont été découverts dans une voiture conduite par des militaires, arrêtés puis relâchés. Et grâce à des réseaux de « narcos » sud-américains tissés sur place. C’est en Guinée-Bissau, l’un des pays lusophones de l’Afrique de l’Ouest, que ces derniers sont le plus visibles, leurs grosses villas cossues fleurissant dans la misérable capitale de ce « narco-État » en devenir. D’après le journal britannique Sunday Telegraph, la valeur de la cocaïne transitant chaque année en Guinée-Bissau s’élèverait à 200 millions de dollars, soit l’équivalent de son produit national brut (PNB)
Comme pour la première étape du trajet, la coke repart généralement vers l’Europe par voie maritime. De telles odyssées donnent lieu à des saisies en mer orchestrées par les pays européens qui, grâce à un observatoire commun basé à Lisbonne et à un constant échange d’informations, repèrent les embarcations galeuses. En novembre dernier, à 580 kilomètres des côtes capverdiennes, les marines espagnole et britannique prennent d’assaut le Orca II, un navire venant de quitter Dakar à bord duquel a été chargée 1,3 tonne de cocaïne. Cinq personnes sont arrêtées : un Allemand, un Autrichien, deux Capverdiens et un Ghanéen. Les barons de la drogue préfèrent utiliser des navires battant pavillon africain pour endormir la suspicion des gardes-côtes européens, plus vigilants avec les pavillons sud-américains. Comme le Ceres II, immatriculé au Ghana, arrêté en juillet 2005 par la marine espagnole alors qu’il transportait 3,7 tonnes de cocaïne. De fait, les États africains n’ont pas toujours les moyens d’intercepter les cargaisons de drogue qui circulent le long de leurs côtes. En 2006, les 53 pays du continent en ont saisi, en tout, 2,8 tonnes, contre 9,8 tonnes pour l’Espagne dans les eaux internationales au large de l’Afrique de l’Ouest
Aux risques et périls des passeurs
Il est plus rare qu’entre la sous-région et l’Europe la cocaïne voyage par avion, souligne l’ONUDC, sans toutefois donner de chiffres. Les quantités sont, bien entendu, inférieures : en 2006, 455 kg de poudre en provenance d’Afrique de l’Ouest ont été interceptés dans les aéroports européens, au cours de 117 saisies. La marchandise est acheminée par l’entremise d’un « passeur ». Quand il ingère, parfois au péril de sa vie, ces petites boulettes de coke confectionnées sur le continent, l’une des rares transformations que la drogue y subisse (voir encadré p. 48), il peut transporter entre 800 grammes et 1,5 kg. Cette méthode représente 30 % des saisies en 2006. Quand il dissimule la came dans des valises, placées en soute aussi bien qu’en cabine (37 % des saisies), il voyage avec 8 à 10 kg. Plus les quantités sont importantes, mieux le passeur est rémunéré. En juillet dernier, deux adolescentes britanniques sont arrêtées à Accra au moment où elles s’apprêtaient à embarquer pour Londres avec, dans chacune de leurs deux sacoches d’ordinateur portable, trois kilos de « farine ». Chacune se serait vu proposer 6 000 dollars. Aujourd’hui, elles encourent dix ans de prison au Ghana. Des réseaux existent en Europe qui permettent de recruter ces intermédiaires, souvent dans des quartiers défavorisés. Leur voyage est payé, ils restent sur place une semaine environ pour ne pas éveiller les soupçons des douanes et sont défrayés pour leur séjour. Mais, le plus souvent, les passeurs sont africains. Comme ce membre de l’équipage de la compagnie Virgin Nigeria qui, profitant de ses facilités d’accès à bord, avait l’intention de transporter 1,7 kg de cocaïne à Londres, le 7 août, lorsqu’il s’est fait arrêter. À la police, il avouera avoir reçu 4 000 dollars. Par deux fois auparavant, il était passé entre les mailles du filet, découvriront les enquêteurs de l’Agence nationale de lutte contre la drogue (NDLEA).
Si de telles structures existent au Nigeria aussi bien qu’au Sénégal (l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants), elles sont absentes de Guinée-Bissau. Et quand elles existent ailleurs dans la sous-région, encore faut-il qu’elles ne soient pas des coquilles vides. En Europe, d’aucuns déplorent le fait que l’Afrique de l’Ouest ne dispose pas d’un observatoire qui permettrait de lutter plus efficacement contre un trafic qui prend de plus en plus d’ampleur.
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