Saad Hariri

Vainqueur des dernières élections législatives, le futur Premier ministre libanais se contente, pour l’heure, de proclamer sa fidélité absolue à l’héritage de son père. Noviceen politique, il bénéficie de l’appui de l’Arabie saoudite et des États-Unis.

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 6 minutes.

« Après tout, il ne s’est pas mal débrouillé pour un novice. Quand on vous met un rouleau
compresseur entre les mains, encore faut-il savoir le conduire », ironise un militant de l’opposition chrétienne, rendu amer par les moyens disproportionnés de « la machine Hariri » qui a balayé, « à l’américaine », sa circonscription du Liban-Nord.
Celui qui vient de remporter haut la main les élections législatives en assurant à sa coalition une confortable majorité – 72 députés sur 128 – au Parlement de Beyrouth, était en effet, hier encore, un parfait inconnu de 35 ans qui avouait que sa connaissance intuitive de « ce qui est bien pour [son] pays et ce qui ne l’est pas » constituait son seul viatique en matière politique. Il peut aujourd’hui se flatter d’un incontestable succès, obtenu au terme d’un scrutin qui a suivi sans dérapage notable le chemin sinueux de la procédure concoctée jadis par l’ex-tuteur syrien. Et d’une légitimité confirmée par les félicitations que le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a adressées, le 20 juin, au « peuple libanais et [à] son gouvernement ». Bien né, « Cheikh Saad », le futur chef du gouvernement libanais et d’ores et déjà « l’homme fort » de ce pays, a donc aussi été bien élu.
C’est pourtant presque « par défaut » qu’il avait été adoubé par les puissants « parrains » réunis autour du cratère creusé, le 14 février dernier, par la bombe qui coûta la vie à son père, l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Ce dernier avait toujours déclaré ne pas vouloir d’héritier en politique, coupant court à toutes les spéculations. Après sa mort, quand Bahia, sa soeur cadette, très populaire dans les médias du monde entier, a été « retoquée » par les cousins saoudiens – toute la famille Hariri a la double nationalité – peu désireux de voir une femme prendre la relève, quand Nazek, la seconde épouse de Rafic, a été pour la même raison renvoyée à ses oeuvres caritatives, et après que Bahaa, le fils aîné, eut manifesté son refus de délaisser les affaires où il excelle au profit de la chose publique, la pointe de la flèche s’est arrêtée sur Saadeddine, au soir du 20 avril.
Un sobre communiqué de la famille endeuillée l’avait alors désigné comme celui qui assumerait « le leadership historique de toutes les affaires nationales et politiques » du Liban. Saad s’était presque excusé d’accepter « par devoir » cette écrasante responsabilité, pour « servir le Liban » et pour que « les assassins ne puissent pas réaliser leur voeu », non sans ajouter : « La politique m’est tombée sur la tête. […] Mon père était un géant, je ne suis qu’un tout petit gars… »
Le « tout petit gars » qui s’est transporté, avec armes et bagages, dans l’imposant palais familial de Koraytem, est né à Ryad le 18 avril 1970. S’il rappelle que ses quatre premières années de vie en Arabie saoudite, puis son séjour chez ses grands-parents à Saïda, au Liban, n’avaient rien à voir avec une jeunesse dorée, la famille élargie dans laquelle il évoluait n’a pas eu non plus à connaître les difficultés auxquelles son père Rafic avait été confronté au même âge. L’ambiance, dans la fratrie du Nord-Liban, était chaleureuse et singulièrement peu confessionnelle : musulman scolarisé chez les Frères maristes, Saad avoue avoir été contraint d’interroger sa grand-mère pour répondre à la question posée par un copain. « Est-ce qu’on est chiites ou sunnites ? – Ce sont des choses auxquelles on ne pense pas chez nous », lui aurait rétorqué l’aïeule…
L’invasion israélienne, en 1982, met fin à la quiétude de l’enfance. Pour plus de sécurité, Saad gagne la France où on l’installe, à l’Institution Palissy de Joinville, avec deux de ses frères et son cousin Nader, le fils de sa tante Bahia dont il est déjà très proche. De son côté, tout au long des années d’exil de ses enfants, Rafic, l’ancien expert-comptable, fait son chemin : en Arabie saoudite d’abord, où ses prouesses dans les travaux publics lui valent une fortune qui ne
