La chute de la maison Sénégal

Tenus en échec chez eux à Dakar par les Éperviers du Togo, les Lions sont – sauf miracle – éliminés de la Coupe du monde 2006. Et ne rêvent plus d’une campagne aussi glorieuse qu’en 2002. Ambiance.

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 6 minutes.

A peine l’arbitre tunisien Hichem Guirat a-t-il sifflé la fin du match Sénégal-Togo (2-2) qu’une marée humaine déferle sur la pelouse du stade Léopold-Sédar-Senghor. Une nuée de micros s’abat sur l’entraîneur des Lions, le Français Guy Stephan, et une autre fond sur l’attaquant togolais Sheyi Adebayor. Dans la tribune des invités, l’ex-coach du Sénégal Bruno Metsu en vacances à Dakar s’offre à bon compte une ovation. Alors que le public abasourdi par l’échec des siens évacue dans le calme l’enceinte, Pape Diouf, le président de l’Olympique de Marseille, subit à son tour l’assaut des médias. Sans se départir de sa – légendaire – sérénité, il s’évertue à désamorcer la colère des déçus et distille des jugements lucides : « L’équipe du Sénégal, déclare-t-il, s’est montrée inférieure à ses possibilités et à ses attributions. Ses limites actuelles sont apparues. Les carences ont été d’ordre aussi bien individuel que collectif. L’avenir, c’est déjà de jouer au moins la CAN 2006 en Égypte, car le voyage en Allemagne, pour le Mondial, ne dépend plus de nous. Je ne crois pas que nous puissions bénéficier d’un coup de pouce qui pourrait nous propulser en Coupe du monde. »
Les manchettes des quotidiens dakarois ne disent pas autre chose : « La grande désillusion », titre, deux jours plus tard, Le Soleil. « Le monde s’effondre », pour Wal Fadjri. « Stephen Keshi : OK, Guy Stephan : KO », assène Stars Sports… L’amertume, la déception et la désillusion alimentent toutes les conversations, les causeries et les débats à la télévision et sur les radios. Sauf miracle, les héros du Mondial 2002 ont perdu, face au Togo, toute chance de réussir la passe de deux. Un échec sportif patent doublé d’une grosse perte financière, qui a entraîné dès le 22 juin le limogeage par décret présidentiel du ministre d’État chargé de la Jeunesse et des Sports Youssoufa Ndiaye. Le département est, pour l’instant, confié au chef du gouvernement, Macky Sall.
Tout le Sénégal s’était pourtant mobilisé pour cette confrontation avec le Togo. Dans le groupe 1 de qualification pour la Coupe du monde et la CAN 2006, le Togo sortait, après sept journées de compétition, en tête avec 16 points (cinq victoires, un nul et une défaite). Le Sénégal n’en comptait que 14 (quatre victoires, 2 nuls et une défaite). Le 20 juin 2004, à Lomé, les Éperviers – comme on appelle la sélection nationale togolaise – l’avaient largement remporté sur leurs rivaux : 3 à 1. Les retrouvailles à Dakar sont donc décisives. Les médias sénégalais ne s’y sont pas trompés, qui lancent… l’appel du 18 juin (jour de la confrontation) : « Gagner pour le peuple ! » Et Guy Stephan de réclamer « l’enfer pour les Togolais ! ». « Amul ragal ! » (« pas de peur », en wolof), est le cri des Lions.
Le 18 juin, plus de 60 000 supporteurs envahissent le stade Léopold-Sédar-Senghor. Plusieurs milliers de candidats spectateurs s’agglutinent en vain aux grilles d’entrée : ils sont refoulés par les 900 policiers et gendarmes mobilisés pour la circonstance. Le record d’affluence est battu. Les recettes de la billetterie se montent à 140 millions de F CFA (213 500 euros). Doudou Ndiaye « Rose », le célèbre tambour-major, désigné « chauffeur du stade », dirige, avant le coup d’envoi, 150 batteurs ; des escouades de majorettes défilent au rythme des tam-tams. Alors que l’hymne du Togo est sifflé, celui du Sénégal – c’est une première – est repris en choeur par une frise humaine, debout dans les travées surchargées. Lions et Éperviers multiplient les prières à l’échauffement. Les khons [« maraboutages », en wolof] sont de la partie.
Dès le coup d’envoi, les arrière-gardes des deux équipes font montre d’une indicible fébrilité. Mamadou Niang s’échappe d’entrée mais bute sur le portier togolais, Agassa Kossi. À peine dix minutes de jeu et voilà que l’excellent Sheyi Adebayor « embarque » sur une fausse piste les défenseurs centraux locaux, Ibrahima Faye et Lamine Diatta, et libère ainsi la voie du but pour son coéquipier Olufabe Adekanmi, dont la puissante frappe fait mouche : 1-0. L’attaquant sénégalais El Hadji Diouf « efface » rageusement Atte-Oudeyi Zanzan et centre pour Mamadou Niang. Coup de tête piqué et but : 1-1. Niang « décale » à gauche Henri Camara, qui décoche un tir croisé imparable : 2-1. Le Sénégal exulte. Le même Camara puis Diouf ratent tour à tour l’occasion de « tuer le match ».
