Proche-Orient : la loi de la démographie

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 3 minutes.

Au Proche-Orient, c’est l’existence de l’État juif beaucoup plus que celle de l’État palestinien qui est aujourd’hui menacée. Quelles que soient les incertitudes qui pèsent sur ce dernier, il est évident que, même après l’évacuation de Gaza par Israël, les Arabes constitueront un jour ou l’autre la majorité de la population entre la Méditerranée et le Jourdain. Lorsque tel sera le cas, Israël cessera d’être un État juif, à la fois officiellement et dans les faits, sauf à enfermer la population arabe majoritaire dans des bantoustans et à instaurer l’apartheid.
Il est quand même assez incroyable que seule la création d’un État palestinien soit susceptible d’assurer la survie d’Israël en tant qu’État juif ! Pourtant, à mesure que se confirmeront et se réaliseront les projets du Premier ministre Ariel Sharon en Cisjordanie (non pas en dépit du désengagement de Gaza, mais à cause de lui), les Palestiniens renonceront tôt ou tard à la solution des deux États et se rallieront à la logique politique induite par la démographie.

Les Palestiniens n’accepteront rien de moins qu’un État délimité par les frontières de 1967. Ayant déjà cédé à Israël la moitié du territoire qui était reconnu comme leur patrimoine légitime par la résolution des Nations unies de 1947, on ne voit pas pourquoi ils consentiraient à l’annexion d’une partie du territoire qui leur reste (22 %), sauf dans le cadre d’un échange donnant-donnant.
En outre, la capitale de cet État palestinien devra être Jérusalem. Les chances qu’un dirigeant palestinien accepte de signer un accord de paix privant les siens d’une partie de Jérusalem sont aussi minces que celles de voir un dirigeant israélien concéder aux réfugiés palestiniens un « droit au retour ». De fait, d’éventuelles concessions palestiniennes sur cette question du droit au retour dépendent entièrement de celles qu’Israël pourrait être contraint de faire concernant Jérusalem.
Ces conditions sont évidemment difficilement acceptables par le gouvernement israélien. Elles ne sont concevables que si celui-ci se résout enfin à dire la vérité à la population. À savoir que c’est à la seule condition que soit créé un État palestinien viable et prospère qu’Israël peut espérer que les Juifs ne deviendront pas minoritaires dans leur propre pays.
Ceux qui, en Israël, s’imaginent que la communauté internationale, et en premier lieu l’allié américain, verrait d’un bon oeil la mise en place d’un régime d’apartheid qui priverait en permanence de ses droits et dominerait par la force la majorité arabe de la population, ou bien, au nom de la « sécurité », procéderait au nettoyage ethnique d’une grande partie de la Cisjordanie par des mesures de répression économique, ceux-là se trompent lourdement. Malheureusement, il existe en Israël des partis qui militent pour un tel nettoyage ethnique à peine déguisé et sont pourtant considérés comme des alliés acceptables.

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Ancien ministre du gouvernement Sharon, Nathan Chtcharansky fait ainsi campagne pour que les propriétés appartenant à des Arabes qui se trouvent situées de l’autre côté de la frontière de la ville de Jérusalem, mais qui sont contiguës à d’autres propriétés situées, elles, à l’intérieur, soient déclarées « abandonnées ». Ce qui permettrait au gouvernement de les confisquer sans indemnisation ni possibilité d’appel. Et c’est ce même Chtcharansky qui a convaincu le président George W. Bush qu’il fallait maintenir les Palestiniens sous occupation jusqu’à ce qu’Israël certifie qu’ils sont devenus des démocrates !
Les inexorables réalités démographiques seront beaucoup plus déterminantes pour l’avenir d’Israël que les colonies et la prétendue barrière de sécurité construite en grande partie sur des terres volées aux Palestiniens. Quand cette vérité commencera à dissiper les illusions qui entourent le processus de paix, les partisans d’Israël comprendront peut-être que la question n’est pas de savoir si la « fenêtre d’opportunité » se ferme devant l’État palestinien, mais si elle ne se ferme pas plutôt devant l’État juif.

Malheureusement, avec les très habiles manipulations de Sharon et de son conseiller Dov Weissglas, qui ne doutent pas une seconde (comme le second s’en est vanté dans Ha’aretz) d’être parvenus à convaincre les dirigeants américains de laisser mijoter dans le « formol » le processus de paix, il est probable que l’on n’en prendra conscience que lorsque la fenêtre en question se sera refermée.

* Consultant pour le Proche-Orient au Conseil des relations étrangères et ancien directeur exécutif du Congrès juif américain.

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