Côte d’Ivoire : ce que Charles Blé Goudé n’a pas pu dire aux juges de la CPI

La chambre d’accusation de la Cour pénale internationale (CPI) a refusé jeudi 22 novembre que Charles Blé Goudé s’exprime lors de la clôture de l’audience de non-lieu introduite par les avocats de l’ancien « général de la rue » et de Laurent Gbagbo. Jeune Afrique s’est procuré le discours qu’il comptait lire à cette occasion.

Charles Blé Goudé à la CPI, le 28 janvier 2016. © Peter Dejong/AP/SIPA

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Publié le 22 novembre 2018 Lecture : 4 minutes.

La CPI a notamment justifié cette décision prise jeudi 22 novembre lors de la clôture de l’audience de non-lieu du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé en expliquant qu’une telle déclaration aurait dû se faire sous serment.

En refusant que l’ancien ministre de la Jeunesse prenne la parole, la Cour a répondu favorablement à une requête de l’accusation. Le procureur avait estimé mercredi qu’une « déclaration orale sans serment » était « inappropriée au stade de la présentation actuelle de la défense et tendrait à prolonger la procédure ».

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L’un des juges en désaccord

Le juge italien Cuno Tarfusser, lors d'une audience à la CPI le 6 novembre 2017. © Evert Elzinga/AP/SIPA

Le juge italien Cuno Tarfusser, lors d'une audience à la CPI le 6 novembre 2017. © Evert Elzinga/AP/SIPA

L’italien Cuno Tarfusser s’est dit surpris de la véhémence avec laquelle le procureur s’est opposé cette déclaration de Blé Goudé

La chambre d’accusation n’a cependant pas pris cette décision à l’unanimité. L’un des trois juges qui la compose, l’italien Cuno Tarfusser – qui la préside -, s’est déclaré favorable à ce que Charles Blé Goudé puisse s’exprimer. « S’adresser à son juge est un droit inaliénable », a-t-il déclaré.

Le juge a dénoncé « une violation d’un droit » de la défense et s’est dit « surpris de la véhémence avec laquelle le procureur s’oppose cette déclaration ». « Le procureur devrait plutôt se féliciter du fait qu’un accusé choisisse de présenter sa propre perspective des événements », a poursuivi Cuno Tartusser.

Ce n’est pas la première fois que ce dernier émet une opinion dissidente. Il s’était notamment positionné en faveur d’une libération provisoire de Laurent Gbagbo, mais avait été mis en minorité.

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>>> À LIRE – CPI : la défense récuse la participation de Charles Blé Goudé à la création d’une milice pro-Gbagbo

L’audience de non-lieu achevée, les juges de la chambre d’accusation vont désormais décider s’il estime que le procès doit se poursuivre. Quand rendront-ils leur décision ? Les avocats de la défense estiment qu’il faudra attendre le début de l’année 2019. Les parties pourront ensuite faire appel, ce qui retardera encore de quelques semaines le verdict final.

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Le « général de la rue » voulait réclamer des preuves

Charles Blé Goudé en discussion avec ses avocats lors d'une audience de la CPI. © ICC-CPI

Charles Blé Goudé en discussion avec ses avocats lors d'une audience de la CPI. © ICC-CPI

Par quelle magie le procureur réussit-il à mettre des mots sur la pensée du président Gbagbo ?

Dans le discours qu’il comptait lire et que Jeune Afrique s’est procuré en exclusivité, celui qui fut surnommé le « général de la rue » conteste plusieurs affirmations de l’accusation.

« Selon le procureur, le président Gbagbo m’aurait nommé ministre pour que j’exerce une autorité sur les jeunes. Honorables juges, quand le procureur compte-t-il produire le moindre document qui atteste cette allégation ? À tout le moins, peut-il indiquer à votre chambre, de quand daterait sa rencontre avec le président Gbagbo ? Rencontre au cours de laquelle le président lui aurait peut être donné les raisons qui sous-tendraient ma nomination. Si non, par quelle magie le procureur réussit-il à mettre des mots sur la pensée du président Gbagbo ? », peut-on lire dans le texte que nous avons reçu.

L’ancien ministre s’en prend également à la représentante des victimes, Paolina Massida. « Pendant deux ans, je suis resté assis ici. Pendant deux ans, j’ai attendu en vain que la représentante des victimes produise des pièces probantes notamment un document audiovisuel, à tout le moins un ou des témoins pour soutenir ses accusations à mon encontre. Que nenni ! Pire, elle n’a même pas jugé nécessaire d’appeler de témoin à la barre lorsque votre chambre lui en a donné l’opportunité. Nous sommes plutôt restés dans les commentaires et les affirmations gratuites », écrit-il.

Le bombardement du marché d’Abobo

Des habitants du quartier Abobo, à Abidjan, montrent l'un des obus de mortier tirés en mars 2011. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Des habitants du quartier Abobo, à Abidjan, montrent l'un des obus de mortier tirés en mars 2011. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Arrêtons de classifier les Ivoiriens en gentils d’un côté, et en méchants de l’autre

Blé Goudé évoque ensuite le cas du bombardement du marché d’Abobo, le 17 mars 2011, un des quatre événements mis en avant par l’accusation. Ce bombardement au mortier avait entraîné la mort d’au moins 25 civils et fait une quarantaine de blessés. 

« Affirmer ici, à la face du monde, qu’un marché aurait été la cible d’un bombardement car uniquement fréquenté par les partisans d’Alassane Ouattara, c’est méconnaître la réalité sociologique en Côte d’Ivoire. (…) Les femmes qui vendent au marché sont de toutes les ethnies, écrit-il. Les clients qui y vont pour faire leurs achats sont aussi d’ethnies et de religions diverses. Il n’y a donc pas un jour spécial où les partisans de Gbagbo vont au marché et un autre jour réservé exclusivement aux partisans d’Alassane Ouattara. »

La question du « plan commun »

Poursuivi pour son rôle dans trois événements survenus lors de la crise postélectorale, contre cinq initialement, Blé Goudé s’attaque également au fond du dossier. Selon lui, si le procureur « peine à prouver » que lui et Laurent Gbagbo ont « conçu et mis en œuvre un plan commun à travers une politique systématique visant à exterminer des populations de manière ciblée et organisée », c’est « simplement parce qu’il est impossible d’apporter la preuve de ce qui n’a jamais existé. »

>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : « De l’enfer, je reviendrai »… quand Charles Blé Goudé brise le silence

Et de conclure par un plaidoyer en faveur de sa libération : « Honorables juges, ma question de départ reste toujours sans réponse : qui a introduit la violence politique en Côte d’Ivoire ? Qui est le vrai responsable des violences à répétition à chaque scrutin électoral ?  Le président Gbagbo et moi-même, nous ne sommes plus en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années. Et pourtant, aux élections locales dernières, il y a encore eu des morts et de nombreuses violences. (…) Alors, honorables juges, je plaide à la suite de mes avocats pour que vous m’autorisiez à rentrer chez moi, auprès des 25 millions d’Ivoiriens, pour bâtir avec eux cette belle Côte d’Ivoire qui rassemble toutes ses filles et tous ses fils. Arrêtons de classifier les Ivoiriens en gentils d’un côté, et en méchants de l’autre côté. Mon pays est à la recherche de son équilibre social, aidons-le à panser ses plaies et à apaiser les esprits. »

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