La surprise du chef

Second coup d’éclat du chef de l’État en une semaine: après avoir congédié son vice-président, impliqué dans une affaire de corruption, il choisit, pour lui succéder, une militante de la société civile.

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

Pour la deuxième fois en moins de huit jours, Thabo Mbeki a pris de court son petit monde. Après avoir congédié, le 14 juin, son vice-président Jacob Zuma, impliqué dans une affaire de corruption, voilà qu’il choisit, le 22 juin, pour lui succéder, Phumzile Mlambo-Ngcuka, ministre des Mines et de l’Énergie depuis 1999. Une femme, quasi-anonyme au jour de la « libération », à la place d’un homme, héros de la lutte contre l’apartheid.
Attaché de longue date à la promotion des femmes dans l’exécutif de son pays, le président Mbeki a saisi l’occasion d’envoyer un nouveau signal politique fort à l’adresse du continent, et du monde entier. Murmurée quelques jours auparavant, la nomination de cette militante de la société civile n’en reste pas moins une surprise. Phumzile Mlambo-Ngcuka ne peut revendiquer le pedigree d’une Winnie Madikizela-Mandela ou l’assise politique d’une Nkosazana Dlamini-Zuma, la ministre des Affaires étrangères. Tout au plus les syndicats et les organisations patronales lui reconnaissent-ils des qualités de négociatrice. Insuffisant pour certains, pas pour Mbeki.
En tant que ministre des Mines et de l’Énergie, après avoir été ministre déléguée au Commerce extérieur de 1996 à 1999, Phumzile Mlambo-Ngcuka s’est illustrée par ses réformes profondes du système industriel sud-africain, ce qui lui a valu d’être à plusieurs reprises félicitée pour son travail. Nombreux sont ceux qui la considèrent comme l’un des meilleurs éléments du gouvernement Mbeki. Sans s’aliéner les investisseurs étrangers, elle est parvenue à élaborer la première charte du Black Economic Empowerment, destinée à favoriser l’accès des Noirs au capital et déclinée ensuite dans les autres secteurs économiques.
Née le 3 novembre 1955, cette diplômée en sciences sociales et de l’éducation de l’Université du Lesotho a d’abord enseigné en Afrique du Sud de 1981 à 1983, avant de s’engager en faveur du développement, au sein d’ONG, à Genève ou au Cap, sa région natale. La militante féministe s’est véritablement lancée en politique dès que les partis d’opposition ont été autorisés par le pouvoir blanc, en 1990. Aux dires de sa mère, encore sous le choc de sa nomination, Phumzile n’a jamais montré, dans sa jeunesse, des qualités de leader. Pourtant, elle entre au Parlement lors des premières élections libres de 1994. En 2002, elle est élue à la douzième place (sur 60) du comité exécutif national du Congrès national africain (ANC). Loin derrière les figures de la « lutte » : Jacob Zuma, Mosioua Lekota (ministre de la Défense), Trevor Manuel (Finances), Nkosazana Dlamini-Zuma, Winnie Madikizela-Mandela ou encore Cyril Ramaphosa, ancien dauphin de Mandela devenu businessman. Depuis la chute de Zuma, certains d’entre eux figurent sur la liste des favoris à la succession de Thabo Mbeki en 2009. Mais le président a décidé, pour le moment, de donner sa chance à cette « humanitaire » soucieuse des questions de développement auxquelles l’Afrique du Sud, libérée de son passé, est aujourd’hui confrontée.
Louant sa compétence, son sérieux, sa forte personnalité, son humilité, ses qualités de négociatrice, l’ensemble de la classe politique a salué le choix de Mlambo-Ngcuka. Nul ne doute de sa capacité à seconder efficacement le chef de l’État, dont elle est proche. Nommer une ministre sans réelle assise politique, de surcroît une femme, revient surtout pour Mbeki à reporter à plus tard l’épineuse question de sa succession. En mettant fin à la tradition instaurée par Nelson Mandela de faire du fauteuil de la vice-présidence l’antichambre de la magistrature suprême, il résout la crise au sommet de l’État, sans apaiser la tourmente que traverse l’ANC. En offrant le cadeau empoisonné de la politique sud-africaine à Phumzile Mlambo-Ngcuka, il laisse le temps aux présidentiables d’affûter leurs arguments et de rassembler leurs partisans jusqu’au congrès du parti, en 2007. Le choix du président a le mérite de ne contrarier aucune ambition et aurait pu, à bien des égards, être considéré comme irréprochable.
