Le silence de la mère patrie

Saluée de toute part à Paris, l’admission de l’écrivaine algérienne à l’Académie française n’a guère suscité de commentaires officiels dans son pays.

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 3 minutes.

Assia Djebar a-t-elle été victime d’un mauvais timing ? Coincée entre l’annonce du report de la visite au Maroc du chef du gouvernement Ahmed Ouyahia et le décès par noyade du chanteur targui Othmane Bali, l’élection de l’écrivaine à l’Académie française, le 16 juin (voir J.A.I. n° 2319), n’a pas vraiment suscité une débauche de commentaires en Algérie. Tout au plus peut-on noter une dizaine d’articles qui ont salué cette élection, qualifiée, quasi unanimement, de « fierté nationale » !
Si en France, son deuxième pays, Assia Djebar a eu droit aux messages de félicitations du président Chirac et du Premier ministre Dominique de Villepin, en Algérie, les officiels ont été plutôt avares de compliments. La nouvelle académicienne devrait donc se contenter d’un texte signé par la ministre de la Culture Khalida Toumi. « Assia Djebbar […], déjà distinguée par les plus hautes institutions culturelles de la planète, vient d’être admise à l’Académie française pour une oeuvre de l’esprit patiemment tissée dans la géométrie de notre métier, avec le fil de notre être, dans la trame de notre histoire », a affirmé Khalida Toumi. N’y a-t-il pas dans le silence pudique des officiels algériens comme une sorte d’embarras, voire un malaise à devoir saluer la consécration, par une institution « française », d’une femme dont la langue d’écriture est le « français » ?
Écrivain et critique littéraire, Waciny Laredj en est convaincu. Il déplore le manque d’empressement de l’Algérie officielle à rendre hommage à cette grande dame de la littérature. « C’est une fierté nationale, et les pouvoirs publics, en premier lieu le chef de l’État, devraient réagir, déclare-t-il. Le traitement de cette information par la télévision nationale, comme un fait banal, m’a sidéré. […] Être élu à la prestigieuse Académie française n’est pas une mince affaire. »
Contraints à l’exil, souvent ostracisés par les officiels, parfois accusés d’être les suppôts de la France coloniale, les écrivains algériens d’expression française n’accèdent à la reconnaissance de la patrie que lorsqu’ils passent de vie à trépas. Mohammed Dib est mort en exil, Mouloud Mammeri a longtemps été qualifié d’écrivain « berbériste », et l’immense Kateb Yacine est jugé trop subversif pour avoir droit aux honneurs. Il s’est même trouvé quelques responsables politiques pour dénier à ce dernier le droit d’être enterré dans son pays natal.
Assia Djebar ne devrait sans doute pas échapper à la règle, estime Ameziane Ferhani dans le quotidien El Watan : « Le souvenir de nos écrivains et de nos artistes, si prompt à s’éveiller devant leur mort, ne peut-il donc jamais s’accommoder de leur existence ? Notre gratitude ne peut-elle s’exprimer à leur égard que dans l’oraison funèbre ? […] Pis, nous ne sommes même pas constants dans la logique de l’hommage post mortem. Passées les démonstrations tardives, les afflictions sincères ou feintes et les promesses diverses, nous nous hâtons d’oublier leur vie et leurs oeuvres. L’inventaire est rapide des rues, places et établissements qui portent le nom de ces illustres disparus, de même que celui de leur présence dans les médias, les programmes scolaires ou nos manifestations sociales. »
Moins surprenant, le sacre d’Assia Djebar est passé totalement inaperçu dans la presse arabophone. Ferait-elle les frais de son choix pour la langue française au détriment de l’arabe ? Saïd Boutadjine, écrivain et critique en langue arabe, espère que « cette élection ne sera pas exploitée politiquement, notamment pour le compte de la francophonie, ou par les adversaires de la langue française pour dénigrer les auteurs s’exprimant dans cette langue ».

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