Côte d’Ivoire : « La direction de Fraternité Matin a profité du plan social pour régler ses comptes »

Journaliste à Fraternité Matin depuis 28 ans, figure du journal, Marcelline Gneproust fait partie des onze salariés concernés par le plan social massif qui frappe le quotidien gouvernemental. Elle dénonce ici un « règlement de comptes ».

Une femme devant un kiosque à journaux, le 26 octobre 2015 à Abidjan, en Côte d’Ivoire (photo d’illustration). © Schalk van Zuydam/AP/SIPA

Une femme devant un kiosque à journaux, le 26 octobre 2015 à Abidjan, en Côte d’Ivoire (photo d’illustration). © Schalk van Zuydam/AP/SIPA

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Publié le 22 novembre 2018 Lecture : 3 minutes.

La Société nouvelle de presse et d’édition de Côte d’Ivoire (SNPECI), propriété de l’État ivoirien et éditrice du journal Fraternité Matin, a annoncé vendredi 16 novembre un vaste plan social. 123 salariés vont être licenciés du quotidien, en plus des 32 départs volontaires prévus. Au total, 155 employés – sur un effectif de 339 – vont devoir quitter « FratMat ».

Raison invoquée : les difficultés financières du titre de presse créé il y a bientôt 54 ans. Ses pertes cumulées sur la période 2012-2017 s’élèvent à 2,3 milliards de francs CFA (3,6 millions d’euros), portant ainsi les déficits cumulés de l’entreprise à quelque dix milliards de francs CFA à fin 2016. Fin novembre, le gouvernement avait pourtant accepté d’effacer une dette à hauteur de 5,5 milliards de francs CFA et d’injecter 3,6 milliards de francs CFA supplémentaires, en échange de réformes.

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Jeune Afrique : Le porte-parole du gouvernement a estimé jeudi que le plan social avait été préparé sur des critères « justifiés et objectifs ». Partagez-vous sa position ?

Marcelline Gneproust : Si c’était le cas, il n’y aurait pas tous ces remous. Nous ne comprenons pas pourquoi les journalistes sont concernés. Nous ne remplissions pas les critères qui avaient été établis pour mettre en place ce plan social. La seule explication, c’est que le directeur général, Venance Konan, a profité de cette situation pour régler ses comptes.

Pourquoi parlez-vous de règlement de comptes ?

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Officiellement, nous sommes licenciés pour motifs économiques. Mais la rédaction est le cœur d’une entreprise de presse. En ce moment, onze journalistes sont touchés. Dans la rédaction papier, il n’en reste que 12. Comment un journal peut-il fonctionner avec si peu de journalistes ? Nous constatons que certains avec lesquels Venance Konan a eu des problèmes sont concernés par ce licenciement.

Est-ce votre cas ?

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Je sais qu’il disait souvent de moi je ne travaillais pas assez. Mais dans notre journal, il n’y a ni système d’évaluation, ni fiche de poste. Sur quels critères s’appuie-t-il pour dire que je travaille pas ? J’ai été récompensé par le prix Ebony du meilleur journaliste en 2012, et j’ai reçu le prix panafricain de la presse écrite en 2016. Comment peut-on dire cela de moi ?

Contestez-vous la nécessite de mesures fortes pour sauver Fraternité Matin ?

Le plan social s’impose. Certains services qui gravitent autour de la rédaction sont par exemple amenés à être externalisés. Nous sommes tous d’accord. Ce n’est pas la question. Le problème est que nous n’avons eu aucune concertation avec la direction.

Le directeur général a décidé seul de quelles personnes devaient être licenciées

Le Conseil national du dialogue social (CNDS) avait émis des recommandations en demandant que la direction mette en place un comité tripartite (employés, direction et ministère de la Communication) afin que nous nous mettions d’accord sur les postes qui devaient disparaître. Or, le directeur général a décidé seul de quelles personnes devaient être licenciées. Il faut savoir que le directeur des ressources humaines a lui aussi été remercié. Il n’était pas sur la liste du plan social, mais il en a été informé par courrier.

Que reprochez-vous concrètement à la gestion de Venance Konan ?

Le document qui justifie le licenciement du personnel, signé par le directeur général adjoint, qui fait état de la situation « catastrophique » du journal, évoque des dysfonctionnements, l’absence d’une culture de management, ou encore un manque de coordination entre les directions. La masse salariale, qui était de 70 millions de F CFA par mois en 2012, est passée en 2017 à 170 millions, quand le nombre d’employés a augmenté de 221 à 350. N’est-ce pas de la mauvaise gestion ?

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La rédaction a-t-elle sa part de responsabilité dans les mauvais résultats du journal ?

Je ne crois pas. La rédaction a toujours joué son rôle. Les meilleurs journalistes de Côte d’Ivoire sont toujours venus de Fraternité Matin.

Le problème de fond n’est-il pas la ligne éditoriale, jugée trop proche du gouvernement ?

La ligne éditoriale était la même sous l’ancien régime, et cela n’empêchait pas le journal de se vendre. Être proche du gouvernement ne nous a pas interdit d’être professionnels. Le problème, c’est d’abord une question de management. Aujourd’hui, notre rédacteur en chef travaille avec une petite équipe, sans réelle coordination.

Être proche du gouvernement ne nous a pas interdit d’être professionnels. Le problème, c’est d’abord une question de management

Fraternité doit demeurer le premier journal de Côte d’Ivoire. Nous appelons les autorités à regarder cette situation. Faire un plan social parce que nous avons des dettes, c’est compréhensible. Mais transformer cela en un règlement de comptes en faisant partir les meilleurs, ce n’est pas acceptable.

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