Le grand désarroi

Après la victoire du non au référendum sur la Constitution européenne, l’UMP est au plus mal. L’ennui est que le Parti socialiste ne se porte pas très bien non plus !

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

Valéry Giscard d’Estaing observait un jour que, dans certaines périodes de crise politique aiguës, les perspectives sont tellement brouillées que la navigation à vue devient la seule manière de gouverner. Encore faut-il que la capacité de vision soit intacte et que les regards soient convergents. Ce n’est manifestement pas le cas dans la crise ouverte par la victoire du non au référendum du 29 mai sur la Constitution européenne. Ni à gauche, où le désarroi s’aggrave d’une absence de recours, ni à droite, bien sûr… Le président est accablé, le Parlement court-circuité, et le gouvernement, qui promet de restaurer l’autorité de l’État et de privilégier l’intérêt général, se laisse gouverner par la rue à la moindre résistance à peu près bien orchestrée.
On ne voit pas non plus d’homme providentiel en réserve de la République. Dès l’annonce du résultat et sans même attendre la réaction de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy s’est proposé. Certes, il n’a jamais caché, comme Dominique Ambiel le rappelle dans son livre Fort Matignon, que « pour lui c’était l’Élysée ou rien », mais c’était à l’époque où aucun dirigeant ne mettait en doute le succès de la consultation référendaire. L’effondrement du 29 mai a tout changé.
Le départ inéluctable de Jean-Pierre Raffarin a libéré Matignon. S’il avait pu y accéder à son tour, le président de l’UMP aurait pu espérer en faire l’antichambre de l’Élysée. Mais Chirac a déjoué ce calcul en choisissant Dominique de Villepin comme Premier ministre et en acceptant de faire de Sarkozy le numéro deux officiel de l’équipe – une innovation dans les institutions gaulliennes. Que le président de l’UMP y ait consenti laisse perplexes de nombreux commentateurs. Lui-même a confié avoir beaucoup hésité. S’il a finalement donné son accord, a-t-il expliqué avec son habituelle franchise – qui confine parfois à la provocation -, c’est parce qu’il espère faire coup double et ajouter à l’efficacité de la machine UMP les moyens inégalables d’information et d’influence du ministère de l’Intérieur.
Confronté aux mêmes interrogations, Villepin a lui aussi répondu positivement, tout en soulignant, dans le sauve-qui-peut général, la nécessité absolue de la réconciliation et de l’union. On a cependant du mal à croire qu’il aurait aussi facilement obtenu du chef de l’État ce nouveau retournement en forme d’autodésaveu s’il ne l’avait convaincu que la récupération de Sarkozy était le meilleur moyen de neutraliser ce rival détesté.
Reste à savoir comment ce duo/duel se comportera dans l’épreuve. Et s’il ne sera pas, dans la navigation à vue qui s’annonce, l’un des plus périlleux écueils. Comme aimait à le répéter Félix Houphouët-Boigny : « Il n’y a pas place pour deux caïmans dans le même marigot. » Or l’on connaît le peu de disposition de Sarkozy à jouer les brillants seconds. Surtout face à un Premier ministre tout neuf, qui, s’il parvient à redresser si peu que ce soit la situation intérieure dans les vingt-deux mois qui restent avant l’élection présidentielle, s’imposera comme un candidat logique et presque naturel dans la course à l’Élysée. À condition, bien sûr, que Chirac soit contraint de renoncer à un troisième mandat, comme la majorité des milieux politiques et de l’opinion en est aujourd’hui convaincue. Même les dirigeants européens, pour une fois unanimes, semblent anticiper l’échéance de son retrait.
Mais la droite a de la chance dans son malheur. À gauche, en effet, la situation n’est guère plus favorable. Si même elle n’est pas pire. Il n’y a pas d’alternance sans alternative. Or la coalition du non au référendum pourrait difficilement être plus hétéroclite, et l’on voit mal quelle alternative crédible elle pourrait constituer. Quoi de commun entre les nationalistes d’extrême droite et les populistes d’extrême gauche ? Comment pourraient-ils se mettre d’accord sur une autre politique ? Imagine-t-on ne serait-ce qu’une ébauche d’entente entre la nouvelle gauche socialiste et un Parti communiste figé dans la lutte des classes, sous la menace constante des surenchères trotskistes et altermondialistes ? Tous sont réunis, plutôt qu’unis, autour d’un seul et unique objectif : en finir avec la gauche « molle ». Quant à savoir ce que pourraient être le sens et les orientations d’une gauche « dure » !…
Après le double séisme de l’échec de Lionel Jospin à la présidentielle de 2002 et du non au référendum, toutes les structures du Parti socialiste présentent d’inquiétantes fissures. Face au désastre, François Hollande s’est contenté de lancer d’assez pathétiques appels à l’unité du parti, puis d’annoncer la convocation d’un congrès, en novembre. En fait d’unité, le premier secrétaire a commencé par limoger Laurent Fabius, son numéro deux : partisan du non, celui-ci est ainsi la paradoxale victime de sa victoire populaire. Les adversaires d’Hollande lui promettent pour l’automne un « deuxième Épinay », le congrès qui, en 1971, transcendant les luttes de tendances, permit aux socialistes de refonder leur parti et de se réinventer un programme. L’ennui est que n’est pas François Mitterrand qui veut !
Bref, la France est en plein désarroi.
Submergés par une déferlante de mécontentements qui les frappe sans discrimination – et avec impartialité dans la dévastation -, les deux grandes familles politiques qui gouvernent à tour de rôle le pays depuis un demi-siècle ne savent plus à quel sauveur se vouer. Elles se montrent en tout cas incapables de trouver une réponse synthétique à l’expression chaotique de ressentiments et de revendications contradictoires surgie d’une « France d’en bas » qui s’étend irrésistiblement aux classes moyennes. Une « France des fins de mois difficiles », comme dit Alain Madelin, dont François Mauriac remarquait déjà qu’elle sait plus facilement ce qu’elle ne veut pas que ce qu’elle veut.
Tout cela n’est pas sans conséquence sur les engagements européens de Jacques Chirac, désormais en mauvaise posture pour défendre, sinon imposer, le modèle français à Bruxelles, ce qui apparaît de plus en plus comme « l’arrogance française » indispose carrément. En témoigne cette réplique désagréable du président du Parlement européen à Chirac : « Vous pouvez décider pour vous-même, pas pour vingt-cinq. »
Moins atteint que son alter ego français par son échec à l’élection partielle de Rhénanie-Westphalie, le chancelier Gerhard Schröder a aussitôt annoncé la tenue d’élections législatives au mois de septembre pour redistribuer le jeu politique allemand. Chirac, lui, préfère se cramponner à ses cartes. On serait tenté de lui dire, paraphrasant de Gaulle, qu’on lui souhaite bien du plaisir, si on ne connaissait ses phénoménales capacités de rebond.

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