Week-end à Nouadhibou

Depuis le mois d’octobre dernier, une route goudronnée de 470 kilomètres relie enfin Nouakchott au principal port du pays.

Publié le 27 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Au marché Capitale de Nouakchott, les étals des marchands débordent de mandarines. Leurs couleurs attirent les regards des passants. Le chaland peut désormais acheter des agrumes de qualité à un prix raisonnable : « Avant, le kilo de mandarines pouvait coûter jusqu’à 600 ouguiyas [1,87 euro], explique un vendeur. Aujourd’hui, on le trouve à 300, voire 250 ouguiyas le kilo. »
« Avant », c’était au temps où la route goudronnée qui relie Nouakchott et Nouadhibou, à 470 km de distance, n’existait pas. Les camions chargés de fruits venus du Maroc, une fois entrés sur le territoire mauritanien, étaient contraints d’emprunter des pistes cahoteuses pour gagner les marchés de la capitale. En plein désert ou le long de l’océan, le trajet, dangereux, avait des allures d’épopée. Pas un Bédouin qui ne fasse le récit d’une panne de taxi-brousse en pleine journée, faisant courir un véritable risque de mort au passager assoiffé. « En camion, le voyage prenait soixante-douze heures », témoigne l’employé d’un hôtel, originaire de Nouadhibou. Aujourd’hui, cinq heures suffisent, et même trente minutes de moins pour les plus rapides.
Depuis octobre 2005, les deux villes principales du pays, la capitale politique et la métropole économique, sont enfin raccordées par une route digne de ce nom. Un long ruban de bitume sillonne désormais la côte atlantique de Tanger à Dakar, à l’exception de trois kilomètres non goudronnés au sud du Sahara occidental et du fleuve Sénégal qu’il faut franchir par le bac au départ de Rosso. Le fameux chaînon manquant ne manque plus. Un tronçon de 190 km sur la route en reliant Nouakchott à Nioro du Sahel (Mali) a même été achevé à la fin de 2004. Grâce à quoi la Mauritanie s’intègre un peu plus à l’espace régional.
La construction d’une route en plein désert, un environnement que même les ingénieurs des Ponts et Chaussées les plus zélés ont du mal à maîtriser, n’est pas une mince affaire. L’idée est ancienne. Dès les années 1980, le gouvernement mauritanien réalise plusieurs études, qui butent toujours sur le même obstacle : le Banc d’Arguin, juste au sud de Nouadhibou. Impossible qu’un ruban d’asphalte traverse le parc national, au risque de dégrader un écosystème inscrit par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Pourtant, tracer une ligne droite entre les deux villes semble a priori le chemin le plus rapide. Et le moins coûteux. Finalement, la décision est prise : le tracé longera l’océan sur près de 100 km à partir de Nouakchott, puis contournera le Banc d’Arguin par l’est jusqu’à Nouadhibou. Impatient, l’État souhaite que les travaux s’achèvent au plus vite. On décide donc de tronçonner la future route en cinq lots. Ils sont attribués à des entreprises différentes qui travailleront en même temps. Le chantier rassemble des groupes tunisien, mauritanien, chinois et égyptien. Coût total de l’opération : 70 millions de dollars. Le Fonds arabe pour le développement et la Banque islamique de développement contribuent à 85 % aux financements, des prêts remboursables sur vingt-cinq ans, avec cinq ans de délai de grâce. Le reste incombe à l’État. Du 9 septembre 2002 au 24 octobre 2005, pelleteuses et bitumeuses dessinent un chemin entre les dunes et les roches, sur un terrain parfois plat, parfois accidenté, à certains moments dans le vent, à d’autres dans de véritables tempêtes de sable, la plupart du temps sous un soleil écrasant.
