Les irréductibles du djihad

Certes, l’islamisme armé n’est plus en mesure de menacer les institutions de l’État. Mais il tue encore des dizaines de personnes chaque mois. Qui sont ces terroristes qui continuent à se jouer des forces de sécurité ?

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 7 minutes.

Jeudi 7 avril 2005 : quatorze civils sont mitraillés à un faux barrage dressé par des terroristes à Larba, à 30 kilomètres d’Alger. Dimanche 15 mai, douze soldats sont tués dans un attentat au camion piégé dans la région de Khenchela. Mardi 7 juin, treize gardes communaux sont déchiquetés par une bombe artisanale à Msila. Lundi 13 juin, le chef de la police judiciaire de Djelfa trouve la mort suite à l’explosion d’une bombe artisanale. Au cours de la même journée, trois gendarmes sont assassinés dans une embuscade à Tipaza. Lundi 19 juin, deux militaires périssent au cours d’une opération de ratissage dans les maquis de Kabylie…
À lire les comptes rendus de la presse algérienne, il est difficile de croire que l’islamisme armé est vaincu. Certes, la lutte antiterroriste a enregistré d’indéniables victoires. Certes encore, le terrorisme n’est plus en mesure de menacer les institutions de l’État. Certes toujours, une relative accalmie s’est installée sur l’ensemble du pays, et l’on peut sans doute affirmer que l’époque des grandes tueries est bien révolue.
Mais derrière ces constats et au-delà des discours optimistes des autorités, il reste une évidence : le terrorisme continue de tuer des dizaines de personnes par mois. Pis, les terroristes algériens ont démontré qu’ils sont capables non seulement de frapper à l’intérieur du pays, mais qu’ils peuvent aussi sévir dans les pays voisins.
Au moment où les États-Unis intensifient leur coopération avec les pays du Sahel pour endiguer la menace des activistes d’al-Qaïda, à l’heure où le président Bouteflika s’apprête à proposer une loi d’amnistie générale pour clore définitivement le chapitre de la « sale guerre », des questions se posent et des réponses s’imposent.

Combien sont-ils encore en activité dans les villes et dans les maquis ?
Vendredi 8 février 2002, Antar Zouabri, l’émir le plus sanguinaire des GIA (Groupes islamiques armés), tombe dans une souricière tendue par les militaires. Son successeur, Rachid Oukali, dit Abou Tourab, est liquidé par ses proches en juillet 2004. Nordine Boudiafi, surnommé Nordine RPG, qui reprend le flambeau, est arrêté à Alger en novembre de la même année. En décembre 2004, Chaabane Younes, fraîchement intronisé à la tête des GIA, est abattu à son tour.
Traqués par les services de sécurité ou victimes des purges internes, les chefs des GIA sont pratiquement tous éliminés. Le 4 janvier 2005, le ministre de l’Intérieur Yazid Zerhouni pouvait donc annoncer « le démantèlement quasi total » des GIA, l’arrestation d’une dizaine de personnes et la récupération d’un important matériel de guerre. Totalement discrédités, coupés des populations qui, un temps, leur ont apporté soutien et logistique, incapables de recruter de nouveaux adeptes du djihad, les GIA sont laminés.
Est-ce alors la fin de cette organisation réputée pour son extrême cruauté et tenue pour responsable des massacres qui ont endeuillé le pays durant les dix dernières années ? Probablement, même si la police observe une relative prudence : il resterait encore une trentaine de combattants, sévissant entre Blida, Chlef et Tissemsilt. C’est-à-dire suffisamment d’individus pour commettre des massacres avant de disparaître dans la nature. Et c’est sans doute cette trentaine de « renégats » qui auraient opéré lors du faux barrage d’avril dernier à Larba, un guet-apens au cours duquel quatorze personnes ont été sauvagement tuées.
Si les troupes du GIA sont laminées, qu’en est-il des autres activistes islamistes ? Ayant profité de la loi portant sur la concorde civile votée en septembre 1999 ainsi que des effets de la « grâce amnistiante » promulguée en janvier 2000, le gros des troupes a déposé les armes. L’Armée islamique du salut (AIS) et la Ligue islamique pour la daawa et le djihad sont dissoutes, et leurs chefs, reconvertis dans les affaires et dans le business, vantent désormais les vertus de la réconciliation nationale. Quant aux différents groupuscules qui complétaient la nébuleuse terroriste – El Baqoun Ala El Ahd, Katibat El Khadra, Houmat ed-Daaoua es-Salafia -, ils ont pratiquement disparu.
Selon un rapport du département d’État américain rendu public en avril 2005, il ne subsisterait aujourd’hui que 800 terroristes encore en activité, pour la plupart appartenant au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSCP). D’après le patron de la police algérienne, Ali Tounsi, ce nombre devrait être revu à la baisse. Sur un chiffre total de 30 000 terroristes au début des années 1990, indique- t-il, il ne resterait aujourd’hui qu’entre 300 et 500 combattants. Parmi eux, des irréductibles du djihad, des brigades qui s’adonnent aux rackets, aux pillages et au trafic de drogue, ainsi que des « égarés » qui n’attendent que l’amnistie générale pour descendre des maquis.

