Yayi est-il différent ?

Un vaincu qui accepte de bonne grâce sa défaite, un vainqueur au triomphe modeste, le pays étrenne sa troisième alternance sans tambour ni trompette. Et attend beaucoup de la rupture que constitue l’arrivée d’une nouvelle génération aux affaires.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 6 minutes.

Boni Yayi confie n’avoir jamais eu de rêve présidentiel. En revanche, de l’ambition pour le Bénin, oui. « J’ai toujours eu envie d’aider et de servir la nation. Après onze années passées à la tête de la Banque ouest-africaine de développement [BOAD], j’ai estimé que j’étais assez outillé. La meilleure façon d’être utile pour son pays, c’est de se rapprocher le plus près possible du bouton », résume Boni Yayi. Après les deux mandats de Mathieu Kérékou marqués par un recul économique sur fond d’affairisme et par une détérioration des conditions de vie, les Béninois lui offrent cette possibilité. Le candidat indépendant et dépourvu d’expérience politique se retrouve catapulté président avec près des trois quarts des suffrages exprimés à l’issue du second tour, le 19 mars. Le technocrate a su convaincre.
Pour un premier rendez-vous avec le suffrage universel, le coup a été très bien joué. Rien n’a été laissé au hasard. « Boni Yayi n’est pas venu de nulle part. Il a été conseiller économique du président Nicéphore Soglo de 1992 à 1994 et a démontré ses compétences à la BOAD. Il a une vision très claire des choses, explique Albert Tévoédjrè, l’ancien secrétaire général adjoint de l’ONU, qui a été l’un des tout premiers à appuyer la candidature de l’ex-banquier. Avant d’ajouter, le peuple n’a plus beaucoup d’estime pour les politiciens traditionnels. Les Béninois qui voulaient le changement ont saisi l’occasion pour élire un homme neuf. » « C’est un bosseur, pragmatique, humble, qui sait écouter sans se laisser influencer », ajoute le porte-parole de campagne, Me Robert Dossou, qui effectue un retour remarqué dans l’arène politique nationale après avoir été ministre du Plan de Mathieu Kérékou, de 1989 à 1990, et celui des Affaires étrangères sous Nicéphore Soglo, de 1993 à 1995. « Ce sont des qualités qui se font rares. J’espère qu’il n’aura pas la grosse tête avec le pouvoir. »
Aucun risque pour l’instant. Celui qui prendra possession du palais de la Marina, le 6 avril prochain, semble stupéfait par ce qui lui arrive. Presque intimidé. La dynamique lancée par le très bon score du premier tour (35,64 %) aux dépens d’Adrien Houngbdéji (24,13 %) annonçait un grand soir victorieux. La presse locale ne s’y était pas trompée. Le ralliement de dernière heure de l’alliance Wologuèdè (« la chaîne difficile à contourner », en fon) composée des battus, Bruno Amoussou, Léhadi Soglo et Antoine Idji Kolawolé, aura parachevé cette « chronique d’une consécration annoncée ». Au bras de sa femme Chantal et devant une nuée de caméras et de micros, l’appel pour un « scrutin paisible, transparent et massif ainsi que l’invitation à relever les défis du développement » auront été les premiers mots solennels du technocrate qui s’apprête à tourner une page de l’histoire de son pays.
En attendant d’être officiellement investi, Yayi affiche une simplicité rafraîchissante. À Cotonou, devant son domicile du quartier de Cadjehoun, une maison cossue, sans plus, le protocole est réduit à sa plus simple expression. Quelques soldats filtrent les entrées. Sans zèle. De l’autre côté de la rue, des policiers en civil restent assis, diserts avec les visiteurs. La cour intérieure fait office de salle d’attente. Les plus chanceux ont droit à une audience, les autres à une chaleureuse poignée de main. « Je ne sais pas encore si je vais déménager, précise Boni Yayi. Je veux garder le contact avec la population, mais il y a déjà de gros bouleversements dans ma vie », confie-t-il, mi-amusé, mi-nostalgique, en regardant son téléphone qui ne cesse de sonner. Un destin bascule.
Les trois premiers enfants échappent au tourbillon, ils sont aux États-Unis depuis plusieurs années pour suivre des études universitaires en économie et en droit des affaires. L’aînée, 31 ans, s’est même mariée là-bas après son MBA. Les deux autres, 29 et 25 ans, sont sur la même voie et « il n’y a aucune raison qu’ils viennent travailler avec moi », précise le père. Les deux derniers garçons, 17 et 8 ans, suivent leur scolarité à Cotonou. Le cadet « apprend des choses à l’école. On lui a dit que son papa allait devenir président ». Dans la famille Yayi, on se doit de faire de bonnes études.
