Hollywood contre la diversité culturelle

Pressions économiques et politiques : les États-Unis veulent imposer leur production partout dans le monde. Quelques régions résistent encore.

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

Mars 2003 : réalisateurs et stars du cinéma sud-coréen se rasent la tête en public pour protester contre les pressions des États-Unis sur leur gouvernement. Les Américains remettent en question le quota qui assure au cinéma sud-coréen 40 % du temps de présence sur ses écrans nationaux.
Janvier 2003, la Coalition marocaine pour la diversité culturelle organisait déjà un « sit-in » pacifique à Rabat, contre des accords commerciaux de libre-échange en négociation avec les États-Unis qui conduiraient à limiter la pleine souveraineté du Maroc sur son secteur audiovisuel.
Deux exemples, parmi d’autres, de la bataille planétaire qui se livre depuis quelques années en sourdine, dans le cadre de la mondialisation, entre deux blocs opposés. D’un côté, les États-Unis, pays d’Hollywood, revendiquent la libéralisation des industries culturelles qui ne seraient que du « divertissement » (entertainment), donc une marchandise comme une autre… De l’autre, le bloc de l’Union européenne (avec pour chef de file la France, inventeur de la notion d’« exception culturelle ») plus le Canada et quelques pays du Sud, qui soutiennent que les industries culturelles témoignent également de l’identité des nations. Porteuses de valeurs spécifiques aux pays concernés, elles doivent à ce titre être soutenues, financées et protégées par les États. Même dans le cadre de la libéralisation générale des échanges de biens et services, qui suppose la suppression des mesures protectionnistes.
La bataille est planétaire, l’enjeu de taille. L’audiovisuel (et surtout ses produits dérivés) représente désormais le premier poste d’exportation des États-Unis. Ceux-ci ont besoin du maximum d’écrans dans le monde – grands et petits – pour rentabiliser leurs produits. À ce titre, ils combattent par tous les moyens de pression économique ou politique, toute mesure étatique qui limiterait leur volonté d’hégémonie. Cibles prioritaires : les mesures de soutien aux productions nationales, « rivales », dans des secteurs d’activité qu’ils considèrent comme « leurs » marchés extérieurs. Le risque semble grave pour l’Europe de voir ses cultures nationales réduites à celles de minorités par la « monoculture » hollywoodienne dominante. Pour les pays du Sud, les conséquences seraient plus dramatiques encore, dans la mesure où la culture ne fait que trop rarement partie des priorités des gouvernements. Face au risque de voir disparaître tout un pan des richesses culturelles de l’humanité, l’Unesco adopte en novembre 2001 une « Déclaration universelle sur la diversité culturelle » non contraignante et prépare pour octobre 2005 une « Convention sur la diversité culturelle » à effets contraignants, notamment par rapport au cycle de négociations de Doha de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’est pourquoi les États-Unis et quelques alliés (dont le Japon et les Pays-Bas) la combattent déjà par deux moyens. Le premier consiste à diluer le texte dans un flot de considérations périphériques pour retarder et reporter le débat à 2007. Le second passe par la multiplication rapide d’accords économiques bilatéraux de libre-échange incluant la libéralisation de l’audiovisuel et des industries culturelles nationales. En effet, la convention de l’Unesco n’aura pas d’effet rétroactif. D’où le rôle des « Coalitions nationales pour la diversité culturelle » fédérant les associations de cinéastes, d’écrivains, d’artistes, de musiciens, etc., de chaque pays, qui soutiennent leurs gouvernements dans l’exigence vitale d’inscrire « l’exception culturelle » dans les accords bilatéraux.
Durant le Festival de Cannes, la table ronde « Diversité culturelle : dialogue Sud-Sud », le 18 mai 2005, a permis aux représentants de ces coalitions du Sud de faire le point (voir J.A.I. n° 2316).