En seconde période, les guerriers de Guy Stephan baissent pied au fil des minutes. Les liaisons entre les lignes de l’équipe se désagrègent. Décompression, déconcentration ou effets d’un entraînement intensif, toujours est-il que cela profite pleinement à des Togolais particulièrement séduisants en attaque à l’image d’Adebayor. Le « Monégasque » parvient à contrôler avec aisance tous les ballons qu’il reçoit. Il excelle dans le rôle de pivot. Ses décrochages et ses déviations déstabilisent ses gardes du corps. À la 72e minute, il sollicite l’ailier de poche Senaya Yao Junior. Celui-ci efface un adversaire et centre astucieusement en retrait. Adebayor, du plat du pied, prend à contre-pied Tony Sylva : 2-2. Un très joli but qui illustre les possibilités offensives des Éperviers dirigés depuis quelques mois par l’ancien capitaine du Nigeria, Stephen Keshi. Guy Stephan a beau procéder à des changements, les Lions n’inquiètent plus Agassa et doivent se contenter d’un score de parité.
Un résultat logique au regard des prestations de l’équipe sénégalaise depuis le Mondial de 2002. Depuis cette mémorable campagne d’Asie, les Lions ont beaucoup perdu de leur mordant : qualification laborieuse pour la CAN 2004, parcours chaotique de la phase finale en Tunisie et performances sans relief face au Congo, au Togo, à la Zambie, au Mali et au Cameroun (en match amical). À l’origine de la marche en dents de scie, un récurrent problème d’effectif. Les héros du Mondial asiatique ont en effet connu depuis juin 2002 bien des mauvaises fortunes. Aucun d’entre eux n’a réussi de transfert intéressant en Angleterre ou en France. Beaucoup n’ont cessé de faire banquette dans leurs clubs respectifs. Les défenseurs Omar Daf et Malick Diop, les « monstres » du milieu Pape Bouba Diop et Salif Diao, les « cadres » Aliou Cissé, Ferdinand Coly et Amdy Faye se sont longtemps trouvés sur le flanc pour blessure ou pour méforme.
Khalilou Fadiga, le « dépositaire du jeu » des Lions, a failli, pour des raisons de santé, raccrocher les crampons. Opéré du coeur, il est de retour sur les pelouses. Mais blessé au genou, il a raté ainsi que Habib Bèye le rendez-vous du 18 juin. Henri Camara et El Hadji Diouf ne sont plus abonnés à l’efficacité et à la régularité. Des Lions qui ne sont plus physiquement au sommet et ne peuvent donc plus faire prévaloir leur solidité, leur dureté et leur résistance dans les duels qu’ils affectionnent particulièrement. D’où leurs limites actuelles et l’inévitable baisse de régime.
Peut-être aurait-il fallu procéder à un rajeunissement des troupes. Mais Guy Stephan, réputé pour faire dans le sérieux, a adopté un discours conformiste et une démarche prudente. Il a d’entrée précisé qu’il « n’est pas venu pour tout révolutionner ». S’il est parvenu à rompre avec les pratiques de copinage instaurées par son prédécesseur, il s’est entêté à gérer l’acquis et à recomposer l’équipe au gré des circonstances. Après la campagne de la CAN 2004, il a été désavoué par la fédération de football mais soutenu par l’autorité de tutelle, ce qui lui a permis de rester en poste. Frustré par l’échec face au Togo, il a invoqué la malchance et la maladresse de ses attaquants, avant de s’en prendre aux « dieux du football ». Il a refusé de parler de démission et a estimé la qualification pour l’Allemagne « mathématiquement possible ».
De fait, il reste deux matchs à disputer, les 3 septembre et 8 octobre, pour boucler les éliminatoires. Le Sénégal se déplace à Lusaka avant d’accueillir le Mali, alors que le Togo doit recevoir le Liberia puis se rendre à Brazzaville. Autant dire qu’il faudra une conjonction positive de toutes les planètes pour justifier l’optimisme de Guy Stephan, qui n’est pas sûr d’être sur le banc des Lions pour les retrouvailles avec l’équipe de France, le 17 août prochain au Stade de France.

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