Mais si de simples soupçons ont coûté son poste à Jacob Zuma, des rumeurs pourraient gêner les débuts de son successeur. Depuis plusieurs mois, Mlambo-Ngcuka figure en effet davantage à la rubrique des faits divers des journaux que dans les pages politiques. Elle s’est d’abord attiré la colère des défenseurs de la liberté d’expression pour avoir critiqué les ONG qui avaient alerté l’opinion et la classe politique sur l’état de santé d’ouvriers travaillant dans une centrale nucléaire. Plus grave : son nom est régulièrement cité dans l’Oilgate, un scandale qui n’a pas encore été porté devant les tribunaux et qui met en cause les liens entre l’État et le parti au pouvoir. À l’origine de ces révélations, le Freedom Front Plus, parti d’opposition afrikaans, qui dénonce un montage financier grâce auquel l’ANC aurait utilisé des fonds de l’entreprise publique PetroSA (11 millions de rands : 1,35 million d’euros) pour financer sa campagne électorale de 2004.
S’agissant de ces dérapages présumés, les Sud-Africains espèrent que Thabo Mbeki a pris ses précautions. Cela ferait désordre si sa seconde vice-présidente venait à avoir, elle aussi, maille à partir avec la justice. Quelques jours après son limogeage, Jacob Zuma a en effet été convoqué devant un tribunal de Durban par le procureur général. L’ex-vice-président devra s’y présenter le 29 juin pour se voir notifier son inculpation pour corruption. La condamnation, le 8 juin, à quinze ans de prison de son ancien conseiller financier et ami, Shabir Shaik, reconnu coupable de lui avoir versé des pots-de-vin, lui a déjà coûté son poste. Elle pourrait bien lui valoir une incarcération. Sauf s’il parvient à démontrer au juge qu’il est innocent, comme il l’a toujours clamé, et à prouver que « l’affaire Zuma » n’était qu’une cabale organisée par l’opposition et les médias.
Phumzile Mlambo-Ngcuka pourrait bien, à son tour, pâtir des rumeurs qui courent sur elle. Fondées ou non, ses ennemis sauront certainement s’en servir. Ils sont nombreux, notamment dans l’entourage de son prédécesseur. Car – ironie de l’histoire – elle est mariée à Bulelani Ngcuka, ancien procureur général, celui par qui le scandale Zuma a éclaté, puisque c’est lui qui, au cours d’une enquête sur les contrats d’armement, a découvert les liens douteux entre Shabir Shaik et Zuma. C’est encore lui qui, en août 2003, a déclaré à la presse que de forts soupçons de corruption pesaient sur Zuma, sans pour autant détenir, à l’époque, suffisamment de preuves pour engager des poursuites. Le clan Zuma avait contre-attaqué en accusant Ngcuka d’avoir été un espion à la solde des Blancs pendant l’apartheid. Au point qu’il a fallu mettre sur pied une commission d’enquête, laquelle a finalement blanchi le procureur en janvier 2004.
Mais pourquoi Mbeki chercherait-il à mettre de l’huile sur le feu ? Pourquoi voudrait-il infliger à son ami, qu’il a été contraint de limoger, un camouflet supplémentaire ? Pour la présidence, la nomination de Phumzile ne s’inscrit en aucun cas dans le cadre d’une lutte de clans au sein de l’ANC. Mais répond exclusivement à la volonté de Mbeki de se conformer rigoureusement au credo de la Constitution sud-africaine : aucune discrimination n’a lieu d’être, ni de race, ni de religion, ni de sexe.

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