Tunisie : près de 100 000 personnes dans la rue pour réclamer des augmentations de salaire

Suivie à près de 95 %, la grève générale dans la fonction publique décrétée par l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) est généralement un bon indicateur du climat social dans le pays.

Selon la police, 8 000 manifestants ont battu le pavé rien qu’à Tunis, jeudi 22 novembre. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Selon la police, 8 000 manifestants ont battu le pavé rien qu’à Tunis, jeudi 22 novembre. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Publié le 22 novembre 2018 Lecture : 3 minutes.

Selon des sources proches des forces de l’ordre, plus de 8 000 manifestants ont répondu à l’appel de la centrale syndicale pour porter leurs revendications devant le palais du Bardo, siège de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Sur l’ensemble du territoire national, ils auraient été dix fois plus nombreux à exiger du gouvernement des augmentations de salaire pour les agents de l’État.

>>> À LIRE – Tunisie : l’UGTT maintient la grève générale du 22 novembre

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Cette mobilisation, la plus importante depuis le lancement en 2013 du dialogue national – initiative menée par l’UGTT, le patronat et la société civile pour assurer la stabilité du pays – a montré la capacité de la centrale à mobiliser et à fédérer autour de revendications sociales. Cette grève ne concernait pourtant que les fonctionnaires, soit près de 600 000 personnes, et non l’ensemble des secteurs publics et privés. L’opération est donc réussie pour l’UGTT, qui s’impose comme porte-voix et défenseur des droits des travailleurs tunisiens.

Pas de réaction officielle

« Nous ne voulons pas d’augmentations salariales, mais le rétablissement du pouvoir d’achat ! », a lancé Noureddine Taboubi, secrétaire général de la centrale, qui s’est fait le porte-parole des mécontents, en promettant d’arracher ces augmentations. Il a taclé le gouvernement pour son inefficacité selon lui à juguler l’inflation, tenant pour responsables les députés qui n’ont pas su prendre les mesures pour freiner la dégradation des conditions socio-économique des Tunisiens – en deux ans, le dinar a perdu 30% de sa valeur. Le leader syndical a aussi accusé le gouvernement d’obéir aux « diktats » du Fonds monétaire international (FMI), dont il compare les interventions à une nouvelle forme de « colonisation ».

La fin implicite de non-recevoir du gouvernement ferme la porte à toute négociation et coupe l’exécutif de son administration

Le gouvernement n’a pas officiellement réagi mais il a activé, face à l’ampleur du rassemblement, les réseaux sociaux, où certaines pages annoncent que « la Tunisie ne s’agenouillera pas face aux provocateurs de chaos ». Cette fin implicite de non-recevoir ferme provisoirement la porte à toute négociation et coupe l’exécutif d’une administration qui est son instrument de travail. Une position paradoxale, puisque Youssef Chahed avait accordé ces mêmes augmentations salariales aux entreprises publiques.

« Le plus grave est l’absence d’anticipation. Depuis des mois, nous savions que cela pouvait arriver », confie un fonctionnaire, qui voudrait que l’exécutif donne l’exemple. À vouloir faire preuve de fermeté mais sans avoir réduit le nombre de ministères, ni revu le train de vie du gouvernement et appliqué à ses membres des mesures d’austérité, Chahed fait le jeu de l’UGTT, qui a ainsi les coudées franches pour durcir le ton et opérer des blocages à différents niveaux. Les autorités le savent : elles ont pris la précaution d’accorder un jour de congé aux écoles et facultés, afin que les élèves et étudiants qui veulent rejoindre les manifestations le fassent sur leur temps personnel, évitant ainsi un mouvement de masse et surtout une jonction avec les syndicats.

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Vers une nouvelle grève pour tout le secteur public ?

Les partis de l’opposition, dont le Front populaire et le Courant démocratique mais aussi Nidaa Tounes, deuxième groupe parlementaire, ont rejoint les manifestants et fait front aux côtés de l’UGTT. Mehdi Jomâa, fondateur d’Al Badil Ettounsi, a également soutenu les revendications des agents de l’État « au vu de la situation économique, tout en regrettant l’absence de réformes ». Yassine Brahim, président du parti Afek Tounes, comprend lui aussi la logique de la grève, d’autant que « l’inflation devient structurelle ».

En réponse à certains économistes, comme Azzeddine Saidane, qui ont pointé le coût de la grève et l’impact sur les investisseurs étrangers, Ahmed, fonctionnaire au ministère de l’Agriculture, rétorque : « Comment vivrais-tu avec 800 dinars par mois, deux enfants et des factures à payer ? »

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>>> À LIRE – Tunisie : l’UGTT, le syndicat historique et incontournable

En attendant que certains bons offices permettent une reprise de dialogue entre l’exécutif et l’UGTT, la centrale n’exclut pas une escalade et examinera, samedi 24 novembre, selon Mohamed Ali Boughdiri, l’un de ses secrétaires généraux adjoints, le projet d’une grève générale élargie à tout le secteur public. Cela n’augure rien de bon : historiquement, les mobilisations du début de l’hiver en Tunisie ont toujours conduit à des affrontements au mois de janvier.

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