Othmane Bali

Le chanteur algérien est décédé le 17 juin dans le Tassili n’Ajjer.

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 3 minutes.

Le luth d’Othmane Bali est orphelin. Cet instrument, véritable prolongement de l’artiste targui, ne sera plus caressé par les mains expertes de son maître. Othmane Bali, 52 ans, a été emporté par la crue d’un oued dans la nuit du vendredi 17 juin, dans le Tassili n’Ajjer. Les pluies diluviennes qui se sont abattues sur la région ont été fatales au chanteur algérien. Son 4×4 a été englouti par les eaux de l’oued Tinjatat qui traverse la ville de Djanet, et son corps sans vie a été repêché le lendemain par la Protection civile. Il a été enterré dimanche 19 au cimetière d’Aghoum, à 1 km de Djanet.

Othmane Bali, chantre de la culture touarègue, qui chantait le désert de sa voix profonde et sucrée et racontait l’espace infini et le vent dans les dunes, est retourné à la source. Son blues saharien restera longtemps dans nos oreilles. Comme ce soir de mai dernier, lors de l’enregistrement de sa dernière émission de télévision. Sous la kheïma (tente) de l’hôtel Dar Diaf, à Alger, il avait fait souffler l’esprit touareg tout au long de la soirée, transportant le public au coeur de son oasis natale. Il trônait comme un prince au milieu de son groupe. À sa droite : ses musiciens, dont son fils, qui a hérité de sa majesté. À sa gauche : sa femme, altière, sa mère, incontournable, et ses deux nièces drapées dans leurs voiles traditionnels mordorés, les yeux ourlés de khôl. Pour Othmane Bali, la musique était une histoire de famille. C’est sa mère, Khadidjata, grande chanteuse de tindé, qui lui a transmis ce genre musical touareg, en même temps que la vie. Né au mois de mai 1953, au pied du plus haut palmier de Djanet, Othmane avait été bercé par ses chants et ses poèmes. Il avait découvert le luth au début des années 1970, alors qu’il était étudiant en médecine, puis s’était mis à écrire des textes en tamacheq, la langue berbère parlée par les Touaregs, et en arabe, ainsi que certains refrains en français.

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Auteur, compositeur, interprète, il a contribué à faire (re)découvrir ce patrimoine musical, en Algérie et dans le monde entier, ses tournées le menant jusqu’au Japon. Tout en restant profondément attaché à la tradition, il a réussi à renouveler le genre tindé. Notamment en enregistrant dans les années 1990 trois albums avec l’Américain d’origine cherokee Steve Shehan. Il venait également de faire un duo avec le jazzman français Jean-Marc Padovani. Leur concert à Alger, en mai dernier, dans le cadre du Festival culturel européen, avait ravi tous ses fans. L’album né de cette rencontre sortira malheureusement à titre posthume. Fusion, métissage, mais aussi improvisation (qu’il affectionnait particulièrement) : Othmane Bali disait jouer du « contemporain touareg », se tenant à distance du folklore.

Médecin de son état, il possédait une prestance naturelle, et même à Paris, où il avait un pied à terre en proche banlieue, il mettait un point d’honneur à porter la superbe tenue traditionnelle de sa région. « Plus je suis loin de chez moi et plus j’ai envie de la mettre ! » disait-il en riant. Il a dû en étonner plus d’un, dans les couloirs du métro, homme bleu du désert égaré dans la cité… Comme ses frères touaregs, il avait le visage buriné par le soleil violent du Grand Sud. Malgré la réserve et la discrétion communes aux hommes du Sahara, Othmane était aimé pour son sens de l’humour, son franc-parler et sa joie de vivre communicative. Sur scène, il entrait littéralement en transe. Assis au centre de son groupe, il livrait des mélopées lancinantes et grisantes, faisant gémir son luth tel un Jimi Hendrix targui. Inspiré, concentré, son visage tourmenté ne s’éclairait qu’à la fin des morceaux, dans l’ultime complainte de son instrument. Les Algériens, qui avaient reconnu depuis longtemps son talent, le regrettent unanimement. Il est sûr que le désert non plus n’oubliera jamais son enfant chéri. Les dunes gardent l’empreinte de ses pas et le vent chante désormais pour lui.

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