Out of Africa ?

Après le tabac, le négoce de cacao et l’exploitation du bois, le groupe français se sépare de sa branche transport maritime, autre fleuron de son empire au sud du Sahara.

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 4 minutes.

Vincent Bolloré est-il en passe de se retirer de l’Afrique ? La question taraude les esprits au moment où l’industriel breton est en pleine négociation avec l’armateur français CMA CGM (voir encadré) pour la vente de sa flotte de navires, qui assure de nombreuses liaisons hebdomadaires entre l’Europe, l’Asie et le continent. Après la cession de ses activités tabac en 2001, de négoce de cacao et d’exploitation du bois en 2004, Bolloré se sépare d’un autre fleuron. Et abandonne surtout une logique d’entreprise, celle de l’intégration des activités de production agricole, de commercialisation et de transport, qui lui a permis de bâtir un empire au sud du Sahara dans les années 1990.
« Nous n’avons aucune intention de quitter l’Afrique, tient à préciser Michel Calzaroni, le responsable communication de la société. Il s’agit d’une stratégie purement économique. Le transport maritime connaît un mouvement de concentration sans précédent, dont le dernier en date est l’offre de rachat du numéro trois mondial, P & O Nedloyd, par le leader, le Danois Maersk Sealand. Dans ces conditions, il se révèle de plus en plus difficile de nous y maintenir alors que ce n’est pas notre coeur de métier. » Voilà pour l’explication officielle. L’autre raison tient au développement du groupe. Vincent Bolloré, qui s’est lancé dans la construction d’un grand pôle de communication en 2000, aura besoin d’argent frais pour financer ses ambitions dans les années à venir. Ce secteur a toujours attiré le Breton, qui avait tenté, en 1997, de ravir TF1, la première chaîne de télévision française, au nez et à la barbe de Martin Bouygues. Sans succès… Mais, depuis, Bolloré est entré dans le capital de la Société française de production (SFP), poursuit sa conquête du groupe publicitaire Havas et s’est lancé dans la télévision numérique terrestre avec Direct 8. Des investissements de l’ordre de 500 millions d’euros sur les deux dernières années. Vincent Bolloré se donne dix-sept ans, soit l’horizon 2022, qui marquera le bicentenaire du groupe, pour construire un empire médiatique et le léguer à ses héritiers.
La question est désormais de savoir si le Français se séparera d’autres branches lucratives pour poursuivre ses emplettes sur le marché des médias. Si les responsables de la société se veulent rassurants quant au maintien de la stratégie africaine, force est de constater que l’on ne sait pas trop de quoi l’avenir sera fait. « Je ne suis pas dans la tête de Vincent Bolloré et je ne connais pas ses projets », avoue un cadre, qui ne veut surtout pas être cité. L’Afrique a toujours été un sujet sensible au sein d’un groupe souvent accusé de « coloniser » économiquement certains pays. Et comme Bolloré se méfie comme de la peste des journalistes, ses déclarations et celles de ses lieutenants sont savamment distillées…
À court terme, on voit mal cependant le PDG français se séparer de l’ensemble de ses activités africaines, qui réalisent annuellement plus de 1 milliard d’euros de chiffres d’affaires, soit plus de 20 % des revenus du groupe. Quelque 100 millions d’euros par an sont investis dans le renouvellement du matériel et des équipements de ses filiales (transport routier et ferroviaire, stockage et manutention, production agricole). Bolloré en Afrique, c’est quelque 18 000 emplois, 4 millions de m2 de bureaux et entrepôts, 5 000 engins… Le groupe transporte aujourd’hui quelque 2 millions de tonnes de bois, 800 000 tonnes de cacao-café et 800 000 tonnes de coton… Pour éviter de perdre son activité portuaire, l’industriel négocie actuellement des contrats de long terme avec CMA CGM, le repreneur de sa flotte maritime, pour assurer la logistique et la manutention des marchandises de l’armateur. Et sécurise ses contrats avec le Danois Maersk Sealand, l’autre poids lourd en matière de liaisons vers le continent. Mais l’heure n’est certainement plus aux grandes acquisitions, même si le groupe étudie ponctuellement le renforcement de ses positions dans le secteur portuaire. En prenant soin de ne pas irriter le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et certains dirigeants politiques, qui lui reprochent parfois ses positions dominantes, lesquelles ne permettent pas l’exercice du libre jeu de la concurrence. Pourtant, Bolloré n’a fait que profiter des opportunités que ces derniers lui ont ouvertes dans le cadre des politiques d’ajustement structurel qui ont abouti à la privatisation des entreprises publiques. En poursuivant une politique d’intégration des activités, l’opérateur français n’a cherché qu’à sécuriser au maximum ses approvisionnements tout en réduisant les risques dans des pays économiquement et politiquement instables.
Cible des critiques des ONG, des lobbies environnementalistes et de la société civile, Vincent Bolloré ne veut plus passer pour le vilain petit canard de l’Afrique. D’où la vente de ses plantations de tabac et d’exploitation de bois dans la forêt primaire camerounaise, deux secteurs sensibles pour la santé publique et l’avenir de la planète. Le Français souhaite montrer le visage d’un entrepreneur industriel qui n’est pas là pour piller les ressources du continent mais pour y développer des projets économiques. Mais personne n’oublie qu’il est aussi un financier redoutable qui tranche les têtes sans états d’âme. Dernière victime en date, le 21 juin : Alain de Pouzilhac, PDG de Havas.

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