Aujourd’hui, au nord de Nouakchott, après le « PK 25 » (point kilométrique situé à 25 km du centre), les « bases vie » qui ont servi aux ouvriers sont encore là. Cinq mois après la mise en service, les premiers changements sont déjà tangibles. Hier désertiques, les abords de la capitale se sont peuplés en un rien de temps. Des villages clairsemés se sont posés le long du bitume. Certains sont déjà dotés d’une mosquée. Le nouvel aéroport, qui sera mis en service en 2009 si le calendrier est respecté, est un autre élément d’attraction. À mesure que l’on s’éloigne, la densité diminue. Mais, à intervalles réguliers, le voyageur peut s’arrêter dans des « auberges », qui ressemblent plus à des campements. Toujours entourés de quelques baraques, ils comportent le plus souvent une petite épicerie où l’on trouve de tout : lait de chamelle, savon, biscuits. « Des familles ont commencé à se fixer. Au PK 37, il y a des habitations. Au PK 300 s’est créée une petite agglomération. Lorsque nous sommes venus pour définir le tracé, il n’y avait absolument rien. Même pas une mouche, au sens propre ! » commente Mohamed Ould Sidi, le coordinateur du projet au ministère de l’Équipement, qui connaît le trajet par cur. Indéniablement, le goudron est une promesse d’activité pour les nombreux nomades qui se sont sédentarisés le long du tracé. Et même pour d’autres. Aziza, marocaine, travaille dans un café flambant neuf à Nouadhibou. Il a ouvert avec la route.
« Modérez la vitesse », ordonne un policier à l’un des multiples postes de douane. À quelques courbes près, le goudron dessine une ligne droite de 470 km. Nombreux sont les conducteurs qui cèdent à l’ivresse de la vitesse, comme pour prendre une revanche sur les journées perdues autrefois dans les taxis-brousse. Les panneaux encore neufs le rappellent pourtant : 100 km/h, parfois 80, pas plus. Avec le sable qui vient se déposer sur l’asphalte à la faveur du vent, le trajet est dangereux. Des arbres ont bien été plantés pour retenir les dunes, mais ils sont encore jeunes, reconnaît-on au ministère de l’Équipement. L’efficacité du système de retenue est insuffisante. Des équipes d’entretien prises en charge par l’État doivent régulièrement intervenir pour dégager la route.
Pour le moment, aucun comptage n’a encore mesuré la fréquentation de cet axe. Mais on estime au ministère le nombre total de voitures à trois cents par jour. Le vendredi, ce niveau est dépassé. Les familles éclatées entre les deux villes se retrouvent. Désormais, il est possible d’aller passer le week-end à Nouakchott ou à Nouadhibou. Des camions font la navette en permanence. Dans un sens pour approvisionner la capitale en poisson. Au retour, des ouvriers remplissent les bennes de coquillages qui serviront à des travaux de terrassement.
Ouverture sur le reste du monde, trait d’union à la place des pointillés, bras tendu entre Afrique du Nord et de l’Ouest, la route recueille tous les suffrages. Ou presque. « Cette route, c’est celle de l’immigration, du sida, des trafics et de la pègre. La Mauritanie n’est pas prête pour une ouverture si soudaine », redoute un de ses détracteurs. L’État a fait le pari qu’un projet au coût exorbitant et remboursable sur de longues années galvaniserait l’économie nationale en imposant le territoire comme un point de passage obligé sur l’axe Nord-Sud et en attirant une multitude d’activités : commerces, hôtellerie, logistique Avec « la route », la Mauritanie espère ne plus être bannie des plans d’investissement sous prétexte que ses infrastructures sont insuffisantes. À 25 km au nord de Nouakchott, le nouvel aéroport international, prévu pour un million de passagers, est censé contribuer à l’amélioration. Les travaux ont commencé fin 2005. D’une durée de trente-six mois, ils devraient coûter 200 millions de dollars. Comme pour la route, il est difficile d’anticiper les retombées économiques. Mais la Mauritanie ne va pas s’arrêter en si bon chemin. « À l’heure du pétrole, le pays devient un pôle d’attraction, on ne peut pas se permettre d’avoir des files d’attente aux frontières. Il faut maintenant un pont sur le fleuve Sénégal », soutient, fier, un habitant.

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