Kodjo à la barre

Sans les ténors de l’opposition dite radicale, le gouvernement nommé le 20 juin n’aura pas la tâche facile. Et l’expérience de son chef ainsi que sa détermination ne seront pas de trop.

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

Deux mois après l’élection présidentielle, le gouvernement togolais a finalement été constitué le 20 juin. L’organisation de l’élection du 24 avril, le déroulement du scrutin, la proclamation de résultats controversés et les tractations postélectorales qui en ont découlé préfiguraient le retard de la mise en place de cette équipe ministérielle, deux semaines après la nomination du Premier ministre Edem Kodjo, le 8 juin. L’aboutissement de ce long processus, marqué par le bras de fer engagé entre la Coalition de l’opposition dite radicale et le pouvoir en place, ne pouvait donc qu’être lui aussi contesté.
D’autant que Faure Gnassingbé n’a pas réussi à tenir sa promesse de former un gouvernement d’union nationale. Pour lui, les exigences de la Coalition, présentées le 6 juin dans un document baptisé « plate-forme d’entente minimale », n’étaient pas conciliables avec sa vision de la fonction présidentielle. L’opposition demandait notamment la primature et, surtout, l’impossibilité de révoquer le Premier ministre sans l’accord de la Coalition. Elle revendiquait également 45 % des portefeuilles ainsi que le droit de veto sur la désignation de 10 % des ministres. Quant à l’Assemblée nationale, jugée illégitime, elle devait être vidée de sa substance législative.
En dépit du rejet « catégorique » de ces propositions, le fils d’Eyadéma se devait de donner des gages d’ouverture et de réconciliation à la communauté internationale, laquelle avait fini par avaliser son élection. Désireux de prouver sa volonté de changement – son thème de prédilection durant la campagne électorale -, Faure Gnassingbé s’est entouré de 22 nouveaux ministres sur 30, dont certains sont issus de l’opposition dite modérée.
Le Premier ministre Edem Kodjo est un habitué des « cohabitations » pour avoir déjà occupé en 1994 la fonction de chef de gouvernement sous Eyadéma au titre de président de la Convergence patriotique panafricaine (CPP). Homme politique d’expérience, connu des chancelleries occidentales et africaines, il incarne cette ouverture raisonnable et pragmatique chère au nouveau président, aux observateurs du continent et aux bailleurs de fonds. Il est parvenu à imposer Jean-Lucien Savi de Tové, un autre membre de sa formation, au Commerce et à l’Industrie. Et le fondateur du Parti pour la démocratie et le renouveau (PDR), Zarifou Ayéva, un allié de longue date qui a été à ses côtés lors des négociations avec l’Union européenne (UE) engagées en avril 2004. Nommé ministre des Affaires étrangères, ce dernier jouera un rôle primordial dans l’application des 22 engagements de Bruxelles, l’axe prioritaire de la nouvelle équipe gouvernementale.
Au sein de l’opposition radicale, seul le petit Parti socialiste pour le renouveau (PSR) a accepté de « pactiser avec le diable ». Son président, l’avocat Tchessa Abi, a hérité du portefeuille sensible de la Justice. « Nous sommes très déçus. Nous nous sentons trahis car celui que nous considérions comme notre frère d’armes ne nous a jamais informés du contrat qu’il était en train de passer avec Edem Kodjo », déplore Yawovi Agboyibo, le président du Comité d’action pour le renouveau (CAR). Dans un pays où l’État de droit a été malmené, la désignation d’un opposant à ce poste n’est pourtant pas fortuite.
Autre geste symbolique de la part de Faure Gnassingbé : la création d’un ministère des Droits de l’homme, de la Démocratie et de la Réconciliation, dirigé par le bâtonnier de l’ordre des avocats, Loreta Mensah Akuété. Là encore, le signal lancé par le chef de l’État s’évaluera à l’aune de la marge de manoeuvre laissée à la ministre. Edem Kodjo, qui avait déclaré à J.A.I. (n° 2316), avant même d’accéder à la primature, qu’il veillerait au rapatriement des réfugiés et qu’il pourrait, comme il l’avait fait en 1994-1996, faire voter une loi d’amnistie, devrait l’appuyer dans sa tâche.
Si l’éviction de certains barons de l’ancien régime d’Eyadéma, tels que les généraux Assani Tidjani et Zoumaro Gnofame, a été bien accueillie, la nomination de membres de la jeune garde ne fait pas l’unanimité, y compris au sein de leur propre camp. L’accession de l’un des fils d’Eyadéma, Kpatcha Gnassingbé, jusqu’alors patron de la très lucrative zone franche, au poste de ministre délégué à la Présidence de la République chargé de la Défense et des Anciens Combattants est vivement contestée. Mais le chef de l’État n’avait vraisemblablement pas le choix. Pour rassurer l’armée – et avoir l’oeil sur elle – il lui fallait un proche, un homme de confiance : son propre frère. « L’arrivée de Kpatcha dans le gouvernement est le reflet de l’esprit dynastique des héritiers d’Eyadéma », s’agace l’opposition dite radicale.
La nomination du colonel Pitalouna-Ani Laokpessi, propulsé à la Sécurité – un portefeuille qui réunit celui de l’Intérieur et de la Défense -, a elle aussi laissé perplexe. Autrefois chef de la gendarmerie, cet officier a été décrié pour ses méthodes répressives. Mais il est vrai que c’est en partie grâce à lui que l’insurrection qui a éclaté au lendemain du scrutin présidentiel controversé d’avril a été réprimée…
Faure Gnassingbé semble d’ailleurs vouloir effacer la mauvaise impression que son accession au pouvoir a laissée à la presse internationale, en donnant une importance particulière au ministère de la Communication. C’est l’ancien chef de la Diplomatie, Kokou Biossey Tozun, l’un des artisans de la reprise du dialogue avec Bruxelles sous Eyadéma, qui succède au bouillonnant Pitang Tchalla. L’une de ses premières missions consistera certainement à renouer avec RFI, dont l’antenne est suspendue au Togo depuis le 29 avril.
Parmi les huit membres du gouvernement reconduits, certains étaient assurés d’obtenir un portefeuille sous la magistrature du nouveau chef de l’État. Suzanne Aho Assouma, qui a conservé le ministère de la Santé, a sillonné le pays avec Faure Gnassingbé durant la campagne électorale. Elle a fait montre d’une fidélité à toute épreuve en relayant le discours du candidat auprès des femmes. Nombre d’observateurs s’attendaient cependant à ce que Komi Klassou, le directeur de campagne de Faure Gnassingbé, hérite d’un portefeuille plus important que celui qu’il occupait : le ministre des Enseignements primaire et secondaire se dit néanmoins satisfait de rester à son poste.
Décidé à « avancer avec ou sans » l’opposition radicale, le président nouvellement élu ne pourra toutefois pas composer sans elle. Le redressement économique du pays, érigé en priorité gouvernementale, dépend en effet du retour des bailleurs de fonds et donc de la reprise de la coopération avec l’Union européenne. Or la feuille de route imposée par Bruxelles s’articule autour du postulat de bonne gouvernance et du respect des principes démocratiques qui sous-tendent la « reprise ouverte et crédible du dialogue national avec l’opposition traditionnelle ». Comment y parvenir si chacune des parties continue de camper sur ses positions ? En réservant sa première visite officielle – au lendemain de la formation de son équipe – aux instances européennes, Edem Kodjo entend certainement plaider la cause de son gouvernement et résoudre cette improbable équation.

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