Echec garanti

Publié le 27 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

Les Américains sont-ils enlisés en Irak et risquent-ils d’être contraints d’en retirer leurs troupes (et leur administration) d’ici à quelques mois sans avoir atteint leurs buts de guerre ? Parmi d’autres très bons experts, notre collaborateur Patrick Seale soutient avec brio cette thèse (voir pp. 22-23).
Ma conviction personnelle est que l’administration de George W. Bush impose depuis près de cinq ans, aux Américains et au monde, une politique générale fondée sur des postulats erronés, qui connaîtra des succès partiels ou apparents ici et là, mais n’obtiendra pas de résultats durables et probants.
En tout cas, pas au Moyen-Orient.

L’Irak n’est qu’un des théâtres d’opérations de cette politique. L’invasion et l’occupation de ce pays par les États-Unis ont deux caractéristiques qui, à mon avis, n’ont pas été, à ce jour, suffisamment mises en évidence.
– C’est un coup d’État, suscité par des dissidents irakiens, opposants à Saddam Hussein, dont les plus connus sont Ahmed Chalabi et Iyad Allaoui. Ils se sont mis au service de l’Amérique et ont réussi à l’entraîner dans la guerre pour abattre Saddam Hussein et son régime.
Il faut dire qu’elle pensait y trouver son compte.
– C’est aussi, en effet, une entreprise de type colonial du XIXe siècle : un pays puissant s’en va occuper un autre pour « l’empêcher de nuire » et pour y « propager la civilisation » (sic). L’objectif réel étant de changer le régime, jugé hostile (aux États-Unis, mais aussi à Israël), pour le remplacer par un autre plus docile. Finalité : l’exploitation du pétrole de ce pays.

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On commence, ici et là, à comparer cette aventure à la désastreuse équipée américaine au Vietnam. Pour l’heure, les différences sont nettement plus grandes que les ressemblances, comme le montre le graphique ci-dessus.
Au Vietnam, l’armée américaine menait une vraie guerre alors qu’il s’agit, en Irak, d’une occupation (qui suscite, dans une partie du pays, des actes de résistance).
Au Vietnam, les pertes étaient beaucoup plus importantes : 58 000 soldats tués (en neuf ans), contre 1 715 en Irak (en un peu plus de deux ans). Il y avait, au Vietnam, deux à trois fois plus de troupes qu’il n’y en a aujourd’hui en Irak, et l’armée américaine n’est plus celle de 1964-1973 : le système en vigueur au temps du Vietnam était la conscription, c’est-à-dire le service militaire obligatoire. Le quart des soldats envoyés au front étaient des appelés. Ceux qui vont en Irak aujourd’hui sont, en principe, tous volontaires et payés pour faire la guerre.
Il n’y avait pratiquement pas de femmes dans l’armée américaine au Vietnam : elles sont nombreuses en Irak – pilotes, mécaniciennes, policières, etc.

Quoi qu’il en soit, la présence de l’armée américaine en Irak y a attiré des milliers de « djihadistes ». Ils se sont agglomérés à la résistance intérieure et ne reculent devant aucune cruauté, ni aucun sacrifice pour infliger aux envahisseurs-occupants une défaite similaire à celle que leurs prédécesseurs ont fait subir dans les années 1980 à l’Armée rouge en Afghanistan.
Pour l’heure, les Américains n’ont pas perdu l’espoir de venir à bout de cet adversaire coriace, mais dont le combat leur paraît désespéré. Pourtant, l’opinion et le Congrès s’interrogent, commencent même à douter. Mais tant que le président Bush réussira à faire croire que l’Amérique est en train de gagner cette guerre et d’installer en Irak un gouvernement ami, il pourra continuer la politique qu’il a engagée en mars 2003.
Et tenter de la faire réussir, de la rentabiliser.

Je lui donne, pour ma part, très peu de chances d’y parvenir, même si son armée (et les forces irakiennes de sécurité en cours de constitution) venait à bout de l’insurrection et des djihadistes.
Pour de multiples raisons irakiennes et régionales, dont je ne citerai ci-dessous que les plus fortes :
1) S’ils avaient été moins arrogants et un tant soit peu cultivés, Bush, Rumsfeld et consorts auraient su que l’Irak, de même que l’Afghanistan, où leurs troupes sont toujours engagées, sont les deux pays de la région qu’on ne peut ni conquérir ni pacifier.
Ils ont cela en commun avec… le Vietnam, comme le montre indéniablement l’histoire des trois pays.
Est-il possible de les faire entrer – en peu d’années et par la méthode américaine – dans l’aire de la démocratie ? Très improbable, beaucoup plus difficilement en tout cas que tous les autres : avoir décidé de commencer par eux est le plus mauvais choix possible.
2) L’autre tandem improbable que l’Amérique n’aura pas la capacité de « démocratiser » est celui constitué par le Pakistan et l’Arabie saoudite, tous deux proches de l’islamisme plus ou moins militarisé.
George W. Bush a plus besoin du général Musharraf, président du Pakistan, et du prince Abdallah, régent d’Arabie, qu’ils n’ont besoin de lui. Il s’accommodera donc de leur immobilisme et, le cas échéant, de leurs frasques antidémocratiques.
3) Les récentes admonestations publiques de Condoleezza Rice (ou de George W. Bush) aux autocrates arabes amis et protégés de l’Amérique, pour les inciter à faire preuve de sens démocratique, auront très peu d’effets. Ceux-ci, au premier rang desquels Hosni Moubarak, se sentent humiliés – c’est une femme qui dicte à ces « machos » leur conduite ! -, mais ils feront le dos rond, plieront comme des roseaux, accepteront de perdre de leur superbe et… procéderont à des réformes cosmétiques.
Pour l’essentiel, leur système tiendra (hélas !) – et survivra à celui de George W. Bush.
4) L’État palestinien : liés, non pas seulement à Israël, mais au Likoud, Bush et son entourage ne feront pas le quart de ce qu’a fait le président Carter en 1978 (et qu’a tenté le président Clinton en 2000 et 2001) pour résoudre le problème israélo-palestinien.
Ils feront donc échouer Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, et peut-être Ariel Sharon lui-même.
5) La Syrie a été obligée par les États-Unis en 2005 à renoncer à son occupation du Liban. Bien ! Mais on n’imagine pas le président Bush demander à son ami Sharon de songer à mettre un terme à l’occupation, par son armée et ses colons, du Golan syrien.
Le statu quo sera donc maintenu, ce qui ne favorisera ni la stabilisation du Liban, ni la pacification de l’Irak…
6) L’Iran : George W. Bush et son administration n’ont aucune politique iranienne digne de ce nom susceptible de remplacer l’échange d’invectives qui, depuis un quart de siècle, empêche ces deux ex-alliés de se retrouver.

Vous voyez comme moi que le « Grand Moyen-Orient » démocratisé et apaisé promis par George W. Bush n’est qu’un ensemble disparate de cartes truquées. Il rejoindra, au départ de Bush en 2008, le cimetière des chimères diplomatiques.
Où gît, depuis un demi-siècle, entre autres, le tristement célèbre « pacte de Bagdad », qui, à son époque, a fait autant de bruit sans jamais entrer en application.

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