la suite après cette publicité

Pourquoi le GSPC continue-t-il de défier les forces de sécurité ?
Rien n’indique aujourd’hui que le gros des troupes du GSPC soit intéressé par le projet d’amnistie générale du président Bouteflika. Tout laisse à penser, au contraire, que cette organisation ne croit « ni à la trêve ni à la réconciliation ». En dépit des gros moyens engagés par les forces armées et malgré l’expérience acquise par les services de sécurité tout au long des dix dernières années, les terroristes du GSPC gardent une certaine capacité de nuisance. Ils dressent des faux barrages, rackettent les voyageurs, prennent des otages pour les échanger contre des rançons. Ils sont encore en mesure de fabriquer des bombes capables de tuer une dizaine de militaires d’un seul coup et de perpétrer des assassinats individuels contre des gendarmes et des policiers.
Pourquoi cette facilité à se jouer des forces de sécurité ? Un ancien haut responsable algérien expliquait, il y a deux ans, les techniques de guérilla adoptées par ces islamistes : ils agissent en nombre restreint, une dizaine d’individus tout au plus. Ils sont extrêmement mobiles, difficilement repérables et commettent leurs exactions dans les zones reculées et difficiles d’accès.
Lorsque les groupes ont déserté les centres urbains – désormais presque entièrement quadrillés et contrôlés par les services de sécurité -, ils se sont repliés dans les maquis de Kabylie, dans les forêts très boisées de l’Est algérien ainsi que dans les zones du Sud, vastes régions quasiment incontrôlables. D’où les difficultés de l’armée à les traquer et à en venir à bout. Le premier flic du pays, Ali Tounsi, livrait récemment à un confrère algérien son explication : « Les terroristes s’implantent dans des endroits absolument inaccessibles aux forces de sécurité. Il suffit de voir le relief algérien pour comprendre qu’il est très facile pour des individus de s’organiser en bandes, d’effectuer des embuscades et de se livrer au racket… Pour les traquer définitivement, les voies de communication dans les montagnes ne suffisent pas. »
Le général Thomas Csrnko, chef des forces spéciales américaines en Europe, ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare que les éléments du GSPC « sont très mobiles, très meurtriers et [qu’]ils prennent tout ce qu’ils peuvent avant de se retirer ».

Existe-t-il une réelle menace terroriste en Afrique du Nord ?
Les Américains en sont convaincus. Thomas Csrnko affirme que le GSPC représente le danger numéro un dans la région. Rompus aux techniques de la guérilla, disposant d’importants moyens financiers (la rançon de 5 millions d’euros versés par les Allemands en 2003 au GSPC pour la libération des touristes otages avait, en partie, servi à l’acquisition d’un impressionnant arsenal de guerre), fins connaisseurs des vastes régions désertiques qui couvrent une bonne partie de l’Algérie, du Mali, du Niger et de la Mauritanie, les salafistes algériens sont extrêmement actifs. Dernier haut fait d’armes de ce groupe affilié à al-Qaïda : l’attaque menée le 3 juin dernier contre une base militaire en Mauritanie au cours de laquelle 15 soldats ont été tués. Certes, le groupe terroriste a perdu neuf éléments, mais il a réussi à s’échapper avec un important lot d’armes et de munitions.
Second motif d’inquiétude des Américains : la présence de combattants nord-africains en Irak. À en croire les services de renseignements occidentaux, ils constitueraient plus de 25 % des quelque mille insurgés étrangers. « Certains individus et groupes ont la possibilité de se rendre en Irak pour y mener des opérations ou pour y recevoir un entraînement, souligne Thomas Csrnko. L’une de nos craintes est que, s’ils sont entraînés aux tactiques appliquées en Irak, ils finiront par les utiliser une fois de retour en Afrique. » Lorsqu’on connaît le rôle des anciens Afghans durant la « sale guerre » en Algérie, on peut comprendre les craintes de Washington.

Quelle est la nature de l’aide apportée par Washington dans la lutte contre les réseaux d’al-Qaïda ?
Pendant dix ans, l’Algérie a mené seule le combat contre le terrorisme islamiste. Les attentats du 11 septembre 2001 ont totalement changé la donne. Aujourd’hui, Washington coopère étroitement avec Alger et profite, en retour, de l’expérience algérienne. Après des années d’embargo, les Américains consentent à vendre des armes et du matériel de guerre et à fournir de précieux renseignements aux services de sécurité. Considérant le Maghreb et les pays subsahariens comme une base de repli pour l’organisation de Ben Laden, Washington met à la disposition de ces pays des millions de dollars, des armes sophistiquées, une assistance technique et des centaines d’instructeurs.
Dans le cadre de l’initiative antiterroriste « Trans-Sahara », le Congrès a récemment débloqué un budget de 60 millions de dollars pour l’année 2006 et de 100 millions par an pour les cinq années suivantes. Sept cents hommes des forces spéciales américaines ont participé du 6 au 26 juin à des exercices avec trois mille soldats originaires de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne (Algérie, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Nigeria, Tchad, Sénégal et Tunisie). Objectif de l’opération « Flintlock 2005 » : renforcer la coopération entre ces pays et prévenir la subversion transfrontalière. « Partout où il y a des terroristes, nous serons là pour aider à les chasser », commente Holly Silkman, responsable des forces américaines en Europe.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires