Mali : un rapport documente les crimes de guerre et l’impunité à l’œuvre dans le centre du pays
Dans un rapport publié jeudi 20 novembre, la FIDH et l’AMDH dénoncent des violations des droits humains contre les populations dans le centre du Mali, pouvant être qualifiées de crimes de guerre. Ces régions en proie à des attaques jihadistes font également les frais de la lutte anti-terroriste dans un contexte de tensions intercommunautaires notamment pour l’accès aux ressources du fleuve Niger.
Le 8 novembre dernier, une vidéo du prédicateur et chef de la katiba Ansar Eddine Macina Amadou Diallo, dit Koufa, est mise en ligne. Il est aux côté de deux autres leaders du Groupe de soutien à l’islam et au musulmans (GSIM) : Iyad ag Ghali et Djamel Okacha dit Yahya Abou al-Hammam. Dans un message en langue peule ponctué de versés coraniques, Koufa appelle « les peuls de tous horizons au jihad ».
Depuis 2015, le centre du Mali, zone contrôlée par le chef jihadiste peul et ses hommes, surnommés « les hommes de la brousse », est touchée par la fièvre jihadiste. Si son influence prospère, c’est qu’il est en terrain fertile.
Le delta du Niger est le théâtre d’affrontements entre agriculteurs (majoritairement dogons et bambaras) et éleveurs (surtout peuls) notamment pour l’accès aux ressources naturelles, dans un contexte rendu d’autant plus tendu par les conséquences du changement climatique.
En prenant la défense des « pauvres » dans ses prêches et en tenant un discours « égalitariste », Koufa s’est façonné une image de justicier, en opposition à l’État souvent perçu comme prédateur, mais aussi de libérateur face à la mainmise des familles nobles. Il se pose également en défenseur des peuls, victimes selon lui des attaques des milices d’auto-défense des autres ethnies et de l’armée ainsi que de ses alliés français dans la lutte contre le terrorisme.
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« Le centre qui concentre 40% des attaques dans tout le pays est devenu la zone la plus dangereuse du Mali », pointent la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) dans un rapport publié le 20 novembre.
À travers des interviews de victimes, de témoins, d’anciens djihadistes, de responsables communautaires ou associatifs, d’autorités locales, ces organisations ont mené entre mai et juillet 2018 des recherches sur « les graves violations des droits humains et leurs auteurs présumés ainsi que sur les ressorts du conflit en cours au centre du Mali », en se focalisant sur les régions de Mopti et de Ségou. Elles dépeignent des populations prises au piège entre les groupes jihadistes, les milices d’auto-défense et l’armée.
Les violences dans le centre ont causé « 500 victimes civiles entre janvier et août 2018 ». Ces deux dernières années, 1 200 civils y ont été tués, une cinquantaine de villages brûlés, poussant au moins 30 000 personnes à fuir la région.
C’est également l’une des régions où l’on a le moins voté au cours de la présidentielle qui a reconduit Ibrahim Boubacar Keïta au pouvoir. À cause de l’insécurité, plusieurs bureau de vote n’ont pas pu ouvrir.
Des exactions de part et d’autre
Selon le rapport, les jihadistes sont les premiers responsables de la terreur et de l’instabilité dans la zone. Sous l’impulsion d’Amadou Koufa, la Katiba Macina a ciblé militaires, représentants de l’État, chefs traditionnels et religieux, et toute personne opposée à sa vision rigoriste de l’Islam.
Plusieurs dizaines de villages du Centre Mali vivent désormais sous son joug, caractérisé par « l’imposition de règles de vie totalitaires, des exactions graves et répétées (les enlèvements, la torture, les assassinats, les violences sexuelles) et la fermeture des écoles publiques ».
Selon l’ONU, 750 écoles étaient fermées en mai 2018 dans les régions de Kidal, Gao, Menaka, Tombouctou, Motpi et Ségou, et près de 225 000 enfants étaient privés de cours « en raison de l’insécurité ».
En mars 2018, près d’une école sur trois (264 sur 682) était fermée dans l’académie de Mopti, selon les chiffres de l’administration malienne. Aujourd’hui, le centre du pays concentre 65 % des écoles fermées du pays.
La passivité de l’État face aux exactions commises par plusieurs milices, notamment Donzos, questionne
La prolifération des milices d’auto-défense, essentiellement constituées sur des bases ethniques, pour pallier à l’absence de l’État depuis 2012 a également contribué à la détérioration de la situation sécuritaire. Qu’elles soient Peules, Bambaras, ou Dogons, elles ont contribué à l’infernal cycle d’attaques et de représailles. « La passivité de l’État face aux exactions commises par plusieurs milices, notamment donzos, questionne sur les soutiens politiques dont certaines bénéficient », souligne le rapport.
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Si les liens entre gouvernement et milices dogons restent à démontrer, il est en revanche plausible que les donzos aient été dans un premier temps utilisés par les forces armées maliennes (FAMA), comme « éclaireurs ou informateurs, avant de participer plus activement aux combats – avec ou sans l’aval de l’état-major militaire ». Selon les enquêteurs, de nombreux témoins disent avoir vu des donzos mener des opérations militaires aux côtés des FAMA.
Le rapport fait également ressortir les abus de certaines opérations antiterroristes qui constituent un obstacle au retour de l’État. Au cours de l’opération « Dambé » lancée en février 2018 dans le cadre du « Plan de sécurisation intégré » des régions du Centre, près d’une centaine de personnes auraient été exécutées sommairement et de façon extra-judiciaire.
La FIDH et l’AMDH détaillent six opérations au cours desquelles « des unités des FAMA ont arrêté et exécuté 67 individus présentés comme des « terroristes » et ont fait disparaître leurs corps dans des fosses communes ». La majorité des victimes sont des civils Peuls assimilés aux djihadistes.
« Certaines opérations anti-terroristes des FAMA ont été de véritables expéditions punitives répondant au même mode opératoire : arrestations sur la base de liste de noms, exécutions sommaires, enfouissement des corps dans des fosses communes. Ces crimes n’ayant donné lieu à aucune condamnation risquent de se poursuivre, alors qu’ils sont commis contre des civils désarmés, qu’ils soient ou non des soutiens des djihadistes », estime Maître Drissa Traoré, vice-président de la FIDH.
Crimes de guerre
En juin 2018, le ministère de la Défense et des anciens Combattants a reconnu l’existence de « fosses communes impliquant certains personnels FAMA dans des violations graves ayant occasionné mort d’hommes à Nantaka et Kobaka, dans la région de Mopti ». Les dépouilles de 25 personnes avaient été découvertes la veille par des riverains après une opération de l’armée malienne.
Ce communiqué était la première reconnaissance officielle d’une implication de FAMA dans des actes de violences contre des populations civiles dans la région. Le ministre de la Défense, Tiéna Coulibaly, avait alors « instruit au Procureur militaire d’ouvrir une enquête judiciaire » et « réitéré sa détermination et sa ferme volonté de lutter contre l’impunité, et engagé les FAMA au strict respect des conventions des droits de l’homme et du Droit international humanitaire dans la conduite des opérations ».
L’escalade des violences au centre du Mali est en passe de devenir hors contrôle et ne se résoudra pas à coup d’opérations militaires spectaculaires
La FIDH et l’AMDH évoquent cependant des crimes pour lesquels les responsables ne sont presque jamais punis. Le rapport documente ainsi plusieurs crimes commis par des éléments des forces présentes dans les régions de Ségou et de Mopti : groupe jihadiste de Koufa, milices communautaires et Forces armées maliennes, agissant notamment dans le cadre du G5 Sahel.
« Mais compte tenu de leur nature, de leur gravité et de leur ampleur depuis maintenant plus de trois ans », la FIDH et l’AMDH estiment qu’ils peuvent constituer « des crimes de droit international et notamment des crimes de guerre ». Ces derniers constituent des violations graves du droit international humanitaire commises à l’encontre de civils ou de combattants à l’occasion d’un conflit armé, qui entraînent la responsabilité pénale de leurs auteurs.
Les organisations appellent une réponse forte de la part des autorités politiques et judiciaires maliennes. « Tant pour répondre à l’obligation de l’État malien de juger des crimes de droit international que pour mettre un terme aux violences dans le centre du pays. »
Pour Maître Moctar Mariko, président de l’AMDH, « L’escalade des violences au centre du Mali est en passe de devenir hors contrôle et ne se résoudra pas à coup d’opérations militaires spectaculaires. Sans retour d’un État fort et juste, qui entreprendra de rétablir le lien entre toutes les communautés, la terreur jihadiste et les affrontements entre communautés continueront de prospérer ».
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