cessera d’augmenter jusqu’à faire de lui le plus riche des Libanais ; à Beyrouth, ensuite, où il devient Premier ministre en 1992. Le jeune Saad doit s’habituer à la présence permanente d’accompagnateurs athlétiques qui ne le lâcheront pas lors de son retour à Ryad, pour la fin de sa scolarité, puis à l’université de Georgetown, aux États-Unis, où il s’inscrit au département des Affaires internationales. Une formation apparemment réussie. Début 2005, il était directeur général de Saudi Oger, l’une des plus importantes sociétés de construction du Moyen-Orient (35 000 employés et plus de 2 milliards de dollars de chiffre d’affaires), président du comité exécutif d’Oger Telecom et d’Omnia Holdings, membre du conseil d’administration de la Banque saoudienne d’investissement, de l’Entreprise de travaux internationaux, de la chaîne de télévision privée Future TV… Autant de firmes le plus souvent fondées par le leader disparu et où l’influence de celuici ne fut sans doute pas sans effet sur l’avancement rapide de son « businessman speedé » de fils.
Loin de contester l’importance de l’héritage paternel, Saad n’a jamais cessé de s’associer à sa légende, revendiquant une fidélité absolue au patrimoine matériel, politique et moral accumulé depuis un quart de siècle. Fidélité au clan, mais aussi aux principes (« Mon ambition est de poursuivre ce que mon père avait commencé ») en luttant contre la corruption, pour la justice, l’intégrité nationale et « les réformes ». Saad prône, comme son géniteur, la vertu de la conciliation, qu’il s’agisse de sa « main tendue » au général Aoun, son principal opposant sorti des urnes, du « dialogue national » qu’il souhaite ouvrir avec le Hezbollah sur l’application de la résolution 1559 de l’Onu prévoyant le désarmement des milices, ou de la négociation annoncée avec Israël sur le retrait sioniste des fermes de Sheba. Fidélité aux amis et autres conseillers qui sont passés, sans transition, du service du père à l’entourage du fils, dont ils peuplent désormais le cabinet et l’antichambre. Fidélité aux mentors : alors que la campagne battait son plein, Saad est accouru à Ryad pour prendre des nouvelles de la santé du roi Fahd… et sans doute recueillir les dernières consignes du prince héritier Abdallah Ben Abdelaziz. Sitôt baptisé par son clan, le futur candidat était reçu à l’Élysée par Jacques Chirac, un homme si proche de papa, qui a désormais reporté son affection pour Rafic sur le jeune couple – deux enfants, bientôt trois – formé par Saad et Lara, son épouse saoudienne d’origine syrienne. Bien que le président français ait lui aussi son lot de préoccupations, ils n’ont pas manqué de se revoir très vite et très régulièrement. Et lorsque Saad souhaite un éclaircissement ou un commentaire sur telle prescription de Paris, l’ambassadeur de France à Beyrouth Bernard Emié, qui a l’oreille des deux protagonistes, est toujours là pour le lui délivrer. Sans oublier, bien sûr, l’ombre protectrice de « l’oncle d’Amérique », en la personne du vice-président Dick Cheney et de ses cow-boys du département d’État, particulièrement attentifs à l’évolution de leur « poulain » dans un enclos qu’ils savent livré à toutes les convoitises.
Bref, le jeune Saad n’a pas été largué dans le monde cruel de la vie publique libanaise sans quelques atouts et de solides appuis. Outre l’aura de son père, des fées plus ou moins lointaines s’activent derrière son dos : ainsi, aucun blindage, aucun dispositif de brouillage électronique, aucun leurre dans les cortèges de Mercedes, aucune horde de gardes du corps ne lui apporteront sans doute la sécurité – même relative… – que lui procurent les mystérieuses paroles chuchotées par le prince Abdallah à l’oreille de Bachar al-Assad lors d’une de leurs dernières entrevues… Dans le domaine économique, les promesses réconfortantes faites d’au-delà des mers au nouveau « manager » de Beyrouth devraient rétablir la confiance dans un pays dont les finances, saignées à blanc par le montant de la dette, ne cessent de se détériorer : durant le dernier semestre, l’effondrement du tourisme et la baisse des entrées de capitaux ont encore aggravé le déficit de la balance des paiements.
Mais, à l’orée de son pouvoir, le jeune Saad, dont la popularité a jusqu’ici été davantage portée par l’émotion que par la raison, a choisi de s’adresser lui aussi au coeur de ses concitoyens : comme il l’a juré à l’épouse de Samir Geagea, sa priorité sera d’obtenir la libération du leader des Forces libanaises, en prison depuis onze ans pour une série de meurtres qu’il a toujours niés. Et, surtout, d’élucider les circonstances de l’assassinat de son père afin « d’éviter que la hantise de la vengeance ne régisse toute notre vie ».

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