Muhammad Yunus : « Le microcrédit garantit le respect des droits humains fondamentaux »

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 3 minutes.

Troisième fils d’une famille de neuf enfants, Muhammad Yunus est né dans le Bengale occidental en 1940. Il a fait de brillantes études en économie du développement avant d’enseigner à l’Université du Colorado, aux États-Unis. De retour dans son pays, il réalise, à l’occasion de tournées avec ses étudiants dans les villages, qu’une somme minime d’argent est souvent suffisante pour démarrer une petite activité. Quelques années plus tard, en 1983, il lance la Grameen Bank (Banque paysanne, en bengali) pour soustraire les producteurs pauvres aux usuriers. Aujourd’hui, cet établissement compte près de 4 millions de membres – dont 96 % de femmes – qui possèdent 90 % du capital de la banque. Son concept a fait école dans le monde entier.
Jeune Afrique/l’Intelligent : À quels défis est aujourd’hui confronté le secteur de la microfinance ?
Muhammad Yunus : La microfinance doit être davantage régulée. Il faut que les gouvernements créent des cadres réglementaires pour l’exercice des activités. Cela permettra d’ouvrir plus largement le secteur, notamment aux banques privées, qui, d’ailleurs, commencent à s’y intéresser, à condition que leur objectif ne soit pas uniquement de gagner de l’argent. Sinon, elles ne représenteront qu’une version institutionnalisée des usuriers traditionnels. En parallèle, il faut mettre en place des organes de contrôle, afin de s’assurer du bien-fondé des activités des différentes institutions.
J.A.I. : Pour se développer, les institutions de microfinance (IMF) ont besoin de ressources à long terme. Cela passe-t-il par l’accès aux marchés financiers ?
M.Y. : Cela peut être bénéfique mais pas indispensable. Par exemple, à la Grameen Bank, l’épargne constitue l’essentiel de nos ressources. Cela ne nous empêche pas de proposer des prêts de longue durée à nos clients, notamment des crédits immobiliers. Nous disposons même d’un surplus d’épargne !
J.A.I. : Nombreux sont ceux qui critiquent la cherté des crédits proposés par les IMF…
M.Y. : La rentabilité de l’institution est indispensable pour assurer sa pérennité. À la Grameen Bank, nous prenons 20 % d’intérêts pour les crédits qui financent des activités génératrices de revenus, 8 % pour les prêts immobiliers, 5 % pour les prêts étudiants, et pas d’intérêts pour les prêts aux mendiants. L’essentiel étant de ne pas dépasser de plus de 5 % le taux en vigueur sur le marché bancaire traditionnel.
J.A.I. : Les microcrédits, surtout dans les zones rurales, ne permettent pas forcément de créer des activités productives. Parfois, l’argent est utilisé pour financer des dépenses de santé, de mariage…
M.Y. : Ma définition du microcrédit est très claire : c’est un prêt destiné à des personnes défavorisées, de préférence des femmes, pour leur permettre de créer des activités génératrices de revenus. Un crédit pour payer un enterrement ou une télévision ne relève pas du microcrédit. Le système doit servir à acheter des animaux, des terres, à financer une campagne agricole, à ouvrir un petit commerce…
J.A.I. : La microfinance fonctionne-t-elle aussi bien en Afrique qu’au Bangladesh ?
M.Y. : Bien sûr ! Et même mieux. En Afrique, les femmes ont déjà un rôle majeur dans le système économique. Ce sont souvent elles qui font vivre le foyer.
J.A.I. : Vous militez pour que l’accès au crédit soit reconnu comme un droit humain universel. Pourquoi ?
M.Y. : Les droits au travail, à l’éducation, au logement sont tous déjà reconnus comme des droits humains fondamentaux. Mais les aspects financiers sont totalement occultés. Les ressources publiques ne peuvent pas répondre à tous les besoins. Le microcrédit, c’est-à-dire la possibilité de créer son propre emploi et donc de financer son logement et d’aider à l’éducation de ses enfants, garantit le respect des droits humains fondamentaux.

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