Crise : comment le Ghana en est-il arrivé là ?
Grisé par son nouveau statut de producteur de pétrole, le pays a laissé filer les déficits. Gare au recadrage !
Déception, colère, inquiétude : tels sont les sentiments qui règnent actuellement à Accra. Mais c’est surtout l’incompréhension qui domine. Comment le Ghana, considéré il y a encore deux ans comme un modèle de réussite pour l’Afrique subsaharienne, s’est-il retrouvé dans une zone de fortes turbulences, faisant passer ses principaux indicateurs économiques dans le rouge ?
L’inflation a atteint 15 % en juin, le déficit budgétaire s’est creusé à une vitesse vertigineuse au cours de ces vingt-quatre derniers mois, tandis que la monnaie nationale, le cedi, a vu sa valeur fondre de 40 % par rapport au dollar depuis le début de cette année, rendant la vie de plus en plus chère dans un pays fortement dépendant des importations (voir ci-contre). L’ancienne Côte-de-l’Or (de Gold Coast, l’ancien nom du pays) d’Afrique de l’Ouest a perdu beaucoup de son éclat.
>>>> Voir aussi : Le Ghana lève 1 milliard de dollars à un taux plus faible que prévu
Les raisons de la chute de l’économie ghanéenne qui battait des records de croissance sont bien connues : le pays a vécu au-dessus de ses moyens.
Les raisons de la chute de cette économie qui battait des records, avec une croissance d’environ 14 % de son produit intérieur brut (PIB) en 2011, sont bien connues : le Ghana a vécu au-dessus de ses moyens.
Au cours de ces deux dernières années, tablant sur d’importants revenus pétroliers – le pays est devenu producteur d’or noir en 2011 -, les autorités ont gonflé les dépenses budgétaires en augmentant notamment les salaires des fonctionnaires.
Elles ont financé ces largesses en s’endettant sur les marchés financiers – le gouvernement a été le premier en Afrique subsaharienne à lancer un emprunt obligataire international de 750 millions de dollars (520 millions d’euros) en 2007, avant de récidiver en 2013 pour un montant de 1 milliard de dollars – et en empruntant auprès de pays tels que la Chine.
Dette
De fait, « la masse salariale de la fonction publique et le service de la dette engloutissent presque l’intégralité du budget, soutient Franklin Cudjoe, fondateur et président du think tank ghanéen Imani. Finalement, les revenus du secteur des hydrocarbures ont été plus faibles que prévu » – ils représentent aujourd’hui moins de 1 % des recettes totales.
À cela, il faut ajouter le fait que « les revenus des exportations souffrent d’un manque à gagner conjoncturel lié à la baisse des prix de l’or et du cacao, ce qui provoque un déficit persistant du compte courant », précise Bakary Traoré, analyste économique au bureau Afrique, Europe et Moyen-Orient de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
En 2013, la Banque du Ghana a mené une politique monétaire rigoureuse afin de contenir la hausse de l’inflation et la dépréciation du cedi.
Mais l’ampleur du déficit budgétaire depuis 2012 a déjà pesé lourdement sur la dette publique, qui est rapidement passée de 43 % du PIB en 2011 à 52 % l’année dernière. Or les experts estiment que, au-delà de 60 % du PIB, le poids de la dette deviendrait insoutenable.
« La masse salariale de la fonction publique et le service de la dette engloutissent presque l’intégralité du budget de l’État »
Franklin Cudjoe, président du think tank Imani
Pourtant, en 2006, le Ghana avait été l’un des pays subsahariens à bénéficier d’un allégement de la dette dans le cadre de l’initiative du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Le taux d’endettement était alors passé à 25 % du PIB.
Face à cette situation, les autorités locales ont dû faire appel aux experts du FMI, qui sont attendus dans les prochains jours à Accra pour discuter des conditions dans lesquelles ils pourraient aider le pays à se redresser. « Nous avons peu de détails sur l’appui que pourrait apporter le FMI, note Franklin Cudjoe. Mais le Fonds assure que les négociations avec le gouvernement dureront moins de six mois. Son intervention pourrait se concentrer sur la balance des paiements. De son côté, la Banque mondiale fournirait un soutien budgétaire et l’Usaid [l’agence des États-Unis pour le développement international] continuerait à apporter son expertise pour améliorer la gouvernance financière. »
—————— >>>>> L’Afrique subsaharienne face au spectre des déficits <<<<<<——————-
Gel des salaires
Ayant accédé au rang de pays à revenu intermédiaire en 2010, le Ghana a vu le montant de l’aide au développement dont il bénéficiait diminuer significativement. Il n’était plus sous la tutelle des institutions de Bretton Woods, dont les remèdes ont souvent été jugés trop contraignants, voire néfastes pour les couches sociales les plus vulnérables.
Seth Terkper au front
Le ministre ghanéen des Finances sera en première ligne des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI). Une institution qu’il connaît bien puisqu’il y a travaillé pendant dix ans (1999- 2009).
Formé à Harvard, il a notamment été économiste senior au département des affaires fiscales du Fonds.