À l’occasion de son récent accord bilatéral de libre-échange avec les États-Unis, le Maroc n’a sauvé qu’in extremis le niveau des subventions accordées à la culture. Le pays africain le plus avancé en matière de soutien législatif et économique à son audiovisuel national a pu empêcher les Américains de prendre 49 % du capital d’une chaîne de télévision mais aussi de faire modifier la loi pour en contrôler d’autres. Il reste encore à préserver l’avenir en termes de subventions publiques dans les nouvelles technologies et Internet.
En Corée du Sud, l’engouement du public pour les films en coréen permet au cinéma national d’atteindre 50 % de parts de marché, plus que les 40 % imposés par la loi. Au-delà des frontières, le talent des cinéastes coréens est reconnu et même récompensé, notamment par le Grand Prix spécial du jury à Cannes, remporté deux années de suite. Le ministère de la Culture et l’Agence nationale qui gère les négociations du traité d’investissement bilatéral avec les États-Unis sont parvenus en 2004 à maintenir les quotas en place.
Pour des pays comme le Chili, il est déjà trop tard depuis la signature d’accords économiques sans mention d’« exception culturelle ». Le Chili n’a plus le droit de décréter des quotas de diffusion en faveur de sa production nationale ni de prélever des taxes pour financer ses films. Malgré les efforts de la France, rien ne sera sauvé au Cambodge non plus. Selon les représentants des coalitions, il suffit aux Américains de baisser les droits de douane sur les produits que les pays souhaitent exporter pour obtenir l’abandon de la pleine souveraineté nationale sur le financement et la protection des industries culturelles. Deux des pays Africains possédant une Coalition pour la diversité culturelle, le Burkina Faso et le Bénin, auraient subi un intense lobbying des diplomates américains qui « n’hésitent pas à proposer de rédiger eux-mêmes le texte des offres commerciales à la place des représentants africains » (Le Monde du 23 décembre 2004).
À l’approche de la convention de l’Unesco d’octobre 2005, l’affrontement se fait au grand jour. Dan Glickman, ancien ministre de Bill Clinton et nouveau président de la Motion Picture Association of America (MPAA : bras armé du lobbying du cinéma américain, responsable du boycottage de la Tunisie en 1964 lorsque celle-ci avait « osé » décréter un quota de diffusion en salles pour ses courts-métrages), déclarait récemment avec franchise : « La diversité culturelle ne doit pas être une excuse pour créer de nouvelles barrières à notre expansion. »
Les regards des participants des débats de Cannes étaient fixés sur la prochaine « cible » potentielle : la Tunisie. Créateur des Journées cinématographiques de Carthage en 1966 et producteur depuis quinze ans du cinéma arabe et africain le plus primé à l’échelle internationale. La Tunisie, considérée, avec le Burkina Faso (qui abrite le Fespaco depuis 1969), comme l’un des deux « pays phares » du continent pour la défense des identités culturelles par le cinéma négocie déjà avec les États-Unis pour passer de l’accord de type Tifa (Trade and Investment Free Agreement) à un accord de libre-échange complet de type FTA (Free Trade Area). Très en retard sur l’organisation solidaire de son audiovisuel global (cinéma et télévision), le pays paraît moins armé que le Maroc pour résister aux pressions.
La Tunisie a organisé, les 24 et 25 mars dernier, sous l’égide de l’Unesco, une conférence euro-arabe sur la diversité culturelle mais n’a pas encore créé un « centre national du cinéma », ni une billetterie nationale, ni une loi-cadre de l’audiovisuel (comme au Maroc), ni une « Coalition nationale pour la diversité culturelle ». Heureusement, le ministre tunisien de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, Mohamed el-Aziz Ben Achour, a évoqué, le 25 avril 2005, la mise sur pied d’un centre du cinéma et des mesures favorisant la création de « multiplexes » pour redynamiser la fréquentation des salles. Deux mesures qui restent, pour le moment, à l’état de projets.

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