Le chef de famille a montré le chemin. Né à Tchaourou dans le centre du pays en 1952, le petit Boni, fils de cultivateur, a effectué un parcours scolaire sans fautes : BEPC au collège de Kandi en 1969, bac série C au lycée Bouké de Parakou en 1972, maîtrise en sciences économiques à l’université de Cotonou, DEA option finances à Dakar, doctorat de troisième cycle à Orléans, en France, et, enfin, doctorat ès sciences économiques à l’université de Paris-Dauphine en 1991. Conseiller économique ensuite de Nicéphore Soglo, il découvre alors le milieu politique béninois avant de prendre du champ et d’acquérir une légitimité internationale en dirigeant la BOAD, dont le siège est à Lomé. En l’espace de deux mandats, l’institution multiplie par cinq ses décaissements pour atteindre 80 milliards de F CFA en 2004, et son capital passe de 140 à 700 milliards de F CFA, avec notamment l’arrivée de nouveaux actionnaires.
« La BOAD est devenue une référence », estime un diplomate en poste dans la sous-région. De fait, la légitimité acquise auprès des places financières et des bailleurs permet à la banque de lever suffisamment de fonds pour financer une multitude de programmes de développement (infrastructures, soutien au secteur privé, santé, éducation). Le voilà à présent chef d’État appelé à rejoindre le club de ses pairs de la sous-région. « Ce sont mes papas. À la BOAD, j’ai eu de très bonnes relations avec tous », déclarait-il il y a quelques semaines. Certains lui ont déjà envoyé des messages, en attendant les communiqués officiels. L’ambassadeur des États-Unis, Wayne Neil, et son homologue de France, Christian Daziano, se sont entretenus avec lui au lendemain du second tour. « C’était une simple reprise de contact avec un ami que je n’avais pas vu durant la campagne électorale. J’ai fait la même chose avec Adrien Houngbédji, prend soin de préciser le diplomate français. Ces entretiens nous ont permis de tirer les conclusions du processus électoral, d’analyser le message envoyé par la population et d’envisager la meilleure façon d’y répondre. »
À défaut d’avoir une feuille de route clairement établie, le successeur de Mathieu Kérékou a une vision, un projet pour son pays. « Le changement » a été le maître mot durant la campagne électorale. À présent, l’heure est aux consultations pour constituer un gouvernement composé « de gens neufs, propres et compétents ». Cette règle a été maintes fois répétée sur les estrades. Il va falloir à présent tenir parole. Priorités affichées : lutte contre la corruption et le clientélisme, bonne gouvernance et moralisation de la vie publique. Cela passe notamment par la fin de l’impunité. Mais pas de chasse aux sorcières. Il y aura en revanche des négociations pour la composition du gouvernement. Même si on s’empresse de préciser dans l’entourage du nouveau président : « Il n’y a pas eu d’engagements nominatifs pour les postes ministériels. Tout cela reste à discuter sur la base de notre projet, et nous refuserons tous les anciens ministres du président Kérékou. »
La redistribution des cartes ne fait que commencer. La survie des partis désavoués les 5 et 19 mars passe notamment par une visibilité au sein de l’exécutif. « Boni Yayi est un homme libre. Il ne fera pas de politiciennerie, mais il ne sera pas incorrect », annonce Tévoédjrè. Comme tout président élu, le prochain locataire du palais de la Marina va devoir aussi composer avec son entourage, avec ceux qui l’ont accompagné durant cette longue bataille. Après l’euphorie de la victoire viendra le temps des doléances. Outre Robert Dossou, Albert Tévoédjrè et l’ex-chef de l’État Émile Derlin Zinsou, qui ne revendiquent officiellement aucun poste, l’équipe rapprochée était notamment composée d’un conseiller, Moise Mensah (ancien ministre des Finances de 1996 à 1998) ; d’une directrice de campagne, Vincentia Boko (professeur de médecine) ; et d’un responsable de la communication, Charles Toko (patron du journal Le Matinal et de Radio Océan). Autant de noms qui pourraient apparaître dans l’organigramme en préparation.
« Le président saura faire les arbitrages », estime Robert Dossou. « Sa grande force repose sur son score, et sa légitimité vient du peuple, Yayi est une synthèse du Bénin », ajoute un observateur. De fait, pour la première fois dans l’histoire de la démocratie béninoise, ce natif du Centre, de parents musulmans, qui a été élevé par un oncle protestant et qui s’est converti à l’évangélisme, est arrivé en tête aussi bien dans le Nord que dans le Sud. Quasiment dans les mêmes proportions et au-delà de tout clivage ethnique ou religieux. Sera-t-il pour autant différent ?

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