De fait, le retour du FMI dans le pays fait resurgir les souvenirs amers des programmes d’ajustement structurel que ces institutions avaient imposés à un certain nombre d’États subsahariens dans les années 1980 et qui se sont traduits par une vague de privatisations d’entreprises publiques et par des licenciements en cascade.
« Dans sa situation actuelle, le Ghana pouvait difficilement faire autrement que d’appeler le FMI à l’aide », assure un économiste membre d’une organisation internationale, pour qui il est clair que le pays va devoir se serrer la ceinture.
Seth Terkper, le ministre des Finances, maintient qu’un soutien du Fonds contribuerait à rétablir la confiance, ce qui permettrait au pays de revenir sur les marchés financiers internationaux pour lever plus de 1 milliard de dollars en septembre. Mais notre économiste émet des doutes : « L’opportunité et la pertinence d’une telle opération devront désormais être discutées avec le FMI », affirme-t-il.
Certes, les perspectives économiques du Ghana restent bonnes. C’est un nouveau producteur de pétrole qui présente un fort potentiel de croissance et dont la gouvernance s’est bien améliorée.
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Bref, la situation est très différente de celle d’il y a trente ans, quand le pays frôlait la faillite. Toutefois, le redressement de ses comptes ne se fera pas sans douleur. Il passera par le gel des salaires des fonctionnaires (quelque 600 000 personnes) et la réduction des subventions sur les produits pétroliers. Il faudra aussi augmenter certains impôts et élargir l’assiette fiscale pour accroître les recettes de l’État. Des analystes envisagent même la privatisation de certaines grandes entreprises publiques.
Mais selon Bakary Traoré, « pour réduire durablement les déficits, la privatisation n’est pas la panacée ». Pour l’économiste de l’OCDE, « il s’agit surtout de porter l’attention sur l’économie réelle afin de résoudre, par exemple, le problème de la baisse des revenus d’exportation.
Il faut diversifier, améliorer la compétitivité des secteurs de production et d’exportation à forte demande régionale. C’est le cas des matériaux de construction [aluminium, acier, matières plastiques et bois], du textile et de l’agroalimentaire. Or tous ces secteurs sont pénalisés, entre autres, par le coût de l’énergie et par un réseau électrique à bout de souffle ».
C’est précisément en cela que la crise qui frappe le pays peut aussi devenir une chance. Car, comme l’indiquait Kwesi Amoafo-Yeboah, le président du fonds Venture Capital, à nos confrères de The Africa Report en avril, « c’est l’occasion de réorienter le pays vers une économie d’exportation de produits transformés localement, c’est-à-dire l’opposé de ce qu’elle est aujourd’hui, une grande importatrice ». Et d’après ce candidat à la présidentielle de décembre 2012, les dirigeants du pays ont enfin pris la bonne direction en engageant des réformes.
Par exemple, le gouvernement a décidé de réduire le déficit de la balance commerciale en incitant les entreprises à produire localement des biens jusqu’ici importés. Ainsi, Haruna Iddrisu, le ministre de l’Industrie et du Commerce, a négocié en personne l’implantation du groupe mauricien Omnicane dans le pays. Ce groupe sucrier a ainsi annoncé en mai un investissement de 250 millions de dollars dans une plantation de canne et dans une raffinerie d’une capacité de 100 000 tonnes par an dans le Nord. Objectif : refaire du Ghana un pays exportateur de sucre.
Dans sa stratégie, le gouvernement prévoit de doubler les exportations (hors ressources naturelles) afin qu’elles atteignent plus de 5 milliards de dollars d’ici à trois ans. L’avenir dira si ce plan aura effectivement contribué à réduire la dépendance de l’économie nationale vis-à-vis de ses trois principaux produits d’exportation, le cacao, l’or et le pétrole.
John Gadzi : « Produire localement reste un grand défi au Ghana »
Ancien cadre de Goldman Sachs, ce banquier d’affaires ghanéen dirige depuis 2012 le département fusion-acquisition d’IC Securities, une société de services financiers qui a piloté entre autres l’acquisition de l’assureur Provident par Old Mutual et la prise de participation d’investisseurs étrangers dans Fidelity Bank.
Jeune afrique : Comment le secteur privé ghanéen fait-il face à la crise qui frappe le pays ?
John Gadzi : La première chose que font les entreprises, c’est de transférer les coûts aux consommateurs, ce qui a tendance à alimenter l’inflation. Les patrons cherchent aussi à rogner leurs dépenses courantes, comme les voyages d’affaires, ou bien retardent les investissements qui ne sont pas essentiels. Enfin, certains tentent de substituer des produits locaux aux importations ou cherchent à gagner des marchés hors des frontières.
Le Ghana reste-t-il un pays intéressant pour les investisseurs ?
L’environnement reste attractif, malgré la crise, surtout si vous investissez en monnaie locale. L’arrivée du FMI devrait permettre de stabiliser le taux de change. À plus long terme, le pays a de nombreux atouts.
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