[Analyse] Pourquoi la cause des femmes patine au Maroc
Asma Lamrabet, démissionnaire en mars 2018 de la Rabita des oulémas pour sa position en faveur de l’égalité sur l’héritage, qui dérangeait les conservateurs, analyse pourquoi la condition féminine est malmenée aujourd’hui au Maroc.
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Asma Lamrabet
Médecin biologiste, essayiste et féministe, marocaine.
Publié le 29 novembre 2018 Lecture : 4 minutes.
Maroc : PJD, la preuve par sept
Le 25 novembre 2011, les législatives donnaient la majorité aux islamistes, qui promettaient de changer la façon de gouverner et de réformer le pays. Force est de constater que leur bilan n’est pas brillant.
Le Maroc a connu, avec l’avènement du roi Mohammed VI, une grande dynamique de réformes juridiques concernant la question des droits des femmes. Grâce à l’ensemble des lois promulguées dans le cadre de la réforme du code de la famille, en 2004, conforté par les dispositions de la nouvelle Constitution, en 2011, le pays avait à sa disposition un arsenal législatif à même de concrétiser des avancées majeures sur le terrain des réalités sociales.
Pourtant, force est de constater aujourd’hui une certaine « régression » des droits des femmes, corroborée par des études internationales – dont le dernier rapport du Forum économique mondial sur l’égalité femmes-hommes, publié en novembre 2017, qui place le Maroc au 136e rang sur 144 pays étudiés.
Réformes dans l’impasse
Alors qu’il y a quelques années le pays était bien parti pour améliorer la situation des droits des femmes, comment expliquer ce recul que l’on perçoit actuellement ? Pourquoi n’y a-t-il eu quasi aucune tentative pour mettre en œuvre ces réformes ?
Comment se fait-il qu’en moins de dix ans le modèle très prometteur d’un Maroc en voie de démocratisation et de modernisation voit son projet d’émancipation des femmes stagner, voire montrer des signes d’épuisement et de retour en arrière inquiétants ?
>>> À LIRE – Maroc : Asma Lamrabet livre les raisons de sa démission de la Rabita des oulémas
L’impasse dans laquelle se trouvent les réformes s’observe à tous les niveaux de la vie politique et sociale. D’abord au sein du gouvernement, qui, pour afficher sa volonté de « modernisation », a nommé neuf femmes (une seule ministre et huit secrétaires d’État) pour trente-neuf portefeuilles.
Avec le temps, la plupart de ces postes ont malheureusement été vidés de tous leurs attributs, et leurs titulaires, malgré leurs compétences, ont été reléguées à des fonctions subalternes, dans un gouvernement où seuls les hommes décident. Qu’en est-il aujourd’hui des dynamiques institutionnelles mises en place en 2011 et des espoirs suscités à travers les projets de création d’instances constitutionnelles, comme l’Autorité pour la parité, qui donnent l’impression d’être restées lettre morte ?
« Retraditionalisation » de la société
En 2018, la plupart des Marocaines ne se sentent pas concernées par ces réformes. Elles sont confrontées à d’âpres défis, parmi lesquels la précarité socio-économique, les violences urbaines et familiales, sans oublier de multiples discriminations sournoisement alimentées par une « retraditionalisation » de la société en quête d’une identité perdue.
Que dire aussi de l’initiative, très médiatisée, des mourchidates (prédicatrices) lancée en 2005 et saluée à l’époque comme une véritable volonté officielle de « féminiser » la sphère du religieux ? La symbolique de « féminisation » du religieux était certes judicieuse, mais, malheureusement, elle s’est rapidement trouvée diluée dans sa propre rhétorique patriarcale.
>>> À LIRE – Islam : le temps des femmes
Comment expliquer que, malgré les hautes orientations royales pour la réforme du champ du religieux et, en particulier, celles concernant la question de l’égalité et de la lutte contre les discriminations envers les femmes, il n’y a pratiquement eu aucune initiative ni même un semblant de débat au sein des grandes institutions religieuses, qui font un déni notoire de la réalité sociale et de ses défis ?
Absence d’espaces de liberté et de dialogue citoyen
Pourquoi, à chaque tentative de débat sociétal, des questions comme celles, entre autres, de l’héritage sont-elles officiellement et brutalement vilipendées par ces mêmes institutions et leurs oulémas, qui, encouragés par une majorité maintenue dans un conservatisme suranné, essaient de museler les voix dissidentes au nom d’une lecture tronquée du religieux ?
Pourquoi, à chaque tentative de débat sociétal, des questions comme celles de l’héritage sont-elles officiellement et brutalement vilipendées ?
Ce sont là des problématiques patentes qui, aujourd’hui, montrent les limites et l’impasse dans laquelle se trouvent des réformes élaborées « en théorie », sans être accompagnées de mesures éducationnelles, culturelles et politiques qui permettraient d’engager un vrai travail pour faire évoluer les mentalités, notamment à travers l’ouverture de véritables espaces de liberté d’expression et de dialogue citoyen.
« Droits humains » et justice sociale
On l’aura compris, cette question des droits des femmes est toujours et éternellement reportée à des lendemains meilleurs. Malgré les tentatives de débats menées par les acteurs de la société civile, la priorité est politiquement ailleurs.
Or ça n’est pas une simple et désuète question de « statut de la femme » ou de droits « spécifiques ». C’est avant tout une question de « droits humains » et de justice sociale, une question éminemment politique et centrale dans tout processus démocratique, une question dont les enjeux sociétaux, politiques et religieux sont cruciaux pour le Maroc d’aujourd’hui et de demain. Promouvoir les questions d’égalité et d’émancipation des femmes, c’est promouvoir celles de toute la société.
Dernier essai paru
Islam et femmes. Les questions qui fâchent
Par Asma Lamrabet
Éditions En toutes lettres, Casablanca (214 pages, février 2017)
Éditions Gallimard, collection « Folio Essais », Paris (304 pages, septembre 2018)
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Maroc : PJD, la preuve par sept
Le 25 novembre 2011, les législatives donnaient la majorité aux islamistes, qui promettaient de changer la façon de gouverner et de réformer le pays. Force est de constater que leur bilan n’est pas